A J-70, quel est le profil des principaux électorats potentiels à la présidentielle ?

Yves-Marie Cann
9 min readFeb 10, 2017

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Après la victoire de Benoît Hamon aux primaires citoyennes, une nouvelle page de la campagne présidentielle s’écrit. Les incertitudes sur l’offre électorale se réduisent, beaucoup dépend désormais de la capacité des candidats annoncés à réunir les 500 parrainages requis pour concourir au premier tour. Reste aussi en suspend la décision de François Bayrou, qui entretient volontiers le flou sur sa participation au scrutin. Et si François Fillon reste affaibli par les soupçons d’emplois fictifs , la perspective d’un retrait de sa candidature semble désormais s’éloigner. Dès lors, les premières enquêtes d’intentions de vote permettent d’établir avec davantage de précision l’état des forces politiques en présence, et surtout d’analyser plus en profondeur le profil des principaux électorats potentiels, pour mieux comprendre les ressorts des dynamiques en cours.

A 70 jours environ du premier tour de l’élection présidentielle, le rapport de forces politiques s’avère loin d’être fixé, la forte volatilité des intentions de vote publiées ces deux dernières semaines en témoigne. Ces mesures permettent toutefois un premier un état des lieux, que synthétise le graphe ci-dessous, établi sur la base du cumul de trois enquêtes successives réalisées par Elabe, du 30 janvier au 8 février et portant sur un échantillon global composé de 2 946 personnes inscrites sur les listes électorales. Notons que ce graphe présente la particularité de présenter les résultats sur une base “non-exprimées”, de façon à visualiser un rapport de forces politiques prenant en compte les personnes interrogées n’exprimant, à date, aucune intention de vote (soit 9,3% de l’échantillon).

Moyenne des intentions de vote de premier tour mesurées par Elabe du 30 janvier au 8 février (base non exprimée : ensemble des inscrits sur les listes électorales, soit 2 946 personnes)

Alors que la campagne présidentielle va progressivement gagner en intensité, Marine Le Pen paraît, à ce stade, solidement ancrée en première position, avec près de 24% des intentions de vote recueillies. Elle devance de 4 points Emmanuel Macron. Ce dernier tutoie désormais les 20%, devant François Fillon (16%) dont la candidature est affaiblie par les affaires. Vient ensuite Benoît Hamon (13,3%) qui, profitant de la dynamique des “Primaires citoyennes”, prend l’ascendant sur Jean-Luc Mélenchon (10,9%). Toutes les autres candidatures testées obtiennent un score inférieur à 5%, au premier rand desquelles figure Français Bayrou (3,6%) et Nicolas Dupont-Aignan (1,5%).

Nous ne le répéterons jamais assez : les rapports de forces politiques mesurés dans les enquêtes d’intentions de vote n’ont pas vocation à prédire les résultats de l’élection à venir. Il faut prendre les sondages pour ce qu’ils sont, pas pour ce que l’on aimerait qu’ils soient. Ce qui importe ici, ce sont d’une part les dynamiques mises à jour, et d’autre part les éclairages qu’elles permettent d’apporter sur le profil des électorats potentiels. C’est l’avantage que procure notre cumul de trois enquêtes : en partant d’un échantillon large (2 946 personnes interrogées), il est possible d’analyser avec précision les intentions de vote exprimées par grandes catégories de population. A ce titre, nous avons retenu quelques variables clés : la classe d’âge, la situation professionnelle et la catégorie socioprofessionnelle (en y reclassant les retraités selon leur ancienne profession), le niveau de diplôme et enfin le type de commune de résidence. Notre focus porte sur les trois principaux électorats de la période (du 30 janvier au 8 février) : Marine Le Pen, Emmanuel Macron et François Fillon.

Note de lecture : Marine le Pen recueille 24,5% des intentions de vote exprimées par les personnes âgées de 18 à 29 ans, contre 27,5% chez celles âgées de 30 à 39 ans.

La structuration des intentions de vote par classes d’âge (graphe ci-dessus) confirme une tendance régulièrement observée pour le vote Front national, ici incarné par Marine Le Pen. Celle-ci obtient en effet ses meilleurs résultats au sein des classes d’âge qui constituent le cœur de la population active : 27,5% chez les 30–39 ans et jusqu’à 29,6% (son meilleur score toutes classes d’âge confondues) chez les 40–49 ans. Sa percée chez les plus jeunes se confirme confirmée : elle est créditée de 24,5% chez les 18–29 ans. En revanche, elle ne parvient toujours pas à s’ancrer chez les seniors : seuls 14,5% des personnes âgées de plus de 65 ans expriment une intention de vote pour Marine Le Pen, près de 10 points en dessous de sa moyenne nationale.

Emmanuel Macron se caractérise par la relative homogénéité de ses scores d’une classe d’âge à l’autre, ses intentions de vote oscillant autour des 20% (sa moyenne nationale), avec toutefois une pointe à 22,6% chez les plus âgés. Tel n’est pas le cas pour François Fillon qui présente ici la structure la plus atypique des trois principaux électorats. Avec 29,8% des intentions de vote, il performe chez les plus de 65 ans, qui lui restent largement acquis. Ses scores s’avèrent en revanche très mauvais au sein des classes d’âge inférieures, en particulier chez les jeunes : 9,2% chez les 18–29 ans et seulement 7% chez les 30–39 ans, parmi lesquels il atteint un niveau plancher.

François Fillon pâtit de la désertion des classes d’âge regroupant l’essentiel de la population active et, à ce titre, le clivage opposant les actifs aux retraités s’avère pour le moins significatif (graphe ci-dessous). Le vainqueur de la primaire de la droite et du centre en novembre recueille seulement 11,3% des intentions de vote chez les actifs, alors qu’il caracole en tête des préférences exprimées par les retraités, à 27,1%. A l’inverse, mais en toute logique compte-tenu des résultats observés par classes d’âge, Marine Le Pen est au plus haut chez les actifs (27,2%) alors qu’elle peine à convaincre les retraités (17,2%). Emmanuel Macron se distingue à nouveau des deux autres candidats par des scores relativement homogènes, en faisant quasiment aussi bien chez les actifs que chez les retraités.

Note de lecture : François Fillon recueille 27,1% des intentions de vote chez les cadres et les professions intellectuelles supérieures contre 7,4% chez les ouvriers.

Les intentions de vote pour François Fillon se caractérisent aussi par une fracture socioprofessionnelle caractérisée. Avec seulement 7,4% d’intentions de vote auprès des ouvriers, il obtient sur ce segment un score cinq fois mois élevé que Marine Le Pen (39,3%) et près de deux fois moins élevé qu’Emmanuel Macron (13,7%). Après deux semaines sous le feu des “affaires”, les dégâts provoqués s’avèrent importants auprès des catégories populaires, alors qu’elles avaient largement contribué au succès de Nicolas Sarkozy en 2007. Dès lors, l’électorat potentiel de François Fillon se recrute avant tout sur l’échelon le plus élevé de l’échelle socioprofessionnelle : il recueille 27,1% chez les cadres et les professions intellectuelles supérieures. Les professions intermédiaires, à forte proportion de salariés du secteur public (santé, éducation) et probablement échaudées par la promesse de la suppression de 500 000 emplois publics d’ici à 2022, manifestent elles aussi leur distance avec le candidat de la droite et du centre.

Une fracture socioprofessionnelle se fait également jour au sein de l’électorat potentiel de Marine Le Pen, mais il s’agit ici d’un grand classique du vote frontiste. La candidate du Front national enregistre ses meilleurs scores chez les ouvriers, avec 39,3% des intentions de vote recueillies, mais ne parvient pas à percer chez les cadres et les professions intellectuelles supérieures (12%). Cette fracture s’avère toutefois compensée par de bonnes performances auprès des employés (21,8%) et surtout des professions intermédiaires (24,5%), lesquelles correspondent au noyau dur des classes moyennes. Cette strate, que l’on sait de plus en plus fréquemment gagnée par le sentiment de déclassement, bascule progressivement dans le giron du FN, au fur-et-à-mesure que son emprise remonte par capillarité sur l’échelle sociale.

Quant à Emmanuel Macron, il surprend, là encore, par la relative homogénéité de ses scores, par comparaison avec Marine Le Pen et François Fillon. Il recueille ainsi près de 20% des intentions de vote chez les employés, et près de 24% chez les cadres et les professions intermédiaires. Seuls les ouvriers apparaissent sur la réserve, 13,7% d’entre eux exprimant toutefois une intention de vote en faveur de l’ancien ministre de l’Economie (à un niveau comparable à ceux de Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon : 13,1% chacun).

Note de lecture : 16,5% des titulaires d’un diplôme inférieur au baccalauréat expriment une intention de vote pour Emmanuel Macron, contre 24% des titulaires d’un diplôme du 2e ou 3e cycle universitaire.

L’analyse des intentions de vote en fonction du niveau de diplôme des personnes interrogées (graphe ci-dessus) offre elle aussi un éclairage intéressant sur la structuration des choix . Comme avec la catégorie socioprofessionnelle, les intentions de vote en faveur de Marine Le Pen s’avèrent étroitement corrélées avec le capital éducatif des répondants (CSP et diplôme étant, rappelons-le, étroitement corrélés). La candidate du Front national fait le plein de ses soutiens potentiels parmi les titulaires d’un diplôme inférieur au baccalauréat (31,2%), son score décroissant ensuite de façon linéaire, pour atteindre son étiage auprès des diplômés d’un deuxième ou troisième cycle universitaire (12,1%). La corrélation entre le niveau de diplôme et les intentions de vote en faveur d’Emmanuel Macron ou de François Fillon apparaît en revanche moins évidente. Certes, tous les deux réalisent leurs meilleurs scores auprès des titulaires d’un diplôme supérieur au baccalauréat mais ils ne décrochent pas, pour autant, auprès des titulaires d’un diplôme de niveau inférieur au bac.

Note de lecture : 28,9% des personnes résidant en milieu rural ou dans une “ville isolée” expriment une intention de vote pour Marine Le Pen, contre 20,9% de celles habitant une “ville centre”.

Les disparités s’avèrent enfin moins marquées d’un point de vue territorial, exclusivement appréhendé ici à travers le prisme du type de commune de résidence des personnes interrogées (classification Insee). Les scores de François Fillon et d’Emmanuel Macron s’avèrent en effet assez homogènes, quel que soit le type de commune et à des niveaux proches de leurs scores nationaux. Tous deux pâtissent toutefois d’un léger retard dans les zones rurales ou villes isolées, correspondant peu ou prou à la “France périphérique”, éloignée des grandes métropoles. Sans surprise, c’est dans ces communes que Marine Le Pen y obtient le plus fréquemment ses intentions de vote, tout en se situant à un niveau proche de ceux d’Emmanuel Macron et François Fillon dans les autres types de communes.

Ces premiers éléments sur le profil des principaux électorats s’avèrent précieux pour comprendre les dynamiques à l’oeuvre depuis dix jours. Nous l’avons vu, Marine Le Pen prospère sur les fondamentaux du Front national. Mais si elle parvient à attirer sur nom une proportion non négligeable de la “France périphérique” (que ce soit d’un point de vue géographique ou symbolique), elle peine à convaincre les cadres et les professions intellectuelles, et surtout les retraités, numériquement plus nombreux. Sachant que ces derniers pourraient peser pour près d’un tiers de l’électorat en avril, sans doute observe-t-on ici le principal frein à une future progression de la candidate fronstiste… sauf à ce qu’elle y réalise une percée, favorisée par un éventuel effondrement du principal candidat de la droite et du centre.

Quant à François Fillon, pour conserver ses chances de qualification au second tour de l’élection présidentielle, il lui faudra retrouver les faveurs des actifs, et plus particulièrement des catégories populaires qui semblent avoir déserté sa candidature. Au-delà des accusations dont il fait l’objet et dont on mesure ici les répercussions, le programme “radical” du vainqueur de la primaire de la droite et du centre pourrait constituer un écueil non négligeable, point qu’ont d’ailleurs soulevé à plusieurs reprises de certains membres de sa famille politique.

L’électorat d’Emmanuel Macron présente nettement moins d’aspérités, l’ancien ministre de l’Economie réalisant des scores relativement homogènes d’une catégorie de population à une autre. Il en retire aujourd’hui un avantage concurrentiel, lui permettant de se maintenir autour des 20% d’intentions de vote, en deuxième position derrière Marine Le Pen. Ceci pourrait toutefois devenir rapidement une faiblesse d’ici au premier tour de l’élection présidentielle : évoluant sur une ligne de crête, il suffirait qu’un seul segment lui fasse défaut pour que l’ensemble de l’édifice, aux bases encore fragiles, s’écroule. Pour lui, l’urgence est donc consolider un socle électoral qui, à ce stade, s’inscrit davantage dans le registre de la curiosité bienveillante que dans celui de la conviction (un électeur potentiel d’Emmanuel Macron sur deux déclare qu’il pourrait changer d’avis d’ici au premier tour).

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Yves-Marie Cann

Spécialiste des enjeux d'opinion et de communication. Ancien sondeur (Ifop, Institut CSA, Elabe) et conseiller ministeriel. Compte personnel.