Tim Urban de WaitButWhy

Sauce Secrète #1 : Décorticage du succès du blog WaitButWhy

Valentin Decker
Content Studio
Published in
13 min readSep 1, 2018

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Je lance “Sauce Secrète”, une mini-série dans laquelle je décortique le succès de mes blogueurs et auteurs favoris.

Il a initialement été publié sur mon blog personnel.

Pour cette Sauce Secrète #1, j’analyse le succès du blog “WaitButWhy”.

WaitButWhy est une référence incontournable pour de nombreux blogueurs — moi compris.

On y trouve des articles au format long, qui tentent de répondre à des questions existentielles ou de vulgariser des sujets techniques / scientifiques.

Parmi les articles les plus populaires :

  • How to Pick a Career (That Actually Fits You)
  • The Marriage Decision: Everything Forever or Nothing Ever Again
  • Why Cryonics Makes Sense
  • How I Handle Long Email Delays
  • The Procrastination Matrix
  • Ainsi qu’une incroyable série de 3 articles sur Elon Musk, commandée par Elon himself

Si j’ai souhaité dédier un article entier à WaitbutWhy, ce n’est pas uniquement pour la qualité exceptionnelle des posts. Mais aussi parce que ce blog est la preuve qu’il est toujours possible de produire du contenu écrit de qualité long format sur Internet, et d’être reconnu pour.

Ma dernière affirmation semble évidente. Pourtant, elle ne l’est pas tant que ça.

Partout, on lit la mort des contenus longs écrits sur Internet. Les gens ne veulent plus passer plus de 10 minutes à lire un article, leur niveau d’attention n’est que de quelques secondes et la vidéo est en train d’achever le format écrit.

De l’autre côté, celui des médias et des blogs, tous semblent avoir embrassé cette tendance que l’on appelle la “Buzzfeedification” d’Internet. Ils ne cherchent plus qu’à faire des formats très courts, putaclic, des listes ou des “tops 10”. Bref, du consommable et du jetable.

Dans “Trust me I’m lying”, Ryan Holiday démontre que ces évolutions s’expliquent par le modèle économique des médias.

Sur Internet, l’intérêt premier des sites médias n’est pas de satisfaire leurs lecteurs, mais de maximiser le nombre de pages de vues et les impressions publicitaires.

Ils sont incités de manière structurelle au sensationnalisme et à l’exagération, au détriment du lecteur. Se transformant en usines de production de contenu à faible valeur ajoutée.

Ce contexte rend la performance de WaitButWhy d’autant plus impressionnante. En quelques mots, WaitbutWhy, c’est :

  • Plus de 3 millions de visiteurs mensuels
  • Certains posts qui font plus de 50 000 mots
  • Plus de 600 000 abonnés à la newsletter
  • Des centaines de milliers de partages pour les articles les plus populaires
  • Des milliers de commentaires (eux aussi très longs) sous chaque article
  • Un trafic direct à plus de 50% et un trafic organique de 15%
  • Un blog lu par les personnes les plus influentes de la planète, dont Elon Musk qui a lui-même proposé au site d’écrire des articles sur ce qu’il faisait (Tesla, Space X, Solar City, Neuralink).

Tout ceci sans publicité.

On pourrait s’attendre à ce qu’une équipe d’une dizaine de personnes se cache derrière ce monstre.

Pas du tout.

Ils ne sont que deux, derrière leur ordinateur, chacun à l’autre bout des Etats-Unis : Tim Urban, qui rédige les articles, et Andrew Finn, qui s’occupe de la partie business du site.

Mentionnons également que WaitButWhy est le créateur le plus populaire sur Patreon dans la catégorie “Writing”. Plus de 4 000 fans financent le blog tous les mois et lui rapportent plusieurs dizaines de milliers de dollars mensuels (le montant exact n’est pas publique).

Un OVNI.

Décortiquons la Sauce Secrète de WaitbutWhy.

1- Une voix unique et authentique

Les articles écrits par Tim Urban sont reconnaissables entre mille.

Le ton est décalé, le style est unique et on a l’impression d’assister à une conversation entre Tim Urban et lui-même. Comme s’il essayait de s’expliquer le sujet de son article.

Pour comprendre comment il parvient à produire cet effet, intéressons-nous à son parcours personnel.

WaitButWhy n’est pas le premier blog de Tim Urban.

En 2005, il lance “Underneath the turban”, un blog side project pour lequel il n’a ni de plan, ni d’ambition. Il écrit pour se faire plaisir, coucher sur papier ses pensées et parler de ses observations de la journée.

Comme par exemple :

En 6 ans, il y écrit plus de 300 blog posts.

Même s’il n’obtient pas de résultats, notamment financiers, il se crée le terrain de jeu parfait pour tout créatif. Un bac à sable qui lui permet d’expérimenter, d’inventer des formats originaux et de laisser sa créativité s’exprimer.

Pendant ces 6 ans, il amasse les milliers d’heures de travail indispensables pour trouver sa voix et perfectionner son style.

C’est ensuite en 2013, qu’il lance WaitButWhy (avec Andrew Finn).

Cette fois, il affirme son ambition : il souhaite faire de ce nouveau blog un projet à temps plein. Il souhaite en vivre — tout en sachant que cela lui prendra plusieurs années.

Plutôt que de ne passer que 2 ou 3 heures par article, il se dit qu’il peut obtenir des résultats en en passant 60. Et qu’il peut écrire des articles de qualité exceptionnelle (je reviens sur ce point plus tard).

Qui est sa cible de lectorat ? Les gens comme lui. Ceux qui s’intéressent aux mêmes thèmes et cherchent des articles simples et bien écrits pour comprendre des sujets complexes.

Le blog marche rapidement et les premiers articles sont viraux.

Mais ce n’est pas un “overnight success” pour autant. C’est le fruit des graines qu’il avait planté 10 ans plus tôt, en 2005.

Dans ses articles, Tim Urban parvient à être lui-même à 2000 % : il exacerbe ses défauts, ses qualités et ce qui le rend unique. Ce n’est pas un personnage qu’il s’est créé de toute pièce. Il parvient à être authentique de la manière la plus pure.

Quand on le lit, on sent un auteur qui est arrivé à maturation et qui a perfectionné son art plusieurs années, avant d’en arriver là.

2- Des sujets complexes, vulgarisés et traités en profondeur

Pour Tim Urban, un bon sujet d’article doit remplir 3 conditions :

  • Il doit être important et l’intéresser personnellement
  • Il doit être suffisamment complexe pour ne pas être compréhensible avec un article de 800 mots …
  • … mais assez accessible pour qu’un article de vulgarisation de 10 000 mots fasse le job

À chaque fois, son objectif est de démocratiser, d’expliquer et de présenter les tenants et aboutissants de ce sujet. Comme s’il s’exprimait à un enfant de 5 ans.

On assimile souvent la créativité avec le fait de ne partir de rien pour inventer des choses nouvelles et jamais vues.

Tim Urban nous montre que la créativité n’a rien à voir avec ça. Il ne part jamais de zéro et se base toujours sur le travail d’autres personnes avant lui.

Les sujets d’articles que l’on trouve sur WaitbutWhy ne sont pas originaux, ils ont déjà été traités des milliers fois sur Internet :

  • L’intelligence artificielle
  • La cryogénisation
  • La colonisation de Mars
  • Les choix de carrière
  • etc

Tim Urban n’invente rien.

Il reprend, remix, arrange l’ordre des ingrédients à sa guise et compile le tout, dans une sauce unique.

Lorsqu’il décide d’écrire un article sur un thème, il commence par taper toutes les questions et sous-questions liées à ce thème sur Google. Il consulte tous les liens qu’il trouve et laisse voyager sa curiosité de ressources en ressources. Cette première phase de recherche lui prend environ 2 semaines et il ne fait qu’une seule chose : il se documente, en s’appuyant sur le travail des autres.

Avant de commencer la rédaction de son article, il doit :

  • Comprendre l’état de l’art scientifique en consultant les principales études qui ont été faites sur le sujet
  • Identifier les points qui sont encore flous et non-résolus par la science
  • Comprendre les arguments des militants et partisans de la manière la plus neutre possible.
    Exemple : Que souhaitent accomplir les chercheurs travaillant sur l’Intelligence Artificielle ? Quels sont les arguments de ceux qui sont contre ? Au nom de quoi se battent-ils ? etc

Il essaie d’aborder le thème sous tous les angles imaginables pour en proposer un état des lieux le plus exhaustif possible.

Il parvient à faire cohabiter des études scientifiques de très haut niveau avec un discours simple, accessible et abordable. Ses recherches le conduisent régulièrement à s’aventurer dans le domaine de la philosophie, pour comprendre les logiques et implications profondes.

Il prend également soin de noter son niveau d’excitation et de compréhension personnel lorsqu’il dissèque un sujet.

Quand il écrit, son objectif est de rentrer dans la tête de celui qui va le lire. Pour garder l’attention du lecteur, il lui montre qu’il sait précisément ce qu’il ressent à l’instant T. Cela lui permet de jouer avec les zones d’ombre et d’incertitudes qui lui reste encore à dévoiler.

Il n’hésite pas à faire long. Très long. Certains de ses articles font la taille d’un livre.

Pour autant, les articles restent parfaitement digestes, grâce à ses illustrations et à l’univers visuel qu’il a créé.

C’est assez basique, mais les illustrations permettent de casser la lourdeur des paragraphes, d’ajouter de l’humour et de mieux contextualiser les arguments.

3- Des articles 100x meilleurs

Dans un épisode Questions / Réponses du “Tim Ferriss Show”, un auditeur pose à Tim Ferriss la question suivante : “Si vous aviez à construire une audience de zéro, à partir d’un blog, comment est-ce que vous commenceriez ?”

La réponse de Ferriss résume et explique le succès que connaît WaitButWhy en une ligne : “There is always a market for high-quality. And there is always a market for long form”.

Énorme qualité.
Long format.

Peu importe le domaine, cela paie toujours.

Lorsque Tim Urban lance WaitButWhy, il ne veut pas simplement écrire des articles moyens ou tout juste bons.

il ne veut pas non plus écrire des articles 10x meilleurs.

Il veut rendre ses lecteurs accros et obsédés par ses articles.

Il veut produire des articles 100x meilleurs.

Et ce n’est pas une expression galvaudée. Les articles de WaitbutWhy sont époustouflants de richesse et de simplicité. Urban parvient à synthétiser un sujet complexe avec une aisance rare (et surtout énormément de travail).

Ce qui est 100x meilleur se partage et devient viral.

Il y a finalement assez peu de blogs dans le monde qui proposent des articles aussi poussés et travaillés.

WaitButWhy fait partie du top 1% et récupère 90% du gâteau de ce que partagent les blogueurs.

C’est un choix conscient de la part d’Urban. S’il doit passer 40 heures supplémentaires pour faire passer son article de 90x à 100x meilleur, il le fait.

“We took a bet that long but really thorough, really high-quality articles would not only be acceptable to certain people but would be a really fresh, standout thing in a current world of really short list articles. And that smart people would start reading it, and would keep reading it and get to the end. Then they’d want to share it, even more than if it were a great short article.”

Il a d’ailleurs fait une croix sur l’un des conseils qu’on donne souvent aux créateurs de contenu : être régulier.

Il prend le temps qu’il lui faut.

Et il en a même fait un étendard, une marque de fabrique.

En plus d’être 100x meilleurs que ceux de la concurrence, les articles de Tim Urban présentent un autre avantage de taille : ils sont “evergreens”.

Ils ne sont pas liés à un fait d’actualité et ne sont pas périssables.

Ils peuvent être lus plusieurs années après leur publication, sans aucun problème.

C’est ce qu’il se passe : les articles continuent d’être partagés, de générer de trafic et d’accroître la popularité de WaitbutWhy. Année après année.

4- Trouver sa niche et être proche de son audience

Dans la suite de sa réponse à la question “If you had to build an audience on a blog today from scratch, how would you start ?”, Tim Ferriss évoque également la théorie des 1 000 vrais fans, faisant référence à un article, écrit par Kevin Kelly.

Kelly explique qu’un créateur n’a pas besoin d’avoir des millions de fans pour vivre de son art. Il lui suffit de trouver 1 000 vrais fans, qui achètent tout ce qu’il fait, pour lui permettre de vivre de manière libre et indépendante.

Rien ne sert de chercher à créer le consensus et à toucher tout le monde.

Il vaut mieux trouver un petit groupe de personnes aux goûts similaires, pour lesquels on va proposer le contenu qu’ils attendent.

Lorsque Tim Urban lance WaitButWhy, il souhaite parler aux gens comme lui : curieux, flemmards, aisés, haut diplômés, familiers avec l’univers de la tech et plutôt de gauche.

Il sait que les sujets qui l’intéressent personnellement intéressent également les gens comme lui. Faisant partie de ce groupe, il sait quel ton et vocabulaire adopter ainsi que les références culturelles à utiliser.

Certaines personnes n’apprécient pas ses articles, mais c’est très bien.

Avec le temps, il a réussi à élargir son audience à d’autres types de personnes, sans se détourner de son public initial. Le groupe de curieux à qui il s’adresse s’empresse de partager ses articles avec d’autres curieux et étendent progressivement son cercle.

Grâce au second degré et à une grande proximité avec son public, il s’est construit une image aux antipodes des consultants et chercheurs qui rédigent des rapports imbuvables sur les mêmes sujets que lui.

Tim se montre tel qu’il est, en toute transparence et tourne ses défauts en dérision. À l’image de son célèbre Ted Talk, dans lequel il parle de sa tendance à procrastiner à outrance.

Tout y est : second degré, style unique, pédagogie et pertinence.

5- La botte secrète : des articles qui déclenchent l’émerveillement

Dans son livre “Contagious : how to build word of mouth in the digital age”, Jonah Berger détaille les résultats d’une étude qu’elle a menée avec une de ses collègues, Katherine Milkman.

Pendant 6 mois, elles ont analysé tous les articles publiés par le New York Times, environ 7 000 sur la période, dans le but de comprendre pourquoi certains articles marchent mieux que d’autres.

Elles ont tout passé en revue : des articles d’actualités, à des articles sur le sport, en passant par la santé, l’éducation ou encore la technologie.

Existe t-il un facteur commun entre les articles les plus partagés ? Y a t-il des thèmes qui fonctionnent davantage que d’autres ? Des points de vue ou des angles qui suscitent plus de réactions ?

Après une première analyse, elles constatent qu’une catégorie d’articles provoquent plus de partages et ont systématiquement plus de succès que toutes les autres : la science.

Mais pourquoi ce domaine en particulier ?

En creusant cette question, elles se rendent compte que les articles scientifiques font globalement l’état des lieux des dernières innovations et découvertes en tout genre.

Et que cela déclenche une émotion particulière chez les lecteurs : l’émerveillement (dans leur étude en anglais, elles utilisent le terme “awe”).

L’émerveillement après la lecture d’un article, est le sentiment qui pousse le plus au partage de celui-ci.

Les psychologues Keltner et Haidt définissent l’émerveillement comme un sentiment qui nous vient quand on fait face à un niveau de connaissance, de beauté ou de pouvoir démesuré. C’est l’expérience d’observer quelque chose de plus grand que nous, qui nous surpasse.

L’émerveillement bouscule notre cadre de pensée, fait appel à la surprise et au mystère.

Lorsque Tim Urban raconte l’histoire de la conquête spatiale et la volonté d’Elon Musk de faire de l’espèce humaine une espèce multi-planétaire, on est stupéfait.

Lorsque Tim Urban explique le paradoxe de Fermi et tente de répondre à la question : “scientifiquement, il devrait y avoir une centaine de milliers de civilisations intelligentes d’aliens différentes autour de nous, dans l’espace. Alors pourquoi n’en n’avons nous trouvés aucune ?”, on est bouche-bée devant l’immensité de ce mystère et de ses implications.

Lorsque Tim Urban décrit les évolutions probables que connaîtront les intelligences artificielles que nous développons aujourd’hui, on est à la fois ébahi, terrifié et ébloui.

Les articles de WaitButWhy déclenchent l’émerveillement, de par :

  • la complexité des sujets traités
  • les avancés et implications qu’ils parviennent à vulgariser
  • la simplicité de compréhension des théories les plus épineuses
  • leur longueur, leur qualité et leur traitement unique

C’est exactement l’effet que recherche Urban : “if you can blow someone’s mind–really, genuinely blow it, again in a really well-written way–then that’s something they want to share.”

Conclusion

Le succès exceptionnel que connaissent les articles de Tim Urban s’explique assez bien. La sauce secrète qui se cache derrière le blog WaitButWhy n’est finalement pas si mystérieuse que cela.

Pour autant, elle est loin d’être simple à reproduire.

Les articles s’appuient sur des fondations que Tim Urban a mis plusieurs années à développer : un style et un ton unique, une capacité de synthèse hors-norme et une facilité à aller en profondeur sur des sujets très complexes.

Enfin, j’insiste sur un dernier point, le modèle économique sur lequel repose WaitButWhy. À savoir le financement participatif et direct par les lecteurs, via Patreon. C’est un modèle extrêmement sain pour un créateur.

Tim Urban ne dépend pas d’un annonceur ou d’une quelconque entité externe. Il n’a pas d’incitation à faire du clic et à booster artificiellement son trafic.
Il peut se permettre de se concentrer sur une seule chose : satisfaire ses lecteurs.

Il dépend uniquement des gens qui le lisent et peut se concentrer sur ce qu’il sait faire de mieux : écrire des articles exceptionnels.

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