Quand le numérique rencontrera le cancer ?

Vivian Sarazin
12 min readJan 3, 2019

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Lundi 24 septembre 2018, 18h28, ma mère m’appelle.
Elle m’annonce qu’elle est atteinte d’un cancer.
Ma vie bascule.

Toutefois, à l’heure où j’écris ces lignes, les nouvelles sont bonnes.
Son opération fut un succès.
Le combat continue. L’espoir est de mise.

L’idée de ce billet est donc de partager avec vous toutes les actions qui nous ont amenés sur cet heureux mais précaire dénouement, et comment le numérique, dans un sens très large, pourrait apporter des solutions.

Afin de vous donner une grille de lecture à la fois claire et impartiale, je ne citerai aucun nom, aucune ville. Mon histoire est malheureusement semblable à beaucoup d’autres. Attachons nous au cœur du problème, pas à ses détails.

Je rappelle également ici que je ne fais partie d’aucun corps médical. Pour cette raison, je ne me permets pas d’émettre un quelconque jugement sur ce volet.

Je souhaite juste partager mon sentiment ainsi que mon œil neuf sur ce fléau.

Restons classique, attaquons déjà par quelques chiffres :

2004

Depuis cette année le cancer est la première cause de mortalité en France.

400,000

Nouveaux cas pour la seule année 2017.

1 sur 6

Un décès sur six dans le monde est en lien avec le cancer.

Source : Fondation Arc & OMS

Informé le lundi, je démissionne de mon entreprise et rallie ma petite ville natale le plus vite possible.

Une première opération est envisagée.

Il nous est demandé de nous présenter la veille afin de procéder à l’hospitalisation. Le personnel hospitalier n’est pas au courant.

Comme malheureusement bien trop souvent dans beaucoup d’hôpitaux, le personnel est aimable mais mal informé. Bon an, mal an, nous arrivons à nos fins.

Le chirurgien vient nous voir et nous détaille son plan d’attaque pour demain.
L’idée est d’extraire la tumeur si les conditions le permettent.

Le lendemain matin, ma mère part au bloc et revient quelques heures plus tard. L’absence de drains nous fait comprendre rapidement que le chirurgien n’a pas pu extraire la maladie.

Je suis tout de même surpris que personne ne nous explique la situation.

D’un naturel optimiste, j’imagine que le chirurgien a peut être pu réaliser son travail, ne nous inquiétons pas.

Puis, les heures passent, sans qu’on ait de nouvelles.
Pas de nouvelles, bonnes nouvelles, n’est-ce pas ?

C’est seulement 6h30 plus tard que nous apprenons qu’effectivement le chirurgien n’a pas pu procéder à la chirurgie première.

En réalité, le chirurgien sort tout justedu bloc. Il n’est pas loin de 22 heures.
Sachant que la veille le chirurgien était déjà de garde de nuit, un premier doute quant à l’utilisation des ressources humaines s’installe.

La suite n’est pas réjouissante. Selon lui, la maladie s’est propagée au delà du premier périmètre défini. Sa stratégie, avalisée en équipe (RCP), serait de réaliser une chimiothérapie néo-adjuvante afin de faire réduire la tumeur, et ainsi, faciliter l’opération future.

Je suis accablé. Je rejoins mon meilleur ami pour “fêter” mes 30 ans. On mange des sushis.
Drôle de timing.

Le lendemain, je retourne à l’hôpital. Le moral n’est pas au beau fixe.

Quelle est la suite des opérations ? Pouvons-nous rentrer chez nous ? Devons-nous attendre ? Personne ne nous renseigne. Le médecin du service n’a pas à sa disposition les informations concernant ma mère.
Il est comme moi finalement, il ne sait rien.

Je demande donc si ma mère peut partir. Étant donné que l’opération de la veille s’est limitée à de simples prélèvements, je me dis que c’est jouable. De toutes façons ma mère souhaite quitter l’établissement le plus rapidement possible.

Comme depuis le début, personne ne sait. Les consignes n’étant pas transmises, le chirurgien encore au bloc, pour encore une très grosse journée bien sûr, nous décidons de prendre les devants et de partir.
Une échographie de contrôle plus tard et nous voilà dehors.

Durant ces pérégrinations, j’ai eu le temps de me plonger dans le dossier médical de ma mère.

C’est un amas empirique de documents, de résultats, d’examens radiologiques. Tout ceci me semble bâclé.
Mais qui suis-je pour juger ? Qui apprécierait mettre de l’ordre dans ces fichiers tout aussi indigestes que défavorables ?

De plus, je me rends compte qu’il a fallu 4 mois à ces différents professionnels de santé pour diagnostiquer cette tumeur.

Je tombe des nues. Cette situation me révolte et me donne l’énergie nécessaire pour réaliser la première étape de notre nouveau plan d’attaque :

Trier ce dossier et le numériser en vue de le partager à des experts.

Même si c’est illégal*, je scanne ce dossier avec une nomenclature claire et le charge dans un dossier Google Drive.

Oui, je sais ce que certains ici peuvent penser, Google pourrait être malveillant et utiliser ces données.
Si vous deviez conduire en urgence quelqu’un de proche à l’hôpital, vous n’auriez cure des feux rouges, stops et clignotants oubliés. Et vous auriez raison !
Si cette analogie ne vous convient pas, à vous de vous en inventer une autre.

Deux heures plus tard, le dossier est constitué. Maintenant il me faut cibler les professionnels de santé compétents. Cela ne servirait à rien d’inonder des centaines de boîtes mails, et s’avérerait très probablement contre-productif.

Afin de me renseigner sur ce nouveau sujet, je m’enquiers de consulter les différentes publications de la Haute Autorité de Santé.
La production de ces rapports est soumise à une méthodologie stricte.
Le site https://www.has-sante.fr sera ma lecture du soir.

Tout au long de cette studieuse exploration, je consigne les prénoms, noms et hôpitaux des praticiens me semblant être les plus à même de s’occuper de ma mère.
C’est en faisant ce travail ingrat que je me rends compte qu’un réseau national existe pour traiter le cancer.
Ce réseau est réparti en centre experts nationaux et régionaux.
J’affine ma liste avec des centres proches.

À compter de maintenant il nous faudra plusieurs avis.

Mes mails envoyés, j’imagine qu’il faudra que je m’arme de patience et que je dégaine mon téléphone plusieurs fois par jour afin de fixer un rendez-vous.

J’ai eu faux sur toute la ligne.

Il aura fallu 39 minutes pour que je reçoive une proposition de rendez-vous. De la part d’un centre expert national, par dessus le marché.

Les autres centres m’ont répondu dans la journée ou le lendemain. Toujours pour nous proposer leur aide (rendez-vous ou suivi à distance), et ce dans les délais les plus brefs.

Le tout avec une bienveillance et une compassion plus que bienvenues.

Quelle joie ! Moins de 24h après notre départ de l’hôpital, nous recevons des réponses positives de professeurs/docteurs reconnus dans ce domaine.

C’est ainsi que la semaine qui a suivi nous avons rencontré 3 centres experts différents.

La qualité du traitement de notre demande, le sérieux des rendez-vous, la clarté des informations nous ont laissés pantois. Ces différentes sensibilités nous ont aussi permis de mieux comprendre cette maladie et surtout, comment la contrer.

Lors de notre premier rendez-vous, dans un centre expert national, nous nous sommes mêmes vus proposer un essai thérapeutique.

Imaginez notre joie.

Nous passons d’un premier centre hospitalier incapable d’opérer mais surtout de diagnostiquer convenablement une tumeur à un centre spécialisé dans le cancer éligible à des essais thérapeutiques.

La fracture est immense entre l’hôpital de ma ville de naissance et ce centre expert national. Sur cette pathologie, un monde les sépare.

Dans le deuxième centre spécialisé, finalement celui que nous avons choisi, l’essai thérapeutique (chirurgical) ne nous était pas accessible. En cause le diagnostic initial qui ne permettait pas l’éligibilité.
En effet, les essais thérapeutiques sont soumis à des méthodologies strictes. Dans notre cas il n’était pas possible d’y accéder car l’origine précise de la tumeur n’a pas été décelée.

Au troisième centre spécialisé, fort des deux avis précédents, nous avons pu avoir un échange des plus intéressants avec l’oncologue. Nous avions progressé dans notre compréhension et dans l’attitude à adopter envers les professionnels de santé.

Durant ces jours, notre plus grosse difficulté fut de récupérer un examen complémentaire crucial pour nous permettre d’adopter la bonne stratégie.

Ce document était le résultat d’une biopsie.

Une biopsie est le prélèvement d’une très petite partie d’un organe ou d’un tissu pour effectuer des examens concernant un être vivant.

J’ai bataillé pendant des jours pour récupérer ce document, mais jen’y suis pas arrivé. En tout cas, pas à temps pour le premier centre.

J’ai dû ruser et déclarer que le Dr XXXXX(référent de notre second centre) en avait besoin et ce dans les plus brefs délais.

Lorsque ce docteur m’a communiqué ce document, je me suis rendu compte qu’il était disponible depuis trois jours.

Voilà ce qui constitue pour moi un drame sans nom.

Un document, d’une importance capitale, n’est pas disponible, et ce sans raison valable. Des mails, des dizaines d’appels : rien n’y a fait.

Nous sommes bien en 2018 dans la 6ème puissance mondiale. Normal.

Oui mais…

C’est bien là que le bât blesse.

La France n’est que la 25ème puissance mondiale dans le numérique.

Source : https://www.businessinsider.fr/classement-imd-30-pays-competitivite-numerique/

Et là, on comprend pourquoi.

Les structures publiques ne sont pas équipées comme elle devraient l’être. Les stratégies des décennies précédentes n’ont pas été efficaces.

Vous ne voyez pas encore bien le propos ? Je vais vous donner un autre exemple.

Lors de ma phase de contact avec ces fameux centres experts, j’ai aussi pu échanger par téléphone avec un centre qui n’avait pas la capacité d’ouvrir des sites externes. Exit donc mon dossier Google Drive.

J’ai dû envoyer le dossier médical de ma mère par fax.

En effet, dixit le service oncologie, le fax est sécurisé, pas le mail.

Merci pour le tuyau.

Je conseille tout de même cette lecture avant de se prononcer sur ce genre de choses.

Ces anecdotes sont symptomatiques d’un dogme médical Français :

Le légal l’emporte sur la technologie.

Je voudrais juste préciser plusieurs choses :

  1. Heureusement que des entités protègent nos données. Je suis d’ailleurs ravi de savoir que la CNIL tente de protéger aussi bien mes données.
  2. Je comprends que ce sujet est épineux et qu’il est nécessaire d’être rigoureux. Les enjeux sont immenses.

Néanmoins, mettre en avant le légal en lieu et place du moral, ça ne vous rappelle rien ?

Pour moi, une analogie peut être faite avec ce que nous entendons sur les paradis fiscaux.

C’est légal, faute de quoi ça ne pourrait pas marcher. Mais, est-ce que c’est moral ?

Là est la subtile différence entre évasion et optimisation fiscale.

Légal ou moral : à vous de choisir.

Le soucis qu’on rencontre avec ce type de dogme, c’est l’accommodation de ceci.

Vous ne pouvez imaginer le nombre de :

“C’est comme ça… la la la la…”

que j’ai pu entendre, alors que je ne souhaitais qu’une chose : rassembler des documents.

Vous aussi vous connaissez la chanson ?

Mais, ôtez-moi d’un doute, quelle est l’utilité de bloquer des données quand vous ou un de vos proches est en danger ? Qui plus est lorsque ces données ne concernent que vous ?

Vous verrez par la suite de ce billet que ce point est l’une des racines les plus tenaces qui freine l’innovation numérique dans le domaine médical.

Cependant, je voudrais ici remercier tous les professionnels de santé qui œuvrent anonymement, quotidiennement à aider les personnes affectées et leur entourage.

Salut à toi sécurité sociale !

Toutefois, des initiatives existent ou tendent à se développer. Je vais tenter ici de présenter succinctement les principaux projets actuels qui pourraient avoir une incidence positive contre le cancer.

Si vous connaissez des dispositifs supplémentaires qui mériteraient d’être ajoutés dans cette liste, merci de me les indiquer en commentaires.

Le Dossier Médical Partagé

Le dossier médical partagé est un projet public lancé en France par le ministère de la Santé visant à ce que chaque Français dispose d’un dossier médical informatisé reprenant toutes les données médicales du patient.

Le DMP ressemble comme deux gouttes d’eau au dossier Google Drive de ma mère non ?

À la différence près que le DMP est totalement indigeste.

Alors oui, je pense qu’il est mieux sécurisé, mais quand vous êtes dans l’urgence c’est un peu compliqué de passer autant de temps sur une plateforme à l’expérience utilisateur aussi mauvaise.

Mais le DMP est probablement un excellent exemple de conduite de projet NTIC dans la sphère Sécurité Sociale.

Je m’explique : après avoir religieusement lu l’historique du DMP on est en droit d’être en colère.

Le projet est officiellement lancé en 2004. Alors que les premières traces de son imagination remontent à …

1968.

En termes de coût on est pas mal aussi : 500 millions d’€uros, minimum.

Je vais m’arrêter là. Je suis de bonne humeur aujourd’hui.

Si vous souhaitez plus de détails sur ce serpent de mer, je vous conseille cette lecture.

Watson

Changement d’ambiance. Voyons voir ce qu’il se passe outre-Atlantique chez nos amis philanthropes d’IBM.

IBM a développé une Intelligence Artificielle, dénommée Watson, qui serait entre autres, capable de détecter les cancers plus vite et mieux que l’humain.

Bien que l’idée soit louable, nous sommes encore loin du compte. Watson a encore besoin de beaucoup de données pour être fiable.

Clinical Trials

Toujours aux U.S.A., l’agence nationale de lutte contre le cancer a mis en place une base de données publique recensant tous les essais cliniques en cours dans le monde.

Principal avantage, cette dernière est accessible via une Application Programming Interface (API).

C’est peut être un terme un peu barbare si vous n’êtes pas initié au verbiage informatique, mais pour simplifier il est possible de créer une application en utilisant ces données.

Le pendant européen, EU Clinical Trials Register, n’est pas encore au niveau et ne dispose pas, bien évidemment, d’API.

Est-ce la peine de mentionner ce qu’on fait en France ?

Poser la question c’est déjà y répondre.

ConSoRe

Ne soyons pas mauvaise langue. Des projets très intéressants se développent aussi en France.

Celui qui a attiré mon attention c’est le projet ConSoRe soutenu par Unicancer, l’organisme de référence en France.

ConSoRe est, je cite : “…sorte de Google des données de santé, capable de retrouver des informations disséminées dans le texte de centaines de milliers de dossiers des patients des Centres de lutte contre le cancer.”

Comment ne pas saluer cette initiative ? Il ne faut pas être un oncologue expérimenté pour comprendre que des données, qui valent de l’or, sont là, sous nos yeux, mais que rien ne centralise l’ensemble.

Il semblerait que d’autres personnes soient d’accord avec moi : le papier est muet.

Le seul bémol sur ce projet, c’est que seulement 5 centres en France sont équipés. Alors que c’est l’essence même du Big Data : la masse de données sous-tend sa fiabilité et sa puissance.

Je peux paraître acerbe, mais encore une fois, ne voyez-vous pas le mal qui nous ronge au plus profond ?

Unicancer cite Google, un géant américain, pour faire une analogie sur son produit. Car elle ne peut citer son homologue français ou même européen. Pour la simple et bonne raison qu’il y en a pas, en tout cas pas au niveau de la firme de Mountain View.

La France et, dans une plus grande mesure l’Europe, n’ont pas été capables d’accompagner des entreprises du calibre des GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple & Microsoft).

Et croire que seuls les américains en sont capables est une grave erreur.

Quid des BATX (Baidu, Alibaba, Tencent & Xiamoi) chinois ?

Les européens payent durement des décennies de mauvais choix stratégiques de la part des ses politiciens incapables de proposer une stratégie cohérente avec les besoins et les enjeux auxquels nous devons faire face.

Devons-nous gentiment patienter que nos politiques se réveillent et inversent la tendance ?

Même si une stratégie ambitieuse était mise en place, il faudrait attendre une décennie avant d’en ressentir les premiers effets positifs.

Il est probable que cette stratégie ait été déjà adoptée. Personnellement, j’en doute.

Est-ce une raison valable pour se résoudre à cette situation ?

J’en doute encore plus fort.

Rompu à la culture tech. & start-up, je suis intimement convaincu que les start-up ont aussi cette responsabilité sociétale. Celle de s’avancer là où les entreprises traditionnelles n’en sont pas capables.

Si les pouvoir publics sont trop lents, à nous, pirates du code et autres corsaires du pixel, de relever le défi.

Cet article n’est, en définitive, pas un énième pavé dans la mare. C’est aussi, je l’espère, un début de “quelque chose”.

Ce “quelque chose” pourrait se transformer, dans les prochaines semaines, en une association loi 1901 à but non lucratif, reconnue d’utilité publique (dans un second temps).

La mission de cette association : combattre le cancer grâce au numérique.

Je souhaite donc à présent rassembler principalement des professionnels :

  • tech (développeurs, data scientist, chef de projet, UX designer etc .)
  • de santé (oncologue, chirurgien, infirmier, médecin etc .)
  • juridique (données, médical etc .)

autour de cette mission.

Un exemple d’application qui serait potentiellement réalisable :

Connecter les patients avec les essais cliniques via le Dossier Médical Partagé.

En effet, avant même de parler d’Intelligence Artificielle ou d’autres sujets très sophistiqués, des simples connexions pourraient permettre d’avoir un effet positif sur cette pathologie.

Connecter les patients avec la recherche c’est :

  • Permettre au patient une prise en charge appropriée, dans un centre expert sur sa pathologie
  • Faire avancer la recherche en réduisant les temps de recrutement

Si cette article a suscité votre attention et que vous souhaitez allouer du temps et de la bonne énergie dans cette future association, n’hésitez pas à m’écrire un mail (vivian.sarazin@gmail.com). Je vous répondrai sous 24h.

Si toutefois le temps vous manque mais que vous voulez participer à la cause, un simple relais de cet article sur vos réseaux sociaux est déjà d’une grande aide.

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