Qui a bien vécu, vivra. Ou pas…
Quand j’ai été diagnostiqué à l’âge de huit ans, le neuropédiatre avait expliqué à mes parents que mon espérance de vie ne dépasserait guère vingt ans et que les plus vieux n’avaient jamais dépassé quarante ans. J’ai donc grandi avec l’idée que j’avais une espérance de vie limitée.
Je n’ai jamais réfléchi à ce qu’était vieillir parce que ce n’était pas une situation qui me parlait. Je connais la perte liée à l’avancée de la maladie mais c’est assez différent. La maladie est considéré comme anormale alors que vieillir non. De façon basique, si je parle de ma vue, elle a violemment baissée récemment mais à ma grande surprise, il n’y a que moi qui en est été surpris. L’ophtalmologue m’a balancé un “Oui, vu votre âge, il faut passer aux verres progressifs” comme si c’était une évidence à laquelle j’aurais dû m’attendre. J’ai été projeté d’un seul coup dans le monde des valides et ça m’a pas mal perturbé.
Dépasser son espérance de vie est aussi être confronté à un vrai problème. Comment se projeter quand on est censé être mort ? Je sais que c’est une problématique assez spécifique puisque de nombreuses maladies n’engagent pas l’espérance de vie ou laisse une part individuelle suffisamment variable pour que la question ne se pose pas en ces termes. Je crois que d’une certaine façon, ça rejoint la question du grand âge, de cette notion qu’une personne aurait “bien vécu” et qu’elle a l’âge requis pour mourir. Un peu comme s’il y avait d’un coté les morts “normales” et les morts “anormales”. Pour moi l’âgisme n’est qu’une expression spécifique du validisme à l’instar du sanisme.
Ainsi, je vois aussi le projet d’aide à mourir sous ce prisme. Il y a les vies qui peuvent être abréger parce que médicalement et socialement, ces personnes ont déjà “bien vécu” et les autres. A l’aune de ma propre vie, je me rend compte à quel point cette notion de pronostique vital engagée à court ou moyen terme est un artifice médical. Evidement, il y a des caps et des statistiques mais qui bien souvent, ne veulent rien dire individuellement parce que soit il y a la vie, soit il y a la mort. Ce n’est pas un continum où il y a les morts, les quarts de morts, les demi vivant et les trois quart de vivant. Par contre il y a le validisme et sa hiérarchie des vies qui irrigue toute la culture médicale. Les pronostiques de handicap s’expriment assez souvent d’ailleurs en terme de favorable et défavorable. Ce n’est pas une faveur que de vivre sans handicap, ni un coup du sort d’en avoir un.
Je le vois aussi dans les soins palliatifs. Au grand désespoir de certains de mes amis de l’époque, j’ai déjà été hospitalisé en services de soins palliatifs. C’était il y a plus de dix ans. Et je ne suis pas un cas isolé puisque si deux cinquième des personnes décèdent effectivement en soins palliatifs, il reste une majorité de personnes qui survivent à leur séjour. Pas forcément aussi longtemps que moi, j’en conviens. Mais tout de même, si on prends stricto sensus la définition de l’OMS des soins palliatifs, la totalité des traitements des maladies chroniques en est puisqu’il s’agit de tous les traitements visant à améliorer la santé sans but de guérison. Je pense que de ce coté là, il y a aussi pas mal de progrès à faire dans le lâcher prise médical du tout guérison.
Au final, penser l’aide à mourir sans penser l’espérance de toute puissance de la médecine est une vaste blague. Déjà, la définition du court terme varie qu’on soit en réanimation ou en rééducation alors comment finir par faire une définition claire de ce qu’est un pronostique vital engagé à court ou moyen terme. Je me permet juste de rappeler qu’en finance le moyen terme dure cinq ans. Alors qu’en est-il pour la médecine ?