L’exposition « Climats Artificiels » à la fondation EDF : une parenthèse “Miyazakesque’’ pour s’interroger sur l’avenir de notre Planète.

Segoevia
8 min readFeb 21, 2016

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La forêt de “Mon Voisin Totoro” - Une bouffée de verdure également présente dans certaines œuvres de l’exposition. (source : www.giphy.com)

C’est en 1910 que Paul Friesé, architecte en charge de la construction des bâtiments industriels parisiens, réalise la sous-station électrique de Sèvres, rue Récamier - Paris 7ème. Destinée à fournir en électricité le métro du Paris de cette époque, la sous-station sera effective un bon nombre d’années.
Et c’est en 1990 que la bâtisse, ne servant plus, est réutilisée pour accueillir l’espace Electra, qui devient en 2008 la Fondation EDF. Cette dernière, désireuse d’apporter une touche poétique à des problèmes contemporains, expose les œuvres d’artistes portant sur des sujets tels que la nature, la culture, la société, la solidarité…
L’exposition actuelle, « Climats Artificiels », présentée jusqu’au 28 février 2016, reprend ces grands thèmes tout en faisant écho aux principaux questionnements écologiques contemporains.
Air, Terre, Eau, Vent mais également Feu, Tonnerre et Lumière… tout au long de l’exposition, la nature semble s’incarner artistiquement sous nos yeux afin de nous livrer sa propre histoire, son propre message et par-dessus tout, son héritage irremplaçable. Au gré des peintures, créations, courts-métrages et sculptures, bercés par le rythme des saisons, de la nature et des phénomènes naturels, vous découvrirez une ode à la Terre qui n’est pas sans rappeler, en y regardant de plus près, celle promue par l’un des fondateurs des Studios Ghibli : Hayao Miyazaki.

L’organisation de l’exposition : une vision lyrique de notre Planète…

1er étage : là où souffle le Vent

Tout commence par le 1er étage de la fondation où une œuvre pour le moins inhabituelle vous attend dès le rez-de-chaussée : le Cloudscapes de Tetsuo Kondo.

“Le Cloudscapes” de Tetsuo Kondo.

Imaginez : vous entrez seul à l’intérieur d’un cube transparent puis vous montez un escalier baignant dans une vapeur blanche s’apparentant à la matière première d’un nuage. Cette barbe-à-papa “nuagesque’’, obtenue grâce à la modification régulière de la température et du taux d’humidité présents à l’intérieur du cube, vous promet une visite dans les nuages comme si vous y étiez pour de vrai. Et c’est en haut de votre escalier de brume que vous percevrez les autres œuvres du premier étage, intitulé « L’état du ciel ». Car c’est dans les airs que vous commencerez votre visite...

Le train vers les nuages - Une scène du “Voyage de Chihiro” où les rails du train symbolise le départ pour un nouveau lieu entre rêverie et magie… comme une échelle vers d’autres cieux (source : http://screenprism.com/insights/article/how-does-spirited-away-tell-a-story-about-a-childs-fear-of-growing-up)

…ici, tout n’est que ciel bleu, nuages pâles et brise légère: les sculptures de Bente Skjøttgaard modélisant des nuages futuristes, les différents tableaux d’artistes représentant des cumulus à foison, les jardins suspendus de Vaughn Bell semblant attendre que le vent vienne souffler parmi leurs végétations ou encore les ballons d’un “bleu nuage’’ de Spencer Finch flottant dans une étrange immobilité… autant d’allusions au ciel et à ses éléments naturels qui ajouteront à l’effet d’apesanteur que vous vivrez en entrant dans ce Cloudscapes aux allures de passerelle vers le château dans le ciel.

De gauche à droite : La végétation des “Villages Green” de Vaughn Bell - La forêt de “Princesse Mononoké” (source http://lilustree.blogspot.fr/2013/04/hayao-miyazaki-princesse-mononoke.html) - Les Villages Green, vue complète - une œuvre du premier étage où vous pourrez passer votre tête dans les aménagements prévus à cet effet. Immersion en pleine nature garantie!
De gauche à droite : une scène du “Voyage de Chirio” - “Champs d’Ozone”, création du collectif HeHe.
De gauche à droite : “Sans Titre”, de Chema Madoz - Une autre scène du “Voyage de Chihiro” (source images Chihiro : http://www.courte-focale.fr/cinema/semaines-thematiques/semaine-ghibli/le-voyage-de-chihiro/)
“Balloon Cloud” - Spencer Finch.
à gauche, les nuages de Bente Skjøttgaard - à droite, “le château dans le ciel” (source : http://www.arte.tv/sites/olivierpere/2012/05/10/le-chateau-dans-le-ciel-de-hayao-miyazaki/)

Rez-de-chaussée : là où chante l’Eau

Kyklos” - Charlotte Charbonnel - Structure en inox où vous pourrez voir, en vous y penchant, la création d’un mini tourbillon d’eau.

Du Ciel à la Mer : le rez-de-chaussée. Intitulé « états transitoires » celui-ci vous plongera dans les eaux chaudes ou froides des différents océans composant notre planète. Car de la bulle d’air poétique qui vous enveloppera au premier, vous serez rapidement emportés par les flots en perpétuel mouvements du rez-de-chaussée.
Basées sur les thèmes de l’eau et de la condensation, les œuvres présentées à ce niveau se veulent les témoins privilégiés de la constante évolution des océans (de par le mouvement des marées) mais également de cet état de “suspension déséquilibrée’’ qui caractérise notre environnement. Le travail aquatique d’Hicham Berrada - spécialement exposé dans une pièce aux murs sombres et à la lumière tamisée rappelant les fonds abyssaux - vient ici donner du sens à cette notion : en présentant les différents écosystèmes qu’il créé à partir de composants chimiques volatiles introduits dans un aquarium rempli d’eau, l’artiste nous présente ici une allégorie de l’évolution instable et incertaine de la mer, causée par les différents éléments polluants que l’Homme a tendance à y déverser.

Les univers aquatiques d’Hicham Berrada : des microcosmes changeants, à l’image de notre monde.
Les univers marins de “Ponyo sur la Falaise”, des univers changeant en fonction du respect des Hommes pour la mer qui les entoure (source : www.fanpop.com)

C’est également au rez-de-chaussée que se trouve « La mer » d’Ange Leccia, une vidéo de 45 minutes projetée en boucle et retraçant à l’infini le mouvement naturel des vagues venant s’échouer sur le rivage.
Par un subtil jeu de couleurs sombres - rappelant la pièce où sont exposées les œuvres d’Hicham Berrada - l’écume opaline prédomine, accentuant la rythmique régulière de l’eau. La mer bleue presque noire dépeinte à travers ces couleurs donne à l’œuvre un caractère “des temps anciens’’.
Submergés par ce bleu profond, vous aurez rapidement l’impression d’être devant la mer des origines, la mer première, celle qui recouvrait une bonne partie de notre planète… la mer originelle que Fujimoto, sorcier et père de la petite Ponyo, voudrait à tout prix faire revivre afin de punir les humains qui, selon lui, sont peu respectueux de la nature…

La Mer” - d’Ange Leccia.
La Mer de “Ponyo sur la Falaise” - En assistant à la vidéoprojection d’Ange Leccia, vous vous retrouverez vite dans le même état de contemplation muette que les personnages principaux du long-métrage d’animation, ici en arrêt devant une mer en colère (source : www.fanpop.com)

Niveau -1 : là où gronde la Terre

Sillage” - Cécile Beau et Nicolas Montgermont - une œuvre s’apparentant au sismographe.

L’exposition se termine sous la Mer avec le niveau -1.
Intitulé « catastrophes ordinaires », celui-ci se base sur la représentation artistique de phénomènes naturels tels que la foudre, le tonnerre, la formation de pierres volcaniques, le cycle du soleil… autant de manifestations dont l’œil humain ne remarque plus la beauté poétique.
Mais au-delà de cet aspect sensible, les manifestations ici dépeintes sont aussi emplies d’une certaine dangerosité. « La porte de l’enfer » d’Adrien Missika, court-métrage portant sur l’activité volcanique d’un cratère du Turkménistan, n’est pas sans rappeler qu’une manifestation naturelle déréglée par la main humaine peut très vite avoir de lourdes conséquences sur l’environnement qui la compose.

“Darvaza” ou “La porte de l’enfer” - Une image de la vidéoprojection (#1)
“Les sept jours de feu”, période de destruction provoquée par l’Homme et ses créations irraisonnées dans le long-métrage “Nausicaä de la vallée du vent” (source : www.fanpop.com)
“Darvaza” ou “La porte de l’enfer” - Une image de la vidéoprojection (#2)
Une autre scène de destruction par le feu, de nouveau orchestrée par la main humaine - “Nausicaä de la vallée du vent” (source : www.pinterest.com)
“Darvaza” ou “La porte de l’enfer” - Une image de la vidéoprojection (#3) - Le cratère du volcan turkmène.

Dans son court-métrage “Soleil Double’’, Laurent Grasso va même plus loin quant aux conséquences de l’intervention humaine sur la nature : En mélangeant les rayons d’un deuxième soleil créé de toutes pièces avec des éléments d’architecture réelle dépeuplée de toute présence humaine, l’artiste met en scène un étrange drame dont on ne sait “s’il s’est déjà produit” ou si ses conséquences redoutables nous attendent tapies dans la lumière.
Car l’artiste nous montre ici un aspect important de l’environnement : la nature est là, tout le temps, autour de nous, qu’il fasse jour où qu’il fasse nuit, qu’elle soit masquée par une architecture imposante ou non. Les manifestations naturelles sont donc l’expression de cette Terre qui nous entoure. À nous de savoir cohabiter avec elles, à nous de savoir écouter ce qu’elles cherchent à nous dire afin de pouvoir vivre encore et toujours sur notre Planète dans les années à venir.

Des images du court-métrage “Soleil Double” de Laurent Grasso.
Une scène d’architecture magnifiée par la nature dans “Nausicaä de la vallée du vent”, où une habitation construite par la main de l’Homme cohabite en harmonie avec son environnement naturel (source : https://partofyourworldksu.wordpress.com/out-of-sight/nausicaa-of-the-valley-of-the-wind-and-inspirational-forests/)

… Pour un message écologique à plusieurs niveaux de lecture…

Céleste” - une autre œuvre d’Hicham Berrada présente au premier étage. Vous y verrez des fumées recréées chimiquement se mélangeant parfaitement à la nature qui les entoure. Comme une allégorie de l’œil humain qui ne veut plus, trop souvent, discerner la pollution ambiante.

C’est en introduisant cette notion de menace et en ressortant du niveau -1 que vous comprendrez le schéma voulu pour l’aménagement de « Climats Artificiels » : rêver au premier, réfléchir au rez-de-chaussée et remettre en cause notre mode de vie au sous-sol. Car c’est sur cette touche que finit l’exposition : la nécessité de revoir nos bases, notre sous-sol écologique, nos valeurs environnementales, si nous ne voulons pas craindre les conséquences tragiques d’un manque de respect pour la Planète. Cette partie de l’exposition peut en ce sens vous donner l’impression de céder au catastrophisme ambiant, mais, à bien y regarder, il n’en est rien : c’est en effet grâce aux conséquences incontrôlables de manifestations physiques naturelles que « Climats Artificiels » nous laisse sur une fable écologique dont nous sommes, au final, les seuls acteurs et actants. C’est par nos actions et nos décisions que nous choisissons de cohabiter en harmonie avec la Terre ou, au contraire, de l’essouffler un peu plus chaque jour.
Une fable qu‘Hayao Miyazaki a su retranscrire dès le départ dans ses longs-métrages d’animation, avec le même degré d’intensité urgente ou de poésie céleste que les œuvres des artistes présentées lors de cette exposition.

“Panorama” - Julian Charrière - une nature à l’état pur, préservée depuis les origines. Mais pour combien de temps encore? Une œuvre affiliée à “l’état transitoire” du rez-de-chaussée.

La visite s’achève ainsi… le retour à la vie réelle se fait par le même point d’entrée.
Et c’est en quittant ce vaste espace blanc du 7ème arrondissement de Paris que nous nous rendons compte d’une chose essentielle, d’une chose universelle que seul l’Art peut nous faire comprendre : l’écologie, qu’elle soit le fil conducteur d’animés japonais ou le cœur d’une exposition organisée par la fondation d’une entreprise française, est une préoccupation mondiale.
À l’heure du réchauffement climatique, de la récente COP21, des mutations écologiques et des grands questionnements environnementaux, l’Art de « Climats Artificiels » réussit à unir l’Orient et l’Occident autour d’un thème commun : une nature protégée, respectée de tous et toujours présente et luxuriante pour les enfants de nos enfants.
Alors si nous nous décidions enfin à mutualiser nos forces pour préserver la beauté universelle de notre Terre que l’exposition et les Studios Ghibli s’emploient à dépeindre ? Car quand bien même la notion de “rêverie cauchemardesque” soit un leitmotiv sur l’avenir de notre Planète présent aussi bien chez Hayao Miyazaki que dans les œuvres de “Climats Artificiels”, il n’en reste pas moins que l’exposition et sa philosophie Ghibliesque vous transporteront dans un voyage écologique à nul autre pareil, un voyage dont vous seul déciderez de la suite, un voyage qui se révèlera réel et où certes « Le Vent se Lève », mais où « il faut tenter de Vivre ».

“Le Voyage de Chihiro” - Chihiro saluant l’Esprit de l’Eau (source : wall.alphacoders.com)

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