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Comment l’amour mène les entrepreneurs à l’échec

Alexia van Schaardenburg
8 min readOct 13, 2016

Il y pense toute la journée, ça le réveille la nuit, l’empêche de dormir, de manger, elle est à chaque instant avec lui.

Elle l’obsède, lui donne envie de déplacer des montagnes, il en parle à tout le monde, tout le temps, il gonfle parfois ses amis, son entourage. Il ne voit que ses qualités, imagine un grand et long avenir avec elle.

Ce n’est pas sa femme ni sa maîtresse (quoique..), ce qui l’obsède ainsi depuis qu’il est devenu entrepreneur, c’est son offre, ses produits ou services, ce que son business propose.

Certains voient ça comme de la passion et de l’implication, d’autres de l’obsession et lui il se dit que c’est ça être chef d’entreprise, toujours penser à comment s’améliorer, faire mieux, plus grand, plus tech, plus rentable etc..

On devient tous entrepreneur parce qu’on a une idée. Révolutionnaire ou toute simple mais qu’on considère importante de développer.

Et c’est l’amour de cette idée qui nous porte et nous permet de nous lancer et prendre des risques. Et heureusement.

Le créateur est souvent aveuglé par cette passion, comme un mec amoureux ne voit que les qualités de sa future nana.

Tel cet entrepreneur, voulant tellement aider une certaine population grâce à sa solution, qu’il en oublie que ce n’est pas elle qui paie et que les acheteurs eux, ont d’autres besoins et contraintes voire pas ce besoin du tout.

Ou telle cette créatrice qui pense que son projet est mal compris des investisseurs, parce qu’il ’est hyper niche’, et qu’il lui faut d’abord déployer l’ensemble de sa solution avec toutes ses fonctionnalités avant de commencer à s’intéresser l’adoption et au churn de sa communauté.

On peut dire beaucoup de choses sur les investisseurs, mais, comme tout le reste de l’écosystème, ils apportent une ouverture et un recul auquel souvent le porteur de projet ou créateur est étanche — au moins au départ, quand il y croit à fond, qu’il a encore de l’argent et toujours beaucoup d’espoir (la honeymoon period qu’on retrouve aussi dans les couples).

C’est le plus souvent cet amour de leur idée, de son potentiel, du bien ou plaisir qu’elle peut apporter aux autres qui leurs met de oeillères. L’amour, et aussi la peur de l’échec. Car envisager l’échec est souvent insupportable mais pourtant tellement utile.

Et c’est l’amour de cette idée qui coule la plupart des boîtes ou en fait des projets morts nés.

Parce que le nerf de la guerre, c’est les clients, ceux qui payent, pas les produits ou ceux qui l’utilisent sans payer. Et beaucoup l’oublie.

Parce que longtemps le modèle était : fabrique un super truc et ensuite essaie de voir qui ça peut intéresser ou évangélise la cible qui te semble la plus ouverte à ta création.

Et longtemps ça à marché. Les entreprises créaient le besoin et les clients suivaient, embarqué par le marketing grand public, leur vantant les mérites de l’offre ou du produit.

Et ça fonctionne encore si vous êtes un l’Oréal, Microsoft ou Unilever, parce qu’ils ont encore le cash pour financer du R&D sur plusieurs années suivi de campagne marketing ciblées et cross channel. Cela peut aussi le faire si vous êtes sur une innovation très disruptive mais 99% des business ne le sont pas et n’ont pas l’argent nécessaire.

Mais ça ne marche pas si vous êtes un petite entreprise, où chaque jour participe au compte à rebours vers le jour où vous n’aurez plus de cash pour financer votre projet voire payer vos factures.

Et là, être amoureux de sa solution comme le dit Ash Maurya, créateur du Lean Canvas, c’est vraiment un problème.

Pourquoi?

Parce que vous allez, comme de nombreux entrepreneurs que je croise régulièrement, passer beaucoup de temps à

  • Faire développer votre appli ou site, alors que les seules personnes qui actuellement ont envie de l’utiliser moyennant finance c’est vous et votre pote.
  • Mettre en ligne la super offre de formation avec communauté rattachée, alors que vous n’avez pas de liste et peu d’interactions avec votre cible voire que vous n’avez jamais fait une formation dans la vraie vie (IRL).
  • Affiner votre site web et votre slogan, alors que vous n’avez pas encore de clients
  • Passer des semaines à améliorer la version votre offre, parce que vous avez la tech de la mort qui tue ou la super idée de service additionnel, alors que vous n’avez pas encore de client. Et surtout si vous n’avez pas de clients, il faut bien profiter de tout ce temps libre et plus votre offre aura de fonctionnalités, plus vous miserez sur un succès fulgurant.

Et tout cela est assez naturel, quand on est amoureux. On veut passer le maximum de temps avec l’élue de son coeur.

Sauf qu’il y a un point noir assez monstrueux au tableau : sans clients, votre projet va mourir et son agonie sera d’autant plus lente que vous resterez à l’assister chez vous, loin de l’écosystème de votre cible.

La solution existe, beaucoup d’entrepreneurs qui ont réussi l’ont compris, pas toujours du premier coup, souvent après quelques déboires et morts à petit feu.

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La solution c’est changer d’amoureuse ou de devenir polygame!

Cela implique se mettre au service de ses clients, de sa cible et d’identifier ce qu’ils veulent, ce qui les empêchent de dormir la nuit, ce à quoi ils n’ont pas encore trouvé de solutions ou pour lequel la solution existante n’est pas au top. Et cela veut dire construire sa solution en fonction d’eux et pas de nous.

Ben oui, évidemment. J’ai fait ça moi vous allez me dire.

Probablement, mais probablement toujours dans le but de satisfaire votre amoureuse n°1 et non pas de satisfaire la cible, ou en tout cas pas suffisamment.
Dans ce modèle de polygamie, c’est utile d’établir une hiérarchie entre les clients et la solution.

Je rencontre régulièrement des porteurs de projets, jeunes startups, indépendants ou entreprises.
Ils sont à fond dans ce qu’ils construisent ou proposent mais quand on essaie de comprendre quels problèmes (au sens Lean Startup) ils essaient de résoudre, ça devient vite flou ou alors on est considéré comme has been ou pas assez novateur/ouvert d’esprit.

Certains auront identifié un besoin, voire fait une petite enquête (pas toujours très méthodique voir limite torchée) mais peu résistent à l’appel de la solution et évitent de trop réfléchir sur l’adéquation marché/produit au sens pur du terme.

Tel cet entrepreneur qui, pourtant bien au fait de la nécessité de valider son produit, interroge ses clients potentiels avec un tel enthousiasme, qu’il embarque ses interlocuteurs avec lui, même si eux, à la base, n’ont pas le problème qu’il tente de résoudre avec son produit. Ou alors, s’ils voient des failles dans sa proposition de valeur, vu la passion déployée, n’osent pas briser l’élan de ce créateur par ailleurs fort sympathique.

Et pourtant, ce qui va tuer votre idée sera justement le fait que personne n’a essayé de la dézinguer.

Mais pourquoi on fait tous ça?

Parce que c’est hyper dur de freiner cet élan créatif, de s’empêcher de faire et prendre le temps de se poser et surtout parce que, risquer de prendre un méga râteau auprès de sa cible, c’est juste pas du tout fun à envisager, surtout alors qu’on vient de s’y mettre.

Et enfin, parce que ce n’est pas si simple d’élaborer une méthode pour valider ses hypothèses.

Donc la majorité préfère ne pas vérifier que leur offre est vraiment viable et opte pour l’option, on lance, on verra bien et en général ce qu’ils voient, sauf exceptions, c’est qu’il ne se passe rien.

Et parfois ils mettent des mois à réaliser qu’il ne se passera rien.

Et en attendant, le cash baisse, le moral aussi, l’alloc Pôle Emploi se réduit, et à un moment ils doivent admettre qu’ils avaient misé sur la mauvaise nana.

Prendre le temps de poser les bases de son business model et surtout de s’immerger dans la tête de sa cible, c’est un investissement colossal mais hyper rentable.

En quelques semaines, au contact de vos clients potentiels, vous saurez si votre idée vaut la peine d’être poursuivie, élaborée, si c’est utile de commencer à développer votre appli, votre service ou votre site. Vous aurez déterminé qui sont vos véritables clients et ce qui les motive.

Ou, vous saurez qu’il faut pivoter, parce que les hypothèses du départ n’étaient pas les bonnes. Pas cool je sais mais beaucoup plus efficace que regarder sa brillante idée mourir à petit feu et votre cash avec.

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J’ai personnellement testé l’approche de Running Lean d’Ash Maurya.

Comme tout le monde, je trouvais mon idée super cool. De part mon expérience je voyais un besoin et j’avais déjà pleins d’idées sur comment j’allais la mettre en oeuvre et j’ai failli lancer le truc, créer la page, faire de la prospection etc….

Mais, ayant fait ça l’année précédente sur un projet de MOOC et constaté que même en étant expert sur un sujet on n’est pas dans la tête des gens, j’ai décidé de tester le Lean Canvas et tout le process pour valider mes hypothèses.

C’était aussi amusant pour moi, qui vient à l’origine du monde des études de marché, d’utiliser mes anciennes compétences pour ma nouvelle activité.

J’avais 3 hypothèses autour de la solitude de l’entrepreneur, son manque de vision globale & de retours constructifs et d’un manque de formations soft skills ajustées aux besoins différents que ceux des corporates.

En l’espace de 2 semaines, j’ai interrogé 10 personnes dans ma cible de départ.

Et rien que ces 10 entretiens (1h environ) m’ont permis de confirmer mes hypothèses, tous étaient d’accord avec mes pain points mais ils m’ont aussi démontré que les solutions existantes étaient soit suffisantes soit mon idée de solution non adaptée à la demande.

En 2 semaines, j’avais enterré ma solution, avant de m’y être trop attachée.

Mon seul investissement était mon temps. Pas de site ou pub. Juste ces entretiens.

De plus, le processus m’a permis de mieux segmenter ma cible au départ très large. Donc j’ai gagné du temps, de l’argent et des infos qui m’ont permis de mieux me positionner.

https://www.flickr.com/photos/pinkpurse/5291302347/in/faves-132393202@N07/

Cette approche fait peur parce qu’elle nous confronte à l’échec.
Au rejet de notre idée, de notre solution. C’est désagréable de se dire qu’on a une idée qui n’intéresse personne.

Mais franchement, quand vous avez une plaie ouverte qui fait mal (pas de traction), vous préférez le chirurgien et les points de suture ou la méthode bandage, ça va passer et ça finit en gangrène?

Parfois il faut passer par l’expérience de l’amputation pour reconnaître les vertus de l’opération.

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Alexia van Schaardenburg

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