Une nuance d’hésitation

Valentin Chaput
Les 3 points de Valentin
6 min readFeb 5, 2017

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La cartographie des 50 nuances de gauche est en train de se clarifier autour du trio Mélenchon-Hamon-Macron. En toute franchise, je suis incapable d’arrêter mon choix. J’essaye de m’y retrouver dans la configuration politique actuelle, que j’ai pourtant longtemps désirée… mais je la trouve finalement très insatisfaisante !

L’histoire des gauches depuis la Révolution française est sans doute jalonnée de ces mouvements de balanciers entre l’idéalisme et le réalisme, entre l’adaptation aux contradictions du pouvoir pour lancer de grands chantiers — je l’ai vu à Aubervilliers — et le radicalisme sur lequel se fondent les prochaines révolutions — ou plus sûrement les profondes transitions ? Autrement dit, le dilemme du référendum sur le Traité établissant une Constitution pour l’Europe du 29 mai 2005 reste la matrice essentielle de la donne politique à gauche en 2017 : faut-il tenter d’améliorer le système de l’intérieur ou l’attaquer du dehors pour le remplacer ? Deux rapports différents au Politique pour deux sensibilités du PS que François Hollande a maintenu ensemble pour gagner une série d’élections et fait éclater au palais de l’Elysée quand il fallût gouverner.

Congrès des Jeunes socialistes à Strasbourg en 2011 (photo Keven Çakir Joubert)

Si un parti se définit comme un outil permettant de proposer une vision du monde cohérente, sélectionner les meilleurs candidats pour accéder aux responsabilités puis être un intermédiaire ouvert entre institutions et citoyens, alors cela fait bien longtemps que le projet politique du PS est mort. Je l’ai pleinement compris pour la première fois en novembre 2011, au congrès des Jeunes socialistes de Strasbourg. Rentré cinq ans plus tôt à Sciences Po et au Parti socialiste avec l’envie de changer le monde, je quittais la section Jean Zay du PS Sciences Po en clone presque achevé du social-traître assumé, celui qui débite la novlangue débile de l’aspirant énarque et ne croit plus en aucune idée supérieure à la recherche d’efficience des dépenses publiques (en résumé : il faut faire mieux avec moins). Alors que je franchissais pour la première — et très éphémère — fois les portes du MJS, je découvrais avec effarement le fonctionnement interne de la bien nommée « école du vice », sur laquelle le « grand frère » Benoît Hamon gardait la mainmise. L’enjeu du congrès MJS n’était pas tellement de désigner un nouveau président, car l’écrasante domination du courant hamoniste nous avait annoncé l’identité du prochain élu six mois à l’avance. Un peu comme au sein du Parti communiste chinois ! Les débats sur les textes d’orientation étaient à peine moins pékinois : nous votions les contributions à main levée pendant que des représentants du courant majoritaire parcouraient ostensiblement les allées pour dicter par le geste une consigne de vote qui était immédiatement appliquée par les rangées de ceux que nous appelions « les moutons ». Surréaliste. L’enjeu du congrès MJS n’était pas non plus d’emboîter le pas des mouvements de places qui s’étaient développés à travers le monde tout au long de la même année 2011 — il faut croire que les Indignados n’inspiraient pas plus que cela les apparatchos. Non, le véritable enjeu du congrès MJS était de peser dans les rapports de force internes entre le candidat du PS et son mouvement de jeunesse, déjà en dissidence sur le fond mais incontournable pour la forme. Après cet épisode, il était clair pour moi qu’il fallait se séparer de cette gauche du « Non », de l’incantation et de la manipulation, pour construire sur de nouvelles bases un parti progressiste résolument européen.

Son émergence a pris cinq ans de plus et n’est pas venue de l’intérieur, mais ce parti existe aujourd’hui : En Marche ! Plusieurs amis qui partageaient le constat du congrès MJS de 2011 ont franchi le pas et occupent des postes à responsabilité dans la campagne d’Emmanuel Macron. Ils y trouvent le dynamisme d’une start-up qui double de taille tous les mois, des expérimentations démocratiques qui fonctionnent, comme l’opération de porte-à-porte qui a échafaudé un diagnostic sur les remontées de 25 000 expressions citoyennes, la co-construction de propositions pragmatiques dans plus de 3 000 comités locaux qui n’existaient pas il y a six mois et l’ambition de faire élire 50 % de député-e-s de la société civile qui n’auraient jamais eu leur place dans les partis traditionnels. A ce titre, je trouve simpliste et malhonnête la critique sur l’absence de programme : au contraire, le succès du personnage vient de la vision claire qu’il présente d’une société libérale et sociale, ouverte et non autoritaire, dénonçant les rentes et redistribuant les moyens vers ceux qui en ont le plus besoin. C’est du Dominique Strauss-Kahn sans le projet de réduire le temps de travail, du Daniel Cohn-Bendit sans remise en cause du dogme de la croissance — la mue écolo est pour bientôt me glisse-t-on dans l’oreillette. C’est le faux jumeau de Justin Trudeau. C’est exactement le programme que j’attendais il y a cinq ans ! Il n’est pas étonnant qu’il convienne aux classes dominantes de centre-gauche et de centre-droit passées par le même moule — après tout, leur candidat en est justement l’un des plus flamboyants représentants. Seulement voilà, en cinq ans, la perspective d’un monde sans cesse plus instable et plus inégalitaire s’est imposée. Chaque fois que nous célébrons les métropoles qui réussissent, nous creusons le fossé avec les habitants des périphéries qui s’appauvrissent. Chaque fois que nous glorifions les entrepreneurs dont le risque est couvert par papa-maman ou Pôle emploi, nous écrasons symboliquement ceux qui galèrent à Aubervilliers pour finir le mois. On dit que le capitalisme parvient toujours à se nourrir des aspirations révolutionnaires qui espèrent initialement le renverser. Emmanuel Macron croit sans doute sincèrement être en mesure de changer les choses grâce au pouvoir qu’il convoite, mais je ne peux pas m’empêcher de voir dans la brochette de ses éminents soutiens une énième manifestation du même phénomène, qui vise à absorber le temps d’une élection le mécontentement des électeurs. Prenons garde toutefois, l’épisode Trump est si vite arrivé…

Sipa Press

Pour ma part, j’ai déjà pris ma claque en 2014 quand j’ai compris que si une (vraie) révolution devait avoir lieu en France et en Europe, ce que j’incarnais pouvait légitimement lui servir de cible. Depuis, j’ai pris mes distances avec la forme partisane actuelle et je tente de marcher dans le sens de la transition écologique et démocratique. Je sais qu’il nous faudra du temps, de la résilience, de l’humilité et quelques nouvelles idées. A ma grande surprise, j’en retrouve certaines dans les propositions de Benoît Hamon, pour qui j’ai fini par voter aux deux tours de la primaire. Complètement improbable il y a cinq ans et sans valeur d’approbation générale du personnage, de son entourage et de son programme, mais il s’agissait avant tout de récompenser le seul qui a pris un peu de recul pour faire évoluer sa réflexion. Le seul à pointer vers un horizon de moyen terme en prenant en compte l’impact du numérique et de la robotisation, les mutations du travail du côté de ceux qui les subissent et les impératifs écologiques — à tel point que Yannick Jadot et Nicolas Hulot semblent mûrs pour le soutenir. Il est peu probable que Jean-Luc Mélenchon renonce à son ambition, mais qu’importe : ses quelques fulgurances scéniques et numériques ne compensent pas à mes yeux des positions internationales et européennes que je ne partage pas du tout. Faire battre le cœur de la France. Peu de gens semblent avoir relevé le deuxième sens littéral du slogan de Benoît Hamon : vaincre le centre qui a confisqué le pouvoir. Cela vaut pour la purge qui s’annonce au PS comme pour la reconquête démocratique du pays. Comme si l’ambivalence nous demandait une nouvelle fois de trouver un compromis entre des nuances contradictoires. Benoît Hamon me convainc plus par ses nouvelles propositions que par le retour de ses vieilles pratiques. Emmanuel Macron me séduit plus avec les méthodes qu’il déploie qu’avec le projet qu’il avance. Voilà, je ne suis pas plus avancé sur mon choix !

Dites, a-t-on forcément besoin d’un chef ?

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