L’identité plurielle de Rudyard Kipling

Alexandre Derégel
3 min readApr 6, 2016

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Rudyard Kipling est né le 30 Décembre 1865 et vécut en Inde la majeure partie de son enfance, dans les quartiers aisés de Bombay. De descendance Anglaise, il est passionné par l’étude de la vie Indienne comme illustre son poème Beast and Man in India en 1891. D’un point de vue identitaire, Kipling s’est senti affilié au terme Anglo-Indiens car il a grandi dans le mélange des deux cultures. Il a ainsi pu connaître et expérimenter la langue vernaculaire et le dialecte du peuple Indien, l’hindi, qui se retranscrit dans l’écriture de ses œuvres. Quand on se réfère à la biographie de Charles Zorgbide , Kipling prône une identité plurielle et ne se reconnaît pas totalement dans la culture Indienne et Britannique. L’auteur nous invite ainsi à réfléchir au « nous », au-delà des frontières nationalistes comme dans son œuvre Something of Myself and other Biographical Writings (1990) où la rencontre des cultures et de l’altérité doit ouvrir des horizons et non les fracturer. Kipling apparait donc comme un écrivain moderne dans le sens où il a essayé de remettre en cause l’unique discours impérial pour une ouverture sur la question de la pluralité culturelle : « Sa tâche, en tant qu’écrivain, consistait donc à faire en sorte que sous l’effet de l’échange et de l’interaction des cultures, les peuples cesseraient d’être enfermés dans leurs frontières. »

Cependant, dans un autre registre, Kipling écrivit en 1899 Le Fardeau de l’homme blanc, poème engagé et publié dans le magasine McClure, dirigé par Franck Doubleday, l’éditeur qui s’est occupé de toutes les œuvres de l’écrivain lors de son séjour à New York . Le document est initialement dédié à la célébration du jubilé d’or et de diamant qui fête les 50 et 60 années de règne de la reine Victoria et de la fierté nationale Britannique . Il fut remplacé par le célèbre Recessional, qui, ressemble fortement à la structure du Fardeau de l’homme blanc. Le poème a été exploité de manière politique et idéologique par, premièrement, sa diffusion dans une revue populaire Américaine (McClure) et, deuxièmement, par le contenu idéologique que l’œuvre divulgue. Par idéologie, il est question, ici, de l’impérialiste Anglo-Saxon et plus précisément la mission civilisatrice des Américains dans les colonies du Pacifique. Ce poème est donc un document de première main, car il a fait office de propagande de la mission civilisatrice au sein de la population Américaine, grâce à l’influence et la notoriété de Kipling en tant qu’écrivain. Ensuite, par l’idéologie impérialiste et politique qu’il expose tout au long de ses vers et strophes.
Devant cette certitude que le poème Le fardeau de l’homme blanc est un message de soutien à l’impérialisme colonial, comme le mentionne les critiques classiques comme Edward Saïd, ou bien encore Francis Adams et Robert W. Buchanan, il est essentiel d’analyser les autres pistes du récit de Kipling. L’historien Patrick Brantlinger, dans Rules of Darkness : British Littérature and Imperialism, 1830–1914, essai ainsi de déceler pour quelles raisons Kipling défendait autant l’impérialisme. En contradiction avec l’historiographie contestataire, Brantlinger s’attache à proposer une analyse multicausale pour expliquer le dévouement de l’auteur. En définitive, l’argumentaire dont il sera question dans le poème ne se fera pas uniquement dans une perspective de remise en cause du discours impérialiste. Kipling disait d’ailleurs à propos de lui-même qu’il avait « two separates sides of my head », par ses cultures et identités multiples, il avait donc plusieurs opinions sur certains sujets.

Pour conclure, de nombreuses grandes figures du mouvement post-colonialiste comme Edward Saïd avaient dénoncées, chez Kipling, sa performativité du langage du monde impérial. Dans son œuvre L’Orientalisme , Saïd remet en cause la littérature de Kipling pour sur l’étude des peuples ayant subi la colonisation. Toutefois, à la lumière de l’analyse du fardeau de l’homme blanc et de notre hypothèse initiale, il apparaît qu’outre le discours impérial, Kipling contredit et ironise les « bénéfices » de la mission civilisatrice. Par les œuvres respectives de Nathalie Deschamps et Gretchen Murphy , il a été possible de déceler la pluralité de langage et de discours quant à son positionnement en tant que fervent protecteur de l’impérialisme Anglo-Saxon. Même si ce constat n’est pas remis en cause, il a été important de prendre en considération le double jeu que propose Kipling. On retrouve le personnage coincés entre deux missions : le respect d’un pluralisme culturel, tout en encourageant l’impérialisme coloniale.

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