CiX Design : Citizen eXperience Design

Pour une charte de design digital au service des citoyens

Mickaël David
Think digital
10 min readJan 29, 2017

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Lors des nombreux débats ouverts autour de la transformation digitale des services publics, il est souvent question de protection de données, d’open data, de big data, de neutralité, etc…
Seulement, un élément central est souvent omis : l’utilisateur final.

Vous, moi, votre famille, vos amis, votre boulanger, votre comptable, votre collègue de travail. Bref, nous, les citoyens.

On ne parle que très rarement de la vraie expérience, celle que l’on vit avec une souris à la main ou un trackpad, au moment par exemple de trouver des informations sur les activités de sa ville, de comprendre comment inscrire ses enfants à l’école, de régler ses impôts ou de renouveler ses papiers d’identité, etc

Cette expérience est, malheureusement, rarement une réussite.
Entre le manque de compréhension en terme d’objectifs, de structure de l’information, de parcours, de retour d’interface, ou tout simplement de vocabulaire non adapté à des citoyens non experts, la liste des points d’amélioration est très longue.

“ Il devient de moins en moins acceptable pour les citoyens de se voir imposer de telles interfaces de dialogue entre eux et l’état.”

Or, nous utilisons tous les jours de nombreux services privés, d’apparence tout aussi complexe, sans pour autant vivre une expérience utilisateur compliquée, et il devient de moins en moins acceptable pour les citoyens de se voir imposer de telles interfaces de dialogue entre eux et l’état, si bien qu’aujourd’hui, un quart des Français juge complexe sa relation avec l’administration.

Il existe donc aujourd’hui tout un pan d’expression du design d’expérience, dédié aux citoyens, qu’il est possible d’appeler “CiX Design”, en comparaison à l’UX (User) ou même au CX (Customer), qui repose sur des contraintes et répond à des objectifs propres, pouvant même en faire une discipline a part entière.

“ Il existe donc aujourd’hui tout un pan d’expression du design d’expérience, dédié aux citoyens, qu’il est possible d’appeler “CiX Design” ”

Cas pratique : Gov.uk

Mais par quel bout prendre cette problématique ? Le design thinking peut-il apporter une réponse ? Est-ce vraiment utile ? D’autres pays ont-ils déjà travaillé sur ce type de projet ? Of course.

Digital by Default — Service Standard

L’Angleterre semble être notre voisin le plus avancé sur le sujet. En 2010, la digital champion locale, Martha Lane Fox, remet un rapport au gouvernement où elle recommande de créer une équipe centralisée, la “Gouvernement Digital Service (GDS)”, qui aurait un contrôle absolu sur l’expérience utilisateur de toutes les informations publiées en ligne par le gouvernement, rassemblant par la même occasion tous les services publics sur un seul et même site. #Boom

“ Une équipe centralisée […], qui aurait un contrôle absolu sur l’expérience utilisateur [des services publics, rassemblés sur un seul et même site]. ”

Une véritable révolution pour les organisations étatiques, qui ont plutôt tendance à vouloir contrôler leurs services en ligne, et surtout qui sont contraintes par des processus et des appels d’offres d’une lourdeur étouffante. Mais voilà, au bout de 3 ans, le GDS avait déjà tenu ses promesses : grâce à des principes de design clairs, une méthode agile maitrisée, des gabarits spécifiques, et une charte UI minimaliste, les citoyens anglais avaient accès à une seule plateforme proposant la totalité des 331 organismes publics. Une concrétisation du fameux concept “Government as a platform” de Tim O’Reilly.

Digital by default

L’ensemble du projet “Digital by default” repose sur 18 critères principaux, avec un focus de 10 points spécifiques en ce qui concerne le design, dont voici la traduction :

Design principles

1. Commencez par les besoins*

(*Les besoins des citoyens, pas du gouvernement)

Le design de service commence toujours par une phase d’identification des besoins utilisateur. Si vous ne savez pas ce dont a besoin l’utilisateur, vous ne lui apporterez pas la bonne solution. Faites des recherches, analysez les données, rencontrez et parlez aux utilisateurs. Ne faites pas de suppositions. Ayez de l’empathie pour les utilisateurs, et rappelez-vous que ce qu’ils demandent n’est pas toujours ce dont ils ont besoin.

“ Si vous ne savez pas ce dont a besoin l’utilisateur, vous ne lui apporterez pas la bonne solution. ”

2. Ne réinventez pas la roue

Le gouvernement ne doit faire que ce qu’il est capable de faire. Si nous trouvons un moyen de faire quelque chose qui marche, nous devons le rendre réutilisable et partageable, au lieu de réinventer la roue à chaque fois. Cela signifie qu’il faut créer des plateformes, des registres et fournir les ressources (via des APIs) sur lesquels d’autres peuvent s’appuyer. Nous devons nous concentrer sur le périmètre utile le plus petit possible.

3. Concevez grâce aux données

Dans la plupart des cas, nous pouvons beaucoup apprendre en analysant la façon dont les services existants sont utilisés. Prenons donc des décisions en nous basant sur ces données, et non sur des intuitions ou des hypothèses. Il faut continuer de le faire même une fois le service en ligne, prototyper et tester avec des utilisateurs, et itérer en fonction des retours. Les analytics doivent être intégrés depuis le début, et doivent toujours être accessibles et facilement lisibles. C’est un outil essentiel.

“ Prenons […] des décisions en nous basant sur ces données, et non sur des intuitions ou des hypothèses. ”

4. Faites le maximum pour que ce soit simple

Faire quelque chose qui paraît simple semble toujours facile. Faire quelque chose simple à utiliser est bien plus difficile — d’autant plus quand il repose sur un système complexe — mais c’est précisément notre objectif. Ne répondez jamais à une question avec des phrases du type : nous avons toujours fait comme ça. Rendre les choses simples est un travail dur et compliqué, mais c’est la bonne chose à faire.

“ Ne répondez jamais à une question avec des phrases du type : nous avons toujours fait comme ça. ”

5. Iterez. Et itérez encore.

Le meilleur chemin vers la réalisation de bons services est de commencer tout petit et d’itérer de manière soutenue. Déployez un produit viable qui soit le plus petit possible, testez le avec des premiers utilisateurs, puis ajoutez des fonctionnalités quand vous passez de la version Alpha à la version Beta, jusqu’à la version en ligne, en supprimant les éléments qui ne fonctionnent pas, et en faisant des ajustements en fonction des retours. Les itérations réduisent le risque. Elles réduisent la probabilité de gros échecs, et transforment les petits en phase d’apprentissage. Si un prototype ne fonctionne pas, n’ayez pas peur de le jeter à la poubelle et de recommencer.

6. Vos réalisations sont pour tout le monde

Tout ce que nous réalisons doit être accessible, lisible et facilement utilisable par le plus grand nombre, quitte à sacrifier l’élégance si cela est nécessaire. Nous construisons pour répondre à des besoins, et non pour un public. Nous designons pour l’ensemble du pays, et pas uniquement pour ceux qui maitrisent le web. Les personnes qui ont le plus besoin de nos services sont souvent celles qui ont le plus de difficulté à les utiliser. Nous devons penser à ces gens dès le début de notre travail.

“ Tout ce que nous réalisons doit être accessible, lisible et facilement utilisable par le plus grand nombre, quitte à sacrifier l’élégance si cela est nécessaire. ”

7. Bien comprendre le contexte

Nous ne designons pas pour un écran, mais pour les gens. Nous devons impérativement prendre en compte le contexte d’usage de nos services. Sont-ils utilisés dans une bibliothèque ? Avec un téléphone ? Nos utilisateurs sont-ils familiers de Facebook ? Ont-ils déjà utilisé le web auparavant ?

8. Construisez des services en ligne, pas des sites web

Un service est fait pour aider les utilisateurs à faire quelque chose. Notre métier est donc de découvrir leurs besoins, et de créer le service qui leur apportera la meilleure solution. Bien entendu, la majorité du résultat de notre travail se présentera sous forme de pages webs, mais nous ne construisons pas de sites web. Le monde digital doit se connecter au monde réel, nous devons donc réfléchir à tous les aspects du service, et s’assurer qu’il répond bien aux besoins des utilisateurs.

9. Soyez cohérent, pas uniforme

Nous devons le plus possible utiliser les mêmes langages et les mêmes modèles de conception. Cela permet aux utilisateurs de se familiariser plus facilement avec nos services, et quand ce n’est vraiment pas possible, nous devons être sûrs de la cohérence de notre conception.

L’idée n’est pas de poser des règles strictes à respecter. Chaque contexte est différent. Quand nous trouvons des façons de faire qui fonctionnent, nous devons les partager, et expliquer pourquoi nous les utilisons. Mais il ne faut surtout pas que cela nous empêche de les améliorer ou de les changer si nous trouvons de meilleures idées, ou si les besoins des utilisateurs changent.

10. Partagez les réalisations, cela rend les choses meilleures

Nous devons partager ce que nous faisons dès que nous le pouvons. Avec des collègues, avec des utilisateurs, avec le monde. Partageons notre code, nos designs, nos idées, nos intentions, nos échecs. Le travail que nous réalisons est rendu possible grâce à du code open source, et grâce à la générosité de la communauté de designers. A nous maintenant d’y contribuer.

“ Le travail que nous réalisons est rendu possible grâce à du code open source, […] A nous maintenant d’y contribuer. ”

Le résultat

Et concrètement, ça donne quoi ?
Une plateforme minimaliste, d’une grande efficacité, qui démontre un travail colossal, tant sur la vision design que sur son exécution.

Tous les services respectent une charte d’interface très complète, de la typographie (GDS Transport) au nuancier de couleur, en passant par le traitement des images ou des boutons. (Le jaune du focus est d’une efficacité redoutable ).

Des points de conception sont décrits précisément en mettant en avant les choses à faire et à ne pas faire, avec les arguments associés, comme par exemple le fait d’associer une question par page, et une seule.

La charte ne s’arrête pas à des éléments statiques et proposent aussi des scénarios d’utilisation, comme par exemple lors du renseignement des formulaires.

Bientôt un “Design.gouv.fr” ?

Devant un tel cas d’école, on ne peut que souhaiter qu’un projet similaire voit le jour de ce côté de la Manche. Nous avons tout à notre disposition, il suffit de reprendre les éléments et de les adapter aux services publics français.

Quelques initiatives ont été mises en place ces dernières années pour moderniser et simplifier les services publics français, tel que :

  • la plateforme service-public.fr est un gros annuaire qui énumère une grande partie des services et informations de l’état.
  • Le projet mon.service-public.fr est en cours, associé à la promesse d’un connecteur universel, France Connect, qui devrait permettre de faciliter la connexion aux services en ligne.
  • Le site faire simple a été mis en place pour récolter les demandes utilisateurs et en débattre (même s’il n’a pas l’air très actif).

Malheureusement, rien que sur ces trois exemples, la cohérence en terme d’expérience utilisateur est inexistante, ce qui nuit à la compréhension globale du service rendu par l’état.

“ La promesse finale est bien trop souvent privilégiée, sans parler du processus de réalisation, alors que les deux sont intimement liés dans le monde digital. ”

A date, seul le rapport Ambition Numérique, porté par le Conseil National du Numérique, semble aborder le sujet avec sérieux. Mais une fois refermé ce rapport, on se rend compte que la notion de design thinking n’est pas concrètement relayée dans les propositions des textes de loi, que ce soit la Loi Numérique (disponible sur Github (!)) ou le Choc de Simplification : La promesse finale est bien trop souvent privilégiée, sans parler du processus de réalisation, alors que les deux sont intimement liés dans le monde digital.

Je n’ai personnellement aucun doute sur le bien fondé et l’impact positif d’une telle démarche :

  • Meilleure perception du service rendu, et donc de l’état
  • Facilité de recherche des informations
  • Meilleure compréhension des services
  • Meilleure utilisation des services
  • Diminution du taux d’abandon
  • Diminution du coût du support associé aux services
  • Meilleure qualité des données traitées

Let’s go !

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Mickaël David
Think digital

French Designer // Planet Activist // Anticipation Writer // Video games & Music lover.