Il faut (re)trouver le temps long !

Le blog de l’IFs
4 min readMay 4, 2020

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L’avenir ne se prévoit pas, mais il se prépare: il est donc nécessaire de changer les règles du jeu politique en nommant, plutôt qu’un ministre de la Transition écologique, un vice-premier ministre chargé du long terme.

«A cause de l’indifférence générale, demain est annulé.» Voilà un résumé de la colère triste que la démission de Nicolas Hulot a suscité chez nombre de Français. Une colère due en partie à l‘impossibilité du gouvernement à être le gardien des enjeux de long terme. Personne ne semble réellement doté des moyens pour réhabiliter le temps long au sein du gouvernement. Même si Nicolas Hulot bénéficiait de moyens importants en qualité de ministre d’Etat, il était loin de pouvoir intégrer les enjeux environnementaux dans l’ensemble des politiques publiques. Théoriquement, c’est avant tout le rôle du président de la République de mettre en exergue une vision à long terme et au Premier ministre de la mettre en pratique.

L’étau du temps présent

Cependant les hôtes de Matignon n’ont ni le temps ni la liberté d’esprit d’appréhender demain, pris qu’ils sont dans l’étau des urgences du temps présent. Force est de constater que la place accordée aux enjeux futurs au sein de notre gouvernement est aujourd’hui vacante. Alors, comment repenser les règles du jeu pour réhabiliter l’avenir ? Comment élever les enjeux de longterme au-dessus des rapports de force politique actuels ? «Voir loin, voir large, voir profond, penser à l’Homme, prendre des risques.» En pleine crise politique, ces mots de Gaston Berger résonnent auprès de quiconque voudrait porter haut les enjeux du développement durable. Indissociables des enjeux du temps long, les enjeux environnementaux exigent de nos hommes et femmes politiques qu’ils prennent de la hauteur. C’est tout l’art de la prospective, cette «indiscipline intellectuelle» comme le disait Pierre Massé, qui permet de s’armer d’une méthode pour comprendre le présent, imaginer des scénarios futurs et construire ceux que l’on souhaite voir advenir. Une manière de traiter le futur avec soin. Ce n’est sans doute pas un hasard si Bertrand de Jouvenel, un des pères fondateurs de la prospective, est aussi le premier penseur de l’écologie politique. Cependant, aujourd’hui la prospective hexagonale semble s’être alignée à l’image de son autorité publique, plus gestionnaire que visionnaire, le balancier de l’action publique penchant davantage vers l’évaluation que vers l’anticipation. Si l’adoption de la charte de l’environnement, qui fait partie de la Constitution depuis 2005, permet déjà d’imposer une certaine prise en compte de l’environnement dans les politiques publiques, c’est au cœur des arbitrages politiques et de la fabrique de l’action publique qu’il faut l’intégrer. Déjà en 2007, le Pacte écologique proposait la création d’un poste de vice-Premier ministre du Développement durable. Il est temps d’enclencher le cran d’après et de créer un poste de vice-Premier ministre du Long Terme car le développement durable n’est plus une fin en soi, c’est le substrat sur lequel il faut tout réinventer si l’on veut des futurs qui soient autres qu’anxiogènes. Avec son désormais célèbre «Make the planet great again» en réponse à la sortie des Etats-Unis de l’accord de Paris, le président français à pourtant ouvert la possibilité pour la France d’incarner un pays leader en matière de changement de cap vers des futurs souhaitables. La réforme constitutionnelle est théoriquement encore ouverte. Imaginons un vice-Premier ministre du Temps long qui s’assurerait de la prise en compte du long terme dans les décisions politiques et dans la feuille de route de chaque ministère, aux côtés du Premier ministre et du président de la République. Placé sous l’égide du Premier ministre, il aurait également autorité sur les ministres afin d’être en position de force pour négocier toute décision prise au détriment des enjeux futurs, tels la dette écologique ou publique.

Cap sur le temps long

De fait, il porterait en première ligne les sujets environnementaux mais insufflerait le cap du temps long sur chacun des grands sujets. S’appuyant sur le travail des cellules prospectives des ministères, il porterait cette vision auprès du grand public et disposerait de terrains d’expérimentations sur le territoire grâce à l’action des préfets. Il serait en somme le gardien d’un «service public du Temps long». A ses côtés, la création d’une chambre du long-terme renforcerait cette exigence au niveau législatif. Depuis plusieurs années, des personnalités telles que Pierre Rosanvallon, Dominique Bourg et Bruno Latour appellent de leurs vœux la création de cet organe, par une réforme ou une refondation du Conseil économique social et environnemental (CESE). La réhabilitation de la prospective, tout comme la création d’un poste de vicePremier ministre du Temps long, sont des occasions pour remettre le bien commun en perspective et ainsi recréer un espace politique pour se réapproprier demain. C’est pourquoi la prospective avait été pensée, bien consciente comme l’écrivait Maurice Blondel, que l’avenir ne se prévoit pas mais qu’il se prépare. Avant d’espérer que le ministère de la Transition écologique gagne de plus grands combats politiques, redessinons nos règles du jeu, car même si le Dalaï Lama et Mère Teresa étaient ministres de la Transition écologique, la fin serait toujours la même : ce n’est pas une question de joueurs c’est une question de jeu.

L’équipe de l’IFs — tribune parue dans Libération.fr — septembre 2018

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