Le Bootstrapping, ou comment créer de rien, vraiment de rien.

Abdelmalek CHETTA
10 min readSep 15, 2018

Depuis plusieurs années, le modèle de développement des startups dans les secteurs technologiques suit une séquence implacable : développer une vision initiale, lever des fonds, développer un produit minimum viable, lever des fonds, lancer commercialement, lever des fonds, désengagement.

Cette séquence est justifiée par le cycle de vie extrêmement court et rapide des produits à forte composante technologique. L’innovation dans la technologie ne tolère guère un développement organique classique, à base de réinvestissement des bénéfices qui sera “trop lent” selon les gourous de la startup d’aujourd’hui.

Selon la majorité des philosophes de la startup d’aujourd’hui, le financement externe dans les premières étapes de croissance de l’entreprise est indispensable pour accélérer le temps de mise sur le marché “time to market” de ce type produit, qui risque de voir son environnement, les usages qui l’implique et son mode de fabrication bouleversé d’un moment à un autre.

Or, Pour la majorité absolue des domaines a forte composante technologique et à faible intensité capitalistique, le financement classiques, qui possède des règles prudentielles élevés, n’est pas une source possible.

Le capital-risque prend en général le relais dans les pays développés.

En effet, le modèle d’affaire étant basé sur une participation minoritaire au capital d’un nombre élevé d’entreprises, permet une couverture statistique des risques plus élevés que les institutions financières classiques.

Dans le domaine technologique, les figures de proue de ce mode de financement sont les Business Angels. Au départ, Ils investissaient leur propre argent et utilisaient leur connaissance profonde du secteur cible pour choisir un petit nombre de startups qu’ils soutenaient fortement, par le financement, le coaching, le réseau de connaissance et la couverture médiatique. L’histoire de Tony Hsieh avec Zappos en est un excellent exemple.

Aujourd’hui le modèle a complètement changé. Les Business Angels investissent l’argent des autres, regroupée sous forme de fond d’investissement, sans prise de risque personnelle ou implication significative. Ils comptent énormément sur la probabilité d’avoir une réussite majeure, de type “licorne”, dans leur portefeuilles.

La norme acceptable étant une réussite sur vingt.

Cette réussite, leur permet en général de couvrir les pertes subis sur les autres startups. La nature même de ce modèle d’investissement implique une vision court terme basée sur les effets d’annonce et les bulles spéculatives.

Malheureusement, avec le temps, ce mode de financement est devenu une recette miracle pour les entrepreneurs. Ils veulent reproduire les séquences de développement de startups de le silicon-valley sans même chercher des alternatives. Ils abandonnent souvent leurs rêves si ce schéma n’est pas possible chez eux.

Pourtant la majorité ont baignait dans les histoires et les mythes entourant les entrepreneurs occidentaux emblématiques des années 80. Steve Jobs, Bill Gates et Co, des leaders ayant su transformer des opportunités en entreprises prennes avec comme seul moyen le garage des parents, un PC et leur propre volonté. Résumé simpliste d’histoires plus complexes ou une seule constante se dégage : les Business Angels et la lever de fonds n’ont aucun rôle majeur dans ces histoires de réussite incroyables.

L’absence fonds d’investissement dans nos pays ou le simple besoin de garder le contrôle sur nos entreprises, rendent l’auto-financement, ou le bootstrapping, une alternative sérieuse, voir exclusive, a envisagé pour couvrir cette phase de lancement cruciale.

Alors, est-il possible aujourd’hui de lancer des entreprises technologiques innovantes à l’ancienne ? sans financement externe ?

Au-delà des histoires de réussite des grandes entreprises technologiques d’aujourd’hui qui ont été crée en auto-financement, ou mon expérience personnelle de presque 20 ans avec ce mode de financement, je vais essayer de répondre à ces question à la lumière des challenges d’aujourd’hui, en exposant les impératives qui doivent être respecter lors des premières étapes du cycle de vie de l’entreprise naissante qui sont cruciale à un développement sein.

De l’idée au Produit Minimal Vendable.

Avant la création d’un produit minimal viable, l’idée, le concept, la vision de l’entrepreneur n’ont pas était, encore, confronté à la réalité. A ce stade ce n’est qu’un rêve, l’entrepreneur est juste un porteur d’idée.

L’objectif de cette phase est la transformation de l’idée en Produit Minimal Vendable au moindre coût et le plus rapidement possible.

Habituellement, A la fin de cette phase, l’entreprise possède un produit utilisable par des utilisateurs précurseurs.

Obtenir ce type d’utilisateurs précurseurs sans leur démontrer une réelle valeur ajoutée du MVP, même si ils ne payent pas, est très difficile y compris pour les entreprises correctement financées.

Si ils ne perçoivent pas un intérêt palpable, pourquoi les utilisateurs investiront-ils de leur temps et prendront-ils le risque de le faire pour rien ?

Or, le bootstraping induit une raréfaction importante des ressources et un besoin vital de générer des recettes le plus tôt possible. Ce qui impose que ce produit doit être vendable ! C’est un challenge supplémentaire de taille.

Sans être parfait, Le produit minimal vendable, doit être plus abouti et plus stable que les MVP utilisés pour lever des fonds ou avoir des utilisateurs gratuits.

Généralement cette phase, inclut énormément de déchet et de travail non abouti. Si la réalisation est externalisée, elle coutera vraiment chère sans générer réellement de la valeur ajoutée forte hormis la stabilisation des idées

Pour réduire le besoin de financement de cette phase, il est indispensable de faire un maximum de tâches soit même et de chasser le gaspillage des efforts au maximum.

Pour réaliser un maximum de tâches sans générer des charges externes, les possibilités qui s’offrent au porteur du projet sont, ou bien d’être capable de les réaliser lui même, ou de s’allier à des personnes capables de le faire.

Souvent, le porteur du projet qui ne possède pas les compétences techniques, prend le premier “technicien” qui accepte de se joindre à lui sous forme d’associer.

A cause du sous-financement, les entreprises en bootstrapping, génèrent énormément de crises et de frictions entre les partenaires. Pour pouvoir résister aux crises, l’actionnariat de l’entreprise ne doit pas être juste une amalgame de compétences complémentaires comme le sont les startups d’aujourd’hui.

La solidarité et l’adhésion à une vision et des valeurs communes sont indispensable pour pouvoir tenir tout au long de cette phase trouble et instable.

Pour chasser le gaspillage et réduire les efforts inutile, il est impératif de stabiliser le concept en exposant au maximum des maquettes, croquis, storyboard, à un maximum d’utilisateurs potentiels avant même le passage à la réalisation du produit minimal. En effet, Il faudra savoir que le coût du changement et des modifications va croitre en exponentiel avec l’avancement dans le cycle de réalisation du produit. Le coût de l’erreur et l’ampleur du gâchis suivra la même courbe.

Confronter l’idée et le concept à la réalité ne doit pas être confondu avec le fait de faire financer le développement du produit minimal par un client. Même si l’implication du client à ce stade peut paraitre alléchante, il y a un risque sérieux de glissement de concept. Le MVP pourra ne jamais être généralisable car basé sur trop de spécificités du premier client.

Pour l’anecdote, je l’ai constaté a mes dépends deux fois. Pour le premier cas, le produit a été finalisé et exploité par le client, mais n’a jamais pu être généralisé jusqu’au jour ou nous avons décidé de le refaire de zéro pour le rendre généralisable. Dans le deuxième cas, voulons ne pas tomber dans la premiere erreur, en développant un produit généralisable avec le projet du premier client, ce dernier a arrêté le projet à cause des retards induit pas la généralisation des fonctionnalités qu’il ne demandait pas.

Phase d’amorçage : Le client c’est votre Business Angel !

La phase d’amorçage doit permettre la transformation du produit minimal vendable initial en un véritable produit commercial générant du revenu récurent.

Contrairement au fait de financer la réalisation du produit minimal vendable par un client, sa transformation en un produit commercial doit impérativement se faire avec les financements des clients.

A cette étape, Il est important de distinguer deux catégories de produit pour évaluer les chances de réussite du financement par le client : ceux qui nécessitent un effet de réseaux et ceux d’ont l’usage est autonome.

Toutes les solutions qui n’ont pas besoin d’effet réseau pour fonctionner et qui possèdent une valeur ajoutée pour le premier client, le financement par le client est largement possible.

A la limite, pour ce genre de client, l’entreprise en auto-financement aura les mêmes chances que les entreprises ayant lever des fonds. Tout dépendra de la valeur perçue par le client par rapport au produit proposé.

S’assurer que le produit développé possède une valeur indéniable pour le client est nécessaire quelque soit le mode de financement, sauf que pour l’entreprise en bootstrapping, les moyens de corriger le tir plusieurs fois ne sont pas disponibles.

La recommandation majeur dans ce cas, est que les solutions et produits développés doivent régler des problèmes importants chez les clients et de ne pas avoir de concurrents “prêt à l’emploi” et “a moindre coût”.

Les clients n’accepteront pas de payer un produit ou un service “instable”, “banal” au “prix du marché” chez un fournisseur qui démarre.

L’autre piège et d’essayer de jouer uniquement sur le prix, ce qui privera l’entreprise des revenus nécessaire pour finaliser le produit et satisfaire le client. Croire qu’on peut être moins chère car on démarre est une erreur classique des débutants.

A la place il est plus judicieux de cibler des clients qui ont vraiment besoin de votre produit ou service et qui valoriseront ses attributs exclusives.

L’allié majeur de l’entrepreneur pour cette étape, c’est la prospection. C’est le lieu idéal pour apprendre, confronter le produit à la réalité, ajuster le concept et améliorer le positionnement et le discoure commercial. Prospectez, Prospectez, prospectez.

La deuxième catégorie de produit est plus délicate à faire financer par les clients. En effet, les produits qui nécessitent un effet de réseaux, n’ont pas de valeur ajoutée palpable avec un petit nombre d’utilisateurs initiaux. Il s’agit en général des plateformes de communication et de partage, les réseaux sociaux, …etc. Ils nécessitent le recrutement une “masse critique” d’utilisateurs ou de clients pour pouvoir leur procure de la valeur.

Ce type de produit, possède en général, une phase d’amorçage longe et couteuse. Il sera extrêmement difficile d’atteindre une masse critique sans financement externe.

Pour ce genre de produits, les solutions préconisées sont diverses, mais elles réduisent les possibilités :

  • Choisir une petite niche régionale ou fonctionnelle et s’assurer de bien la couvrir rapidement. De cette manière, le produit deviendra “utile” pour la niche en question avec un minimum d’investissement. La contre partie négative est qu’il est très difficile de sortir du modèle niche vers un modèle généraliste dans le future.
  • Proposer une solution complémentaire à un produit connaissant une forte croissance appelé “plateforme porteuse” et bénéficier de son effet d’entrainement. Le choix doit porter sur une plateforme qui possède un mécanisme de propagation viral, comme les réseaux sociaux, les places de marché, …etc.
  • Proposer un service auto-géré par les utilisateurs qui possède le moindre impact sur les ressources et attendre l’atteinte de la masse critique naturellement en supportant les charges minimes qu’il génére.
  • Bénéficier d’un coup de chance.

Pour résumer, contrairement au modèle de développement de startup à base de lever de fonds, le bootsrapping est plus que pertinent pour les produits qui possèdent une valeur ajoutée dès le premier client. Pour ce genre de produit, le client est notre Business Angel, il faudra tout faire pour le séduire dès les premières phases du développement.

A la fin de la phase amorçage, l’entreprise est une petite entreprise classique qui possède un produit en fonctionnement commercial chez un petit nombre de clients.

Financer l’expansion

La prochaine phase de développement est une phase de développement classiques où toutes les possibilités de financement s’offrent à l’entrepreneur :

Continuer en auto-financement :

Dans ce cas de figure, il faudra continuer à considérer les clients comme la source principale de financement en obtenant de plus en plus de clients, spécialement ceux qui acceptent de payer des avances ou des livraisons retardées. C’est la seule façon connue de combler le décalage du cycle cash-to-cash.

Contrairement aux entreprises qui ont lever des fonds, qui courent derrière les clients avec des noms connus pour générer du buzz, l’auto-entreprise doit privilégier les clients avec des processus d’approvisionnement souples tolérant le payement des avances et les livraisons retardées.

A ce stade, l’auto-financement pourra être renforcer par le recours à des partenaires, investisseurs classiques, banques ou capital risque.

En effet, Ayant un produit et des clients, il est plus facile de convaincre des investisseurs ou des banques traditionnelles.

Lever des fonds ou vendre l’entreprise :

Personnellement je ne possède pas de retour d’expérience significatif dans le domaine de la vente d’entreprise, mais sachez qu’en général, si l’entreprise ne possède pas une propriété intellectuelle interessante ou une présence sur un segment stratégique du marché, les offres de rachats seront basé sur le chiffre d’affaire généré et non pas sur le potentiel. Elles ne dépasseront rarement le double du chiffre d’affaire annuel.

Les levers de fonds à ce stades sont quasiment une vente. Sachez, juste, qu’il est plus facile de lever des fonds à ce stade en théorie uniquement, car normalement l’entreprise est plus viable.

En pratique, les Business Angels n’ont pas intérêt à faire financer une entreprise plus au moins mature car ce n’est vraiment pas leur spécialité ni dans leur intérêt.

Deux règle d’Or pour la route

Ces Deux règles d’Or restent et resteront valable tout au long des premières phases du développement d’une entreprise en auto-financement :

  • Rationaliser les dépenses et chasser le gaspillage à tout les niveau, jusqu’a ne plus rien trouver à économiser. La tentation d’avoir l’ère une startups branchée sera aussi forte que couteuse. Investissez tout sur vos premiers clients et sur le produit. Les chaises fancy, les tables de pingpong, …etc. Sont pour ceux qui travaillent avec l’argent des autres ;)
  • Choisir des collaborateurs avec un esprit combatif même si ils ne sont pas les plus brillants de leur domaine. La vie d’une entreprise en auto-financement est loin d’être un long fleuve tranquille et de toute façon les super-cool choisiront une entreprise qui possède une table de pingpong que vous n’avez pas :)

Quelques conseils d’entrepreneurs locaux

Pour cet article, j’ai invité des entrepreneurs algériens de mon réseau, pour donner des conseils sur le sujet de l'entreprenariat. Je met à votre disposition les messages tel que récoltés :

“ Mon conseil est de rester humble , d’adopter son business model à l’environnement et respecter le Time to market ”

By Yacine Iheb Tekour, twitter @IhebTekkour, Co-founder www.hawesse.dz et Digitalex, enseignant consultant à l’ecole supérieur de management.

“ Sur internet, les startuppers doivent se considérer comme des multinationales, ils doivent se voir non pas comme des TPE (toutes petites entreprises) mais se considérer comme des grandes entreprises capable de concurrencer et travailler dans le monde entier, cela signifie que rien je dis bien rien n’est impossible alors faites l’impossible parce que c’est possible”

By Mohamed Hakim SOUFI, twitter @msoufi, Directeur général Macir Vie et investisseur dans le domaine des TIC.

“ Un conseil en plus des anti-dépresseurs et des anxiolytiques ?”

By Nabil MELAH, twitter @NabilMellah, Directeur général des laboratoires pharmaceutiques MERINAL.

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Abdelmalek CHETTA

African tech entrepreneur since the first internet bubble burst.