Briquet et plus précisément battre le briquet

Au clair de la lune

Alain Jacquemin
3 min readJun 19, 2014

Qui ne connaît la célèbre chanson enfantine du 18e siècle, Au clair de la lune. On y parle d’une voisine qui “bat le briquet” :

Au clair de la lune, Pierrot répondit :

Je n’ai pas de plume, je suis dans mon lit.

Va chez la voisine, je crois qu’elle y est

Car dans sa cuisine, on bat le briquet.

A l’heure des briquets jetables, on ne comprend pas ce que la voisine, dans sa cuisine, peut bien faire avec son briquet, ni surtout, pourquoi elle le bat ! Reprenons les choses d’un peu plus haut.

Le mot brique, qui provient du néerlandais, signifie un morceau comme en allemand le verbe brechen, en anglais to break, qui signifient briser… Un briquet, c’est donc “un petit morceau”. D’où les sens dérivés : briquet désigne un chien de chasse de petite taille ; un sabre court, un sabre briquet. Mais l’emploi le plus connu, sans doute, est celui de morceau de pain, de tartine, et spécialement, le casse-croûte du mineur. Emile Zola écrit dans Germinal : C’était le briquet, la double tartine emportée chaque matin à la fosse.

Briquet s’est employé pour désigner la petite pièce d’acier avec laquelle on frotte vigoureusement un silex pour en tirer des étincelles et allumer un feu. D’où l’expression battre le briquet. Au Québec, on disait aussi un batte-feu. Cet objet quasiment oublié aujourd’hui a pourtant été le principal moyen d’allumer le feu durant la plus grande partie de notre histoire. En France, on a battu le briquet jusqu’à la guerre de 1914-1918 ; les poilus de la guerre en portaient sur eux. On disait briquet pour ma mise à feu d’un fusil (pierre à fusil), mais le mot s’est spécialisé pour l’arme à feu.

Le mot a suivi l’évolution des techniques. La méthode ancienne acier contre silex a été remplacée par un appareil formé d’une pierre (une pierre à briquet) et d’une mèche inflammable, puis par des appareils plus modernes : briquet à essence, briquet à gaz, briquet électronique. Ce briquet, on ne le bat plus, comme dans la chanson … Encore que battre le briquet est polysémique…

- Le premier sens de battre le briquet est parfaitement naturel. Avant les moyens modernes comme la piezoélectricité, le briquet ne pouvait qu’être équipé d’une pierre à briquet, pierre qu’il fallait battre ou gratter pour provoquer une étincelle susceptible d’allumer un feu.

- Le deuxième, qui date du 18e siècle, est une métaphore qui découle du premier sens, puisqu’un homme qui fait sa cour et déclare ses sentiments ne peut “qu’enflammer” la dame assez encline à le croire, aussi facilement que l’étincelle du briquet allume l’amadou.

- Le troisième découle du précédent, puisqu’une fois que la donzelle est tombée dans les rets du beau parleur, le couple passe au lit pour y accomplir l’inévitable …

- Enfin, le dernier vient de la comparaison entre le cognement régulier des jambes pendant la marche avec la manière ancienne de battre le briquet, comme si les genoux ou les chevilles qui s’entrechoquent allaient provoquer une étincelle.

Revenons à la chanson “enfantine” dont diverses variantes existent :

Au clair de la lune, mon ami Pierrot

Prête-moi ta plume, pour écrire un mot.

Ma chandelle est morte, je n’ai plus de feu.

Ouvre-moi ta porte, pour l’amour de Dieu.

Au clair de la lune, Pierrot répondit :

— « Je n’ai pas de plume, je suis dans mon lit.

Va chez la voisine, je crois qu’elle y est

Car dans sa cuisine, on bat le briquet. »

Au clair de la lune, l’aimable lubin

Frappe chez la brune, elle répond soudain

— « Qui frappe de la sorte ? », il dit à son tour

— « Ouvrez votre porte pour le Dieu d’Amour »

Au clair de la lune, on n’y voit qu’un peu

On chercha la lume, on chercha du feu

En cherchant d’la sorte je n’sais c’qu’on trouva

Mais je sais qu’la porte sur eux se ferma.

On parlait de lume (la lumière nécessaire pour pouvoir voir quand la chandelle est éteinte) et non de plume, même si, pour écrire, il fallait bien une plume.

Lubin dans une ballade de Clément Marot au 16e siècle, était le nom d’un moine dépravé , quant à la “chandelle” dans un état désastreux, il suffit d’aller chez la voisine qui “bat volontiers le briquet” pour s’enfermer avec elle et rallumer le feu.

Feindre d’ignorer ce qu’il se passe entre eux, ce n’est pas de l’innocence enfantine, c’est de la naïveté…!

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