Le VIH chez les hommes trans

Vic Kino
9 min readNov 7, 2021

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Les hommes trans sont absents de la prévention contre le VIH/Sida depuis le début de l’épidémie. Les études concernant la prévalence du VIH dans cette population sont rares, contrairement au femmes trans. Pourtant, comme toute autre catégorie de population, les hommes trans, indépendamment de leur orientation sexuelle, sont concernés. Qu’en est-il vraiment ? Quels sont les chiffres concernant le VIH chez les hommes trans ? Est-ce une population plus à risque que les autres, au même titre que les femmes trans ? Quels sont les moyens dont disposent les hommes trans pour se protéger du VIH ?

Une population à risque ?

Il est difficile d’obtenir des chiffres concernant l’orientation sexuelle des personnes trans. Cependant, on sait que les hommes ayant des rapports avec des hommes (HSH) est le groupe le plus touché par le VIH en France (44% des nouvelles découvertes de séropositivité en 2017) juste devant le groupe des hommes hétérosexuels nés à l’étranger (39%), et les hétérosexuels nés en France (15%). Les usagers de drogue injectables représente 1% des nouvelles infections (plusieurs études démontrent également un taux plus élevé d’addiction aux substances chez les personnes trans, notamment les plus jeunes, que dans la population générale). Les hommes trans ayant des relations avec des hommes (cis du moins) seraient donc légèrement plus à risque, alors que la représentation du couple homme trans + femme cis est encore très importante et présente dans l’imaginaire collectif.

Une étude réalisée en 2005 démontre sur un échantillon de 62 hommes trans que ces derniers sont moins enclins à utiliser un préservatif que les femmes trans. Cela rejoint le fait que les personnes trans ne se considèrent pas ou peu à risque de contracter le VIH, conséquence de l’invisibilité des personnes trans dans les campagnes de prévention et d’information notamment.

Notons également que l’accès aux soins pour les personnes trans, même en France, peut s’avérer difficile. Selon une étude réalisée en 2011 par l’association Chrysalide, 63% des personnes trans auraient renoncé à des soins par peur des préjugés ou de transphobie de la part des professionnels de santé. Les médecins spécialistes comme les gynécologues sont peu à être formés sur la transidentité et les hommes trans, par appréhension, auront également plus de mal à aller consulter en cas de problème de santé sexuelle.

Les personnes trans migrantes (notamment les femmes trans) sont également plus touchées par le VIH, et par conséquent, selon leur statut de résidence en France, auront plus ou moins accès aux soins également.

Il n’y a actuellement pas de chiffres sur la détention des hommes trans, mais considérant que la prévalence du VIH dans le milieu carcéral est d’environ 2% en France, soit 2 à 4 fois supérieure que dans la population générale, nous pouvons estimer que les hommes trans incarcérés (notamment quand ils le sont dans les quartiers pour hommes) sont également plus à risque, pour cause le manque de prévention et d’accès aux soins en prison entre autres.

Un autre facteur de risque plutôt méconnu qui tend à se développer de plus en plus, notamment chez les plus jeunes et qui a déjà été médiatisé au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, mais qui est aussi existant en France, est la prise de testostérone par injection façon “pirate”, c’est-à-dire de façon auto-administré, soit par partage d’ampoules avec d’autres personnes trans ou par achat de la testostérone sur le marché gris. Une étude américaine publiée en 2020 révèle en effet que 1 personne trans américaine sur 10 se tourne vers internet pour acheter son traitement hormonal. D’après un sondage de l’association Fransgenre, sur un échantillon de 276 répondants, dont 96 personnes transmasculines, 3 ont répondu s’être procuré un traitement hormonal sans ordonnance, chiffre qui est évidemment sous estimé.

Cette auto-utilisation du traitement hormonal est dûe à plusieurs facteurs dont les difficultés d’accès aux soins que rencontrent les personnes trans, notamment dans le parcours public, car les délais pour obtenir le traitement sont souvent longs, et l’accès à une prise en charge pour les mineurs trans reste trop exceptionnelle. Ainsi, il est nécessaire de faire circuler des messages de réduction des risques dans ces cercles, afin que ces personnes, notamment les plus jeunes, soient au fait conernant l’utilisation du matériel d’injection.

Si la représentation des personnes vivant avec le VIH aujourd’hui en général est encore trop peu présente en 2021, et celle des personnes trans étant encore trop caricaturale, celle des hommes trans séropositifs est inexistante. Outre Atlantique, nous pouvons cependant citer Lou Sullivan, homme trans et gay séropositif, mort du Sida en 1991. Cette invisibilité renforce l’idée que le VIH ne concerne pas les hommes trans, d’autant plus que le VIH est encore, dans la société en général, fortement associé à la communauté gay (cis en l’occurrence), notamment pour les plus jeunes.

Il est donc assez difficile de déterminer si les hommes trans sont plus à risque que d’autres populations d‘être infecté par le VIH ou non, d’autant qu’ils sont invisibles dans les études statistiques et épidémiologiques sur la question.

Ce que disent les statistiques

Selon plusieurs études de Herbst, Jacobs et al. (qui reconnaissent le manque de précisions et de données concernant le VIH chez les hommes trans) réalisées entre 1996 et 1999 (donc juste après l’apparition des traitements antirétroviraux), le taux de prévalence du VIH serait de 2% dans la population des hommes transgenres américains, un taux bien inférieur comparé à celui des femmes trans, mais à l’époque de 2 à 5 fois plus important que celui de la population générale. Ce chiffre ne concerne néanmoins seulement les personnes qui ont eu accès à des centres de soins à ce moment T. Un rapport de 2017 de Coalition Interagence Sida et Développement (Canada) confirme que ce taux oscille entre 0 et 4% selon les études, affirmant le besoin de recherches approfondies. Selon le bulletin d’été 2016 REACT’UP par Act Up-Paris, “les estimations les plus hautes proviennent d’échantillons extrêmement restreints. Sur l’étude menée sur l’échantillon le plus conséquent, l’estimation de la prévalence parmi les hommes trans est de l’ordre de 0,5 %”.

En France, aucune étude ne semble rendre compte de la prévalence du VIH chez les hommes trans. Comme dans beaucoup d’études étrangères également, la prévalence est étudiée dans l’ensemble de la population trans, sans distinction entre les hommes trans et les femmes trans. Ainsi, les femmes trans étant une population très touchée par le VIH (la prévalence s’élevant à 19% en 2013 dans ce groupe selon une méta-analyse regroupant 15 pays), les chiffres de ces études très générales sont élevés, mais sont insignifiants pour étudier le sujet du côté des hommes trans.

Séropositivité et traitement hormonal

Si l’on sait que certains traitements VIH peuvent interagir avec les traitements hormonaux des femmes trans en réduisant leurs effets féminisants, il y a très peu de données sur l’interaction entre la testostérone et les traitements antirétroviraux. Cependant, les chercheurs s’accordent sur la nécessité pour les personnes trans vivant avec le VIH d’être suivies à la fois dans le cadre de leur traitement VIH et à la fois dans le cadre de l’hormonothérapie. Certaines recommandations américaines visent également à faire effectuer un test de grossesse aux personnes trans ayant la possibilité d’enfanter avant de commencer un traitement antirétroviral.

Se protéger du VIH en tant qu’homme trans

*Ce qui suit sont seulement des conseils, qui n’ont pas pour but d’être moralisateurs mais bien à but informatif et préventif.

Les hommes trans, comme le reste de la population, peuvent donc aussi être exposés au VIH, et il existe aujourd’hui plusieurs moyens de s’en protéger.

Pour les hommes trans (ayant des relations avec des hommes cis ou trans et avec des femmes cis ou trans), les préservatifs internes et externes peuvent être utilisés (en changer après chaque pénétration, même avec le même partenaire). Les digues dentaires, pour les rapports impliquant une personne ayant une vulve protègent également du VIH et des autres IST (Infections Sexuellement Transmissibles). Ces protections valent aussi bien pour les rapports oraux (fellation) que pour les rapports vaginaux ou anaux.

Il est également recommandé de laver les prothèses et les sex-toys après chaque pénétration, même avec le même partenaire.

La PrEP (prophylaxie préexposition) peut également être prescrite aux hommes trans. Ce médicament antirétroviral permet aux personnes séronégatives d’avoir des relations sexuelles non-protégées sans risquer de contracter le VIH (mais elle ne protège pas des autres IST). Elle peut se prendre en continu (tous les jours) ou avant chaque rapport. Elle peut être prescrite depuis peu par un médecin généraliste mais aussi dans un des Centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD) ou éventuellement dans un Planning Familial. D’après plusieurs témoignages d’hommes trans gays, certaines médecins refusent de leur prescrire la PrEP, car ils ont souvent, par méconnaissance ou transphobie, du mal à concevoir l’homosexualité des hommes trans. Il est donc nécessaire de rappeler que la PrEP peut être prescrite à toute personne qui en fait la demande.

Il est également conseillé, si vous avez plusieurs partenaires et/ou que vous avez des relations sexuelles non-protégées, de faire un dépistage tous les 3 mois (pour le VIH mais aussi pour les autres IST). Depuis peu, le dépistage VIH est accessible gratuitement et sans ordonnance dans les laboratoires de biologie médicale.

Si vous avez eu une relation sexuelle non-protégée, vous pouvez vous rendre aux urgences et demander un TPE (Traitement Post-Exposition), de préférence dans les 48h suivant la prise de risque.

Rappelons également que les personnes vivant avec le VIH sous traitement ne peuvent pas transmettre le virus, car leur charge virale, c’est-à-dire la quantité du virus dans le sang, est dite indétectable. C’est le principe du TasP.

En conclusion

La transmission et la prévalence du VIH chez les hommes trans sont encore mal connues. Les études sont peu nombreuses et ainsi, les chiffres parfois trompeurs ou non fiables. Les hommes trans sont pourtant également à risque, notamment les hommes trans ayant des relations avec des hommes, ainsi que les hommes trans migrants ou détenus.

La prévention n’est pas tournée vers les hommes trans, alors que des moyens existent pour qu’ils puissent se protéger du VIH, au même titre que les autres catégories de population.

Ressources

Association Safe (qui livre gratuitement des kits d’injection propres)

Guide de l’association OuTrans à destination des FT* et leurs amants

Annuaire des Cegidd

Sida Info Service

Act Up Paris

Planning Familial

AIDES

Actions Traitements

Le 190 — Centre de santé sexuelle Paris

Le Kiosque

SidAccueil Normandie

Supersero

Seropo.fr

Sources :

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“Les personnes trans”, Prévenir ANRS.

“VIH/sida, séropositivité et transition”, santetranshealth.org

REACT’UP, bulletin été 2016, Act Up Paris, 2016.

“Le VIH parmi les personnes trans”, Coalition Interagence Sida et Développement, 2017.

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“La PrEP”, AIDES.org.

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“Why are trans men invisible in HIV prevention & care?”, Shawn Demmons, San Francisco AIDS Foundation, 10/07/2019.

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