Démocratie 4.0,

Valentin Chaput
5 min readSep 25, 2015

point d’æncrage lance son cycle de travail sur le renouveau démocratique

Depuis 1979, la commune andalouse de Marinaleda pratique la démocratie directe. Tous les ans, une centaine d’assemblées permettent aux 2 800 habitants de cette petite ville agricole de décider des priorités politiques de la municipalité en matière d’emploi, de logement ou de budget. Les résultats de cette expérience politique et sociale — certes largement rendue possible par le financement de la décentralisation espagnole — paraissent concluants : un toit, un emploi et des services publics de qualité pour tous dans une sorte de société-coopérative qui a mieux résisté à la crise économique que le reste de l’Espagne. Plus près de chez nous, en 2014, les 1200 habitants de Saillans dans la Drôme ont mis en minorité le maire sortant et élu une liste collective. Ils apprennent depuis à faire fonctionner une réelle démocratie participative locale.

L’ambition d’une participation directe des citoyens aux décisions politiques relève encore de l’utopie, tout juste praticable à petite échelle par une population impliquée et libérée du travail comme dans la représentation — généralement idéalisée — que nous nous faisons de l’antique Cité athénienne de Périclès. Si nous souhaitions permettre à chacun des 45 millions d’électeurs français de s’exprimer pendant une minute lors d’une grande assemblée nationale, il faudrait qu’un même lieu puisse accueillir le débat durant 85 ans sans interruption ! Lorsque des consultations plus modestes sont proposées par les pouvoirs publics, notamment en amont du processus législatif ou d’un projet d’aménagement local, les taux de participation sont souvent décevants et la parole confinée aux initiés.

Ces contraintes n’empêchent pas le foisonnement d’initiatives physiques et numériques à travers le monde. Sur tous les continents, des candidats co-écrivent leurs programmes avec leurs sympathisants, des activistes relayent des pétitions aux centaines de milliers de signatures, des villes votent des budgets participatifs, des citoyens contactent directement leurs élus, des parlementaires virtuels permettent de suivre la fabrique de la loi en temps réel, de nouveaux partis émergent même sur la seule question de la participation citoyenne. A rebours des discours fatalistes sur l’apathie civique généralisée et l’inarrêtable montée des extrêmes, la démocratie cherche à se réinventer aux marges de systèmes représentatifs et partisans à bout de souffle. Un même constat les fédère : il ne peut plus y avoir de décision politique légitime sans discussion préalable, sans transparence dans l’exécution, sans reddition de comptes en cours de mandat.

Ce vent nouveau de la participation nous rappelle inévitablement un précédent courant d’optimisme, qui semblait pourtant s’être essoufflé ces dernières années en France. En 2005, la controverse autour du Traité établissant une Constitution pour l’Europe s’était libérée en ligne sur les premiers blogs et forums de discussion. En 2007, la plate-forme Désirs d’avenir et l’organisation de débats participatifs sur tout le territoire avaient propulsé la campagne présidentielle de Ségolène Royal. Mais par la suite, de la Coopol socialiste aux Créateurs de possibles de l’UMP, les tentatives successives des partis politiques pour introduire des mécaniques participatives ont été des échecs cuisants. Davantage que la participation des citoyens, c’est la mobilisation des électeurs qui semblait être devenue le nerf de la guerre, à l’image de l’ouverture des primaires citoyennes et de la campagne massive de porte-à-porte réalisée lors de la campagne présidentielle victorieuse de François Hollande en 2012.

Au cours de la décennie écoulée, les attentes et les technologies ont changé. Les institutions, pas encore. Internet et les réseaux sociaux ont modifié les usages : au quotidien, les citoyens se sont habitués à partager l’information sans intermédiaire, à exprimer publiquement leurs choix sur chaque aspect de leur vie ou à soutenir des projets qui ont du sens pour eux. Ils ont développé une culture de l’évaluation et du résultat. Ils attendent du public le degré de personnalisation et la qualité d’utilisation que leur proposent les meilleurs services marchands. Dans ce monde, il n’est plus compréhensible de ne pas avoir son mot à dire pendant les longues années qui séparent deux élections. Les citoyens n’acceptent plus de se sentir dépossédés des grands enjeux ou impuissants face aux évolutions du monde. Leur défiance envers les élus explose. Ils aspirent à substituer à la seule démocratie électorale représentative “une démocratie gouvernante, une démocratie d’exercice” (Pierre Rosanvallon), “une démocratie continue” (Dominique Rousseau). Pourtant, à ce stade, aucune offre politique ou technique française n’est parvenue à convaincre et faire participer une quantité et une diversité suffisantes de citoyens.

Au-delà des initiatives positives que le Gouvernement et le Parlement ont initiées ces derniers mois, la France abrite des dizaines de projets en ligne et hors ligne. Ces initiatives n’en sont qu’aux balbutiements, mais rêvent déjà de conquérir le pouvoir comme une start-up s’empare d’un marché. Certaines sont des réseaux de projets associatifs non lucratifs, d’autres se constituent en petites entreprises pour mieux cartographier et cibler les citoyens en fonction de leurs opinions. Certaines veulent permettre aux administrés d’enrichir leur interaction avec les élus et les institutions, d’autres rêvent de s’affranchir des partis politiques pour désigner des candidats issus de la société civile ou tirés au sort. Certaines veulent rendre la loi plus intelligible, d’autres veulent la faire co-écrire par des millions de mains. Les démarches populistes côtoient les projets révolutionnaires dans un certain flou idéologique. Une chose est sûre cependant : le renouveau de la démocratie participative aura un impact sur la vie politique française dès les prochains mois.

Point d’æncrage a choisi de consacrer un cycle de travail complet à ces nouveaux espaces et ces nouvelles pratiques démocratiques. Notre équipe s’attellera à dresser un bilan précis des expériences participatives des dernières années en France et à l’étranger. Nous interrogerons les universitaires qui ont étudié les phénomènes démocratiques sur le temps long. Nous irons à la rencontre des porteurs de projets innovants et des initiateurs de campagnes de mobilisation à succès. Nous confronterons des dirigeants politiques actuels à ces nouveaux outils et ces nouvelles méthodes. Nous analyserons collectivement les défis théoriques et techniques qui doivent rester des garde-fous ou méritent d’être relevés. Nous nous lancerons dans un exercice de prospective pour imaginer la démocratie des prochaines décennies. Ce travail ouvert et collaboratif aboutira à un rapport de propositions pour que la transition démocratique en cours remplisse ses promesses.

Participez à la conférence de lancement du cycle “Démocratie 4.0” le mercredi 7 octobre 2015 à 19h30 chez Volumes (78 rue Compans, Paris 19e) et suivez nos travaux sur facebook et twitter !

http://pointdaencrage.org/

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