De #soisunhomme à #soisunefemmelibre, autopsie d’une indignation marocaine

Afriques connectées
Afriques Connectées
5 min readAug 3, 2018

Lancé au début de l’été au Maroc, le hashtag #كن_رجلا (#soisunhomme), a suscité de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux et dans les médias. Enjoignant les hommes à empêcher les femmes de leur entourage de sortir habillées de manière “indécente”, le hashtag a rapidement rencontré une vague de contestations, menée par la contre-campagne #كوني_امرأة_حر (#soisunefemmelibre).

En un mois, plus de 10 000 commentaires évoquent ce sujet sur près de 150 pages Facebook publiques, et plus de 5 000 tweets mentionnent le hashtag d’origine ou celui de contestation. Afriques Connectées s’est penché sur le phénomène, en partenariat avec la plateforme de veille des réseaux sociaux Visibrain.

De la première apparition du hashtag à sa médiatisation

Trois jours auront suffi aux médias marocains pour se faire écho des prémices de la mobilisation en ligne. Celle-ci semble débuter aux environs du 9 juillet sur Facebook : l’un des premiers posts publics à mettre le hashtag en avant est un message posté par la page Hala Nador, agrégateur de faits d’actualité marocains et de publications qui font le buzz sur internet.

Le post évoque déjà une “campagne” : “Campagne #Soisunhomme lancée au Maroc. Sois un homme et ne laisse pas tes femmes et tes filles sortir avec un string moulant !!”.

Le 12 juillet, soit 3 jours après la publication de ce post, le média marocain H24 publie un premier article sur le sujet, #Soisunhomme, le nouveau hashtag misogyne qui demande aux femmes de se couvrir, illustré avec la photo de la publication Facebook d’Hala Nador. Dès lors les médias s’emparent du sujet, sur un plan national d’abord puis le sujet s’étend rapidement à l’international avec des publications dans le HuffPost Maghreb, El Diario, Marianne… L’intérêt si prompt des médias n’est pas un hasard : cette campagne s’inscrit dans une généalogie qui ne leur est pas inconnue. Le même hashtag avait en effet défrayé la chronique en mai 2015, en Algérie, après le refus d’accès à une salle d’examen à une étudiante en raison de sa robe jugée trop courte. Le HuffPost Maghreb souligne d’ailleurs dans un article relativement partagé le caractère “importé” de cette campagne initiée selon le journal par “une page marocaine pro-banques islamiques et pro-niqqab”.

Si le phénomène était jusque là restreint à quelques publications sur Facebook, sa médiatisation engendre une forte visibilité du hashtag. Sur Facebook, la campagne s’intensifie, en témoigne l’engagement important suscité par des publications publiques de pages affichant pour certaines plus d’un million de fans.

Mais sa forte visibilité le donne également à voir à des internautes qui s’indignent face à ce qu’ils estiment être une attaque envers les droits des femmes à disposer librement de leur corps. De nombreuses pages de défense des droits des femmes relaient ainsi des extraits de l’article du HuffPost Maghreb.

Une campagne étouffée par la contestation, diluée dans un méta-discours

Si des boucliers se lèvent rapidement sur Facebook, c’est sur Twitter que la contre-attaque s’organise principalement par le biais d’une pratique méta-discursive consistant à détourner le sens du hashtag conservateur afin de critiquer, entre autres, l’obscurantisme supposé de ses adeptes et leur(s) peur(s) des femmes.

Cartographie des principaux comptes s’étant exprimé sur le sujet du 13 juillet au 2 août

Le compte central est celui de @MallyFicheL, qui reprend le #SoisUnHomme pour critiquer avec virulence le projet contenu dans le hashtag initial. Bien que dans une position centrale, ce compte n’est cependant pas le principal pourvoyeur d’informations. Au contraire, ce compte réagit à des informations avec un ton provocateur qui stimule sûrement une partie de l’audience suivant la polémique et fait le pont entre la principale communauté pourvoyeuse d’information et le reste des comptes.

Parmi les autres comptes importants de cette cartographie, celui de la militante @IbtissameBetty, qui parvient à mobiliser une communauté dense et active, en lien à la fois avec la communauté activée par @MallyFicheL et par @MALIMaroc, une organisation qu’elle a co-fondée.

Le compte Twitter de l’association féministe @MALIMaroc, fait partie des pionniers à relayer l’information sur Twitter, notamment via l’article du HuffPost Maghreb. Si ce premier post est peu engagé, d’autres suivront, et le compte Twitter se fera un honneur de rapporter des informations concernant cette campagne et l’indignation qu’elle suscite. C’est notamment les interactions répétées entre le compte de l’organisation et celui de se cofondatrice qui vont permettre de faire circuler les informations, et notamment la contre-attaque sur Twitter avec les hashtags #soisunefemme et #soisunefemmelibre.

On remarque également que le compte du média @TelQuelOfficiel, bien qu’isolé et mobilisant peu dans sa communauté directe, contribue massivement à la mobilisation d’une communauté située sur la cartographie dans un triangle construit par l’association entre @MALIMaroc, @TelQuelOfficiel et @IbtissameBetty.

La contribution du média est de partager l’article du HuffPost, tout simplement. Mais avec une audience de base bien plus importante, le média active bien plus de comptes.

En comparaison avec les structures que nous avons décrites, les autres communautés se mobilisent de manière plus anecdotique, chacune se cantonnant à l’activation d’une audience propre qui interagit très peu avec le reste des comptes mobilisés. SI distinction il y a, elle vient probablement du fait d’une séparation linguistique, certains comptes s’exprimant en arabe, et d’autres en français :

En définitive, les volumes d’engagements sont très peu élevés pour un sujet qui semble pourtant à même de faire le buzz, dans une période propice aux polémiques d’été sur le sujet du corps de la femme. Il y a certes une mobilisation sur Twitter, des contre-propositions de hashtags, mais ce ne sont que des communautés semble-t-il déjà sensibles au sujet qui ont été activées ou se sont activées, en silos, le temps d’une énième indignation.

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Afriques Connectées décrypte les phénomènes viraux, identifie les influenceurs & cartographie les communautés en Afrique.