Quelques oublis de la loi de finances pour 2019 en matière de fiscalité des cryptoactifs

Mars 2019 : L’Edito d’Adrien Soumagne

Adrien Soumagne
5 min readMar 5, 2019

Par Adrien Soumagne, Avocat à la Cour, Bredin Prat

L’actualité fiscale des cryptoactifs s’étant désormais calmée à la suite des débats parlementaires qui se sont tenus à l’automne dernier, il nous semble opportun de revenir sur les mesures qui n’ont pas été adoptées dans le cadre de la loi de finances pour 2019 mais qui auraient gagné à l’être tant elles paraissent nécessaires au développement de l’écosystème blockchain français.

1er oubli : la clarification de la distinction entre activité habituelle et activité occasionnelle en matière de cession des cryptoactifs

S’il est bien un raté de la loi de finances pour 2019 en matière de fiscalité des cryptoactifs, il ne peut s’agir que de l’absence de distinction entre activité habituelle et activité occasionnelle pour la détermination du régime fiscal applicable.

Reposons les termes du débat : le régime fiscal des gains de cessions de cryptoactifs est caractérisé par une summa divisio qui est le caractère habituel ou non de l’activité de cession. Soit les cessions de cryptoactifs sont réalisées en dehors d’un cadre professionnel et, dans ce cas, elles relèvent du nouveau régime introduit par l’article 41 de la loi de finances pour 2019. Soit les cessions de cryptoactifs sont exercées dans le cadre d’une activité professionnelle et relèvent du régime des bénéfices industriels et commerciaux (taxation au barème progressif de l’impôt sur le revenu).

Problème : la notion d’habitude s’agissant de la cession de cryptoactifs n’est pas définie par les textes. Si cette notion se retrouve dans d’autres textes fiscaux, rien n’indique qu’elle soit transposable dans les mêmes termes aux gains de cession de cryptoactifs.

En général, le caractère professionnel d’une activité tient notamment à l’importance des moyens employés et à l’habitude avec laquelle les opérations sont réalisées. Ainsi, on ne saurait exclure que l’administration considère qu’une activité habituelle soit déployée dès au moins deux cessions par an voire même qu’elle tire argument du montant de la cession réalisée pour qualifier l’activité d’habituelle.

Pour cette raison, la communauté, représentée par certains « crypto députés », a essayé tant bien que mal — mais sans succès — de faire adopter des amendements visant à aligner le régime fiscal des gains de cession de cryptoactifs sur celui applicable aux gains de bourse, c’est-à-dire en opérant les distinctions suivantes :

  • Les gains réalisés dans le cadre de la gestion d’un patrimoine privé auraient bénéficié des dispositions de l’article 150 VH bis du Code général des impôts ;
  • Les gains réalisés dans des conditions analogues à celles qui caractérisent une activité exercée par une personne se livrant à titre professionnel à ce type d’opérations auraient été imposés comme des bénéfices non commerciaux ; et
  • Les gains réalisés à titre professionnel auraient été imposés comme des bénéfices industriels et commerciaux.

Par parallélisme avec les précisions administratives en matière de gains de bourse, il aurait pu être considéré que les critères permettant de distinguer l’imposition dans la catégorie bénéfices non commerciaux de l’imposition au taux de 30 % eussent été, par exemple, la fréquence des opérations, les techniques employées (effet de levier, couverture par le biais d’instruments dérivés, etc.) ou encore les moyens mis en œuvre.

On ne peut que regretter l’absence de précisions sur ces points car l’un des corollaires de l’attractivité d’un régime fiscal est sa sécurité juridique.

2ème oubli : la mise en place d’un régime fiscal ad hoc pour les attributions gratuites de jetons

A l’instar de certaines start-ups qui attirent des talents en leur permettant de souscrire à des bons de souscription de parts de créateur d’entreprise ou en leur attribuant des actions gratuites, de nombreux projets blockchain ont recours à des attributions gratuites de jetons qui permettent de fidéliser les parties prenantes d’un projet.

Or, le traitement fiscal de ces opérations apparaît tout à fait incertain (quelle est la nature du revenu perçu entre les mains de l’attributaire et comment est-il imposé ?) même si l’Autorité des normes comptables est récemment venue apporter d’utiles clarifications sur le traitement comptable d’une telle opération au niveau de la société attributrice.

Une fois encore, des amendements déposés en vue de créer un régime sui generis des attributions gratuites de jetons calqué sur celui des attributions d’actions gratuites « qualifiantes » (i.e. report de l’imposition du gain d’attribution au moment de la cession des actions) ont été rejetés.

3ème oubli : la mise en place d’une exonération d’imposition pour les paiements réalisés en cryptoactifs

Quoique devenus objets de spéculation, certains cryptoactifs n’ont pas moins vocation à devenir des moyens de paiement quotidiens, tout du moins dans l’esprit de leurs créateurs.

Il n’aurait donc pas été incongru, comme cela a été par ailleurs proposé, d’exonérer les gains de cession de cryptoactifs en deçà d’un plafond à déterminer, ce qui aurait permis de favoriser leur usage.

Ces quelques exemples non exhaustifs (aurait pu être mentionnée la question de l’exonération de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques sur les activités de minage) démontrent que le législateur n’a malheureusement pas épuisé le champ des possibles en matière de fiscalité des cryptoactifs. Pour autant, force est de constater qu’à mesure que l’écosystème se développe, les acteurs publics se sensibilisent davantage aux enjeux du secteur. Il y a donc des raisons de croire en l’amélioration du régime fiscal des cryptoactifs dans le cadre, par exemple, de la loi de finances pour 2020 qui sera présentée à l’automne.

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Adrien Soumagne

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