De l’Entrepreneuriat Social à la RSE : le Parcours Inspirant de Jérôme Schatzman
Quand et comment commencer à s’engager ? Comment insuffler le changement au sein de son entreprise ? Le parcours de Jérôme Schatzman, aujourd’hui directeur du Développement Durable du Groupe L’OCCITANE et fondateur de L’OCCITANE Goodlab, finira de vous convaincre d’écouter votre petite voix intérieure et de vous affirmer comme acteur de changement, que ce soit en entreprise, en association ou en tant qu’entrepreneur.
Racontez-moi votre parcours, comment avez-vous commencé à vous engager ?
A vrai dire j’ai toujours eu une envie d’engagement. Celle-ci s’est affirmée à ma sortie de l’ESSEC alors que je devais faire mon service militaire et que j’ai finalement choisi de faire un service civil qui consistait à travailler pour une association. J’ai ainsi commencé à travailler pour l’entreprise d’insertion « La Table de Cana » qui offre des services de restauration et d’organisation de réceptions fournis par des personnes en insertion professionnelle. C’était la quadrature du cercle : j’organisais des réceptions (dans la continuité de mon expérience en tant que président du BDE), j’avais un impact social et je gérais des problématiques business avec une grande marge de manœuvre. J’ai donc décidé d’y rester suite à mon service civil et ai très rapidement gagné en responsabilités : à 24 ans je me retrouvais directeur d’une des agences locales à Sèvre qui employait des jeunes filles placées en foyer. Deux ans après, j’ai pris la direction de La Table de Cana (la structure mère) que j’ai dirigée pendant quatre ans avant de partir au Brésil.
Etait-ce un choix audacieux que d’aller dans l’ESS à la fin de vos études ?
Un choix atypique en tous cas ! On ne parlait pas d’entrepreneuriat social à la fin des années 90 et seulement deux ou trois autres personnes de ma promotion se sont mises à l’époque sur ce créneau. Nous travaillions avec les pionniers de l’ESS : des personnes qui venaient du milieu associatif et qui se sont dit qu’il fallait y introduire de l’économique. Aujourd’hui c’est vraiment différent : vous avez le NOISE, des chaires entrepreneuriat social, des start-ups sociales qui prennent leur envol… Il y a toute une mouvance !
C’est en effet une chance pour nous d’avoir le NOISE et tous ces acteurs inspirants. C’est donc au Brésil que vous avez commencé l’aventure de votre start-up sociale Tudo Bom ?
Tout à fait. C’était en 2003, je venais d’arriver à Rio et j’y ai organisé le voyage de la toute jeune chaire entrepreneuriat sociale de l’ESSEC. J’ai donc eu l’occasion de rencontrer différents acteurs de l’ESS et je me suis ensuite investi dans une association qui travaillait dans des quartiers défavorisés. C’est comme ca que j’ai découvert le monde des couturières et que l’aventure Tudo Bom a commencé. Nous avons créé notre marque de mode, ces femmes produisaient nos vêtements avec du coton bio, et nous nous occupions de la distribution. Nous avions une boutique à Rio et deux à Paris.
Nous avons arrêté cette belle aventure il y a un an, après dix ans d’activité. Il était difficile de joindre les deux bouts et d’avoir un modèle viable car nous avions voulu jouer sur trop de tableaux à la fois. Peu de monde dans le textile n’est à la fois promoteur d’une filière équitable et bio, fabriquant de vêtements, marque de mode et distributeur. Il faut choisir son métier. Mais nous avons appris tellement ! C’est cela d’être entrepreneur, social ou pas.
En tant qu’entrepreneur social, qu’êtes-vous fier d’avoir accompli avec Tudo Bom ?
Nous avons créé la marque comme un vecteur d’optimisme. Nous avons fait travailler 150 producteurs de coton bio au Brésil, 40 couturières, et 20 employés permanents. Nous avons diffusé beaucoup d’optimisme et aussi réussi à sensibiliser beaucoup de monde en France et au Brésil sur les enjeux de la filière textile : les clients, les partenaires, le grand public. Pour toutes ces raisons, je suis fier du chemin parcouru avec Tudo Bom, même si j’aurais souhaité aller plus haut !
Et comment distingueriez-vous un entrepreneur d’un entrepreneur social ?
Je ne pense pas qu’il y ait de différence fondamentale dans la démarche. Il s’agit toujours de rassembler des ressources pour répondre à un besoin. La seule différence est dans les objectifs, et c’est très spécifique à l’entrepreneur : est-ce que tu fais du nombre de personnes à qui tu permets de mieux s’insérer professionnellement un indicateur de réussite pour ton entreprise par exemple ?
Vous avez créé L’OCCITANE Goodlab. Comment définiriez-vous sa mission?
J’ai rejoint le Groupe L’OCCITANE en tant que directeur du Développement Durable avec le souhait de construire quelque chose d’innovant, pour aller au delà du mécénat traditionnel. Nous avons donc créé L’OCCITANE Goodlab qui rassemble les activités RSE et mécénat de L’OCCITANE. Nous le définissons comme un atelier de développement durable où nous travaillons à maîtriser notre empreinte écologique et à faire émerger de nouvelles solutions pour faire face aux enjeux sociaux et environnementaux actuels. Nous agissons au cœur même de l’activité de l’entreprise : tous les projets que nous menons impliquent les autres départements et sont donc nécessairement en cohérence avec leurs enjeux stratégiques.
Pour imager la mission de L’OCCITANE Goodlab j’aime bien prendre l’exemple d’un arbre : pour avoir de belles feuilles il faut travailler le sol et les racines en profondeur. Pour vous donner un exemple concret, chez L’OCCITANE nous sommes très engagés pour lutter contre la cécité évitable, nous développons des programmes de mécénat en ce sens dans de nombreux pays mais nous veillons aussi à la santé visuelle de nos salariés. De la même manière nous soutenons le leadership Féminin au Burkina Faso tout comme à l’intérieur de l’entreprise. Il faut de la cohérence.
Comment arrivez-vous à insuffler le changement au sein de L’OCCITANE ? Comment ne pas passer pour le doux rêveur ?
Le fait est que l’on peut très vite devenir l’enquiquineur qui empêche de faire du business, ou le doux rêveur qui ne comprend pas qu’il faut gagner de l’argent. Pour parer à cela il faut savoir être pro-business et apporter des solutions.
Il y a deux choses qui mettent particulièrement en mouvement les employés. D’une part l’atteinte de leurs objectifs à eux : il s’agit donc de bien les comprendre et de savoir apporter des solutions qui vont dans leur sens. D’autre part, il y a leur conscience personnelle. Il ne faut en aucun cas jouer le moralisateur, c’est contreproductif car culpabilisant. Ce qu’il faut comprendre c’est que nous souhaitons tous agir pour des causes qui nous tiennent à cœur mais que nous ne savons souvent pas par où commencer. Offrir la possibilité de s’engager, même un tout petit peu, c’est donc générer de la reconnaissance et bien souvent aussi, la volonté de s’engager encore plus.
La solution pour moi c’est de donner l’occasion d’agir. D’engager.
Quels conseils donneriez-vous aux étudiants qui arrivent bientôt sur le marché du travail ?
Premièrement je leur conseillerais de varier les expériences : faire un stage dans une entreprise classique mais aussi dans une association ou une start-up sociale par exemple. C’est important pour être capable de choisir ensuite. Deuxièmement je leur dirais qu’il faut garder en tête ce qu’on souhaite sur le long terme et savoir faire confiance à son instinct pour le court-terme. La sécurité et le choix de la raison ne sont pas toujours ceux qui conduisent à un meilleur épanouissement. Personnellement je pense que si l’entrepreneuriat est un choix relativement peu sécuritaire, c’est extrêmement formateur. Pour terminer je leur dirais qu’ils peuvent être acteurs de changement quelle que soit l’entreprise et la position dans laquelle ils sont. A partir du moment où l’on est capable de proposer des solutions qui ont de l’impact et qui ont un sens business, les entreprises ont intérêt à aller dans votre sens. Il s’agit alors de comprendre les intérêts de chacun pour réussir à rassembler autour de votre projet.