Et si le revenu de base était versé en monnaie locale ?

Une autre conception du revenu universel de base : utiliser les monnaies locales pour booster l’économie vertueuse

Alexis Flot
6 min readJan 19, 2016

Le revenu de base m’apparaît de plus en plus comme une des solutions incontournables pour faire face au monde de demain, caractérisé par la concentration des richesses, la pauvreté endémique et l’automatisation du travail. Sa présence dans le débat public est de plus en plus forte et de nombreuses expérimentations sont lancées (ou appelées à être lancées, comme vient de le faire le Conseil National du Numérique).

Cependant, loin d’être clairement défini, le revenu de base comporte plusieurs problèmes. Voici ceux qui me frappent le plus :

  • L’inflation provoquée par une augmentation brusque du revenu de chacun risque de réduire sa portée à néant ;
  • Son universalité et son inconditionnalité le rendent très attractif et font craindre un mouvement d’immigration massif non gérable là où il sera implanté ;
  • L’utilisation qu’il en sera faite, c’est-à-dire la manière dont les bénéficiaires dépenseront ce revenu, est incertaine : on peut craindre une mauvaise utilisation de ce revenu (certains pourraient par exemple l’utiliser pour nourrir la spéculation financière, d’autres pour acheter des produits polluants, ou des produits illicites, etc ; ce qui n’est pas vraiment dans l’esprit philosophique du revenu de base).

Face à ces problèmes, je me suis demandé par quels moyens serait-il possible de garantir à tous un revenu qui permette de subvenir à ses besoins primaires, de consommer de manière responsable, d’encourager un modèle économique vertueux (circulaire, réel et soucieux de l’environnement), tout cela sans perturber l’équilibre macro-économique par une inflation massive qui le mettrait immédiatement en échec.

Parallèlement à ces réflexions, je me suis beaucoup intéressé aux monnaies locales complémentaires, qui s’inscrivent exactement dans cet objectif de promouvoir un modèle économique vertueux et responsable. L’idée m’est ainsi venue de verser le revenu de base en monnaie locale. Après recherches, cette idée n’a été que peu évoquée jusqu’à maintenant, et c’est pourquoi j’aimerais la développer ici.

Le revenu universel de base versé en monnaie locale : une solution ?

L’idée est que chaque région mette en place une monnaie locale et verse une allocation universelle et inconditionnelle à chaque habitant de la région en devise locale.

Ainsi, plutôt que d’avoir un revenu de base identique versé en euro pour chaque Français, on aurait un revenu universel, adapté au niveau de vie de la région, et versé en monnaie locale. Un habitant d’île-de-France aurait par exemple 950 Pêches, un Alsacien 600 Stück, un Breton 750 Gallécos… Chaque région serait chargée de déterminer le montant du revenu et de le verser. Comme pour chaque monnaie locale, 1 unité de devise locale = un euro.

Associer les avantages d’une monnaie locale à ceux du revenu de base : la combinaison gagnante ? / Crédits : MyCities 3.0

Conséquences : un boum économique local, vertueux et écologique

Verser le revenu de base en monnaie locale permettrait d’avoir tous les avantages des monnaies locales et de démultiplier leur impact, puisque chaque habitant serait en possession d’une grande quantité de cette monnaie locale, soit autant de pouvoir d’achat supplémentaire.

Le point fort de l’utilisation d’une monnaie locale est que les produits et services qu’on peut acheter en devise locale sont soumis à un “contrôle qualité” strict : ils doivent ne faire intervenir que des acteurs locaux, des matières premières locales, avoir une empreinte écologique neutre. Ce sont des produits et services responsables pour l’économie et pour l’environnement.

Ainsi, avec ce nouveau pouvoir d’achat en monnaie locale, le secteur des produits et services en monnaie locale se trouverait démultiplié. Imaginez : d’un seul coup, chaque habitant de la région aurait l’équivalent d’environ 800€ en monnaie locale à dépenser. Ceci ouvrirait un vivier considérable en terme de croissance. Les rayons spécialisés et des magasins dédiés aux produits en monnaie locale se multiplieraient.

Un revenu de base versé en monnaie locale aurait donc des répercussions colossales sur l’économie réelle locale. Il encouragerait la relocalisation écologique de l’économie, la moindre utilisation des transports sur de longues distances, le développement du tissu économique local et du lien social. Il créerait de toute pièce un secteur entier de l’économie.

Le Stück à Strasbourg. Photo : Rue89

Vers une relocalisation écologique de l’économie grâce à un revenu de base versé en monnaie locale

Avec une telle quantité d’argent en monnaie locale à dépenser par les habitants, il deviendrait intéressant pour les entreprises de proposer des produits en monnaie locale, puisqu’ils constitueraient pour la plupart des gens une dépense en plus, et non pas un choix à effectuer entre deux dépenses.

Prenons quelques exemples :

⁃ Un magasin de vêtement pourrait vendre un T-Shirt fabriqué dans la région. Certes, il coûterait trois fois plus cher qu’un T-Shirt classique fabriqué au Bangladesh, mais il trouverait tout de même son public, justement car il serait vendu en monnaie locale. Les habitants auront un surplus de pouvoir d’achat en monnaie locale qui leur permettra d’acheter ce genre de produits locaux.

⁃ L’achat de nourriture venant de la région serait également encouragé puisqu’on pourrait acheter celle-ci en monnaie locale. Le bio, plus cher, deviendrait accessible à tous.

⁃ On peut décliner cette logique microéconomique dans beaucoup de secteurs : le surplus de pouvoir d’achat en monnaie locale rend économiquement intéressants les produits locaux plus chers.

Les avantages : financement, pas d’inflation, juste et profitable

Ce système permet selon moi de résoudre plusieurs difficultés du revenu de base :

  • son financement : les régions pourraient créer des «Banques centrales régionales», qui financeraient au moins une partie du revenu de base par la création monétaire. La «planche à billet» serait ici efficace et viable car il s’agirait de créer un nouveau pan entier de l’économie.
  • Les risques d’inflation sont limitées : l’économie en monnaie locale est actuellement peu développée, et mettrait du temps à s’adapter à cette brusque augmentation de la quantité en monnaie locale. Les prix en euro ne seraient pas affectés, quant aux prix en monnaie locale, ils augmenteraient à court-terme (vue l’insuffisance de l’offre par rapport à la demande), mais on peut penser qu’ils se réguleraient vite au fur et à mesure de développement de l’économie en monnaie locale.
  • L’équité : le montant du revenu de base serait adapté au niveau de vie dans chaque région.
  • L’utilisation : le revenu de base serait dépensé pour des produits et services responsables et vertueux : alimentation locale, logement local, transports locaux, etc.
  • La crainte de «profiteurs» s’évanouirait, puisque même si des étrangers voulaient immigrer pour recevoir le revenu de base, leurs dépenses serviraient à dynamiser l’économie locale réelle.

Inconvénients : protectionnisme, insuffisance

Évidemment, s’il permet de résoudre un bon nombre de problèmes, le revenu de base versé en monnaie locale n’est pas parfait et comporte déjà quelques inconvénients :

  • Il prendrait la forme d’un revenu de subsistance pour les plus pauvres, mais d’un revenu complémentaire pas forcément nécessaire pour les plus aisés. Et même pour les plus pauvres, il ne permettrait pas de subvenir à tous les besoins et ne pourrait donc pas suffire à lui-même : impossible d’acheter un ordinateur, un smartphone, etc.
  • Il pourrait mettre en place une «dictature du local» qui entraînerait un repli sur soi, un éventuel retour du régionalisme et une nouvelle forme de protectionnisme.

Il comporte sûrement bien d’autres inconvénients et c’est pourquoi je voulais partager cette idée ici afin de recueillir vos avis. Il me semble néanmoins que ses avantages sont intéressants et qu’une solution plus parfaite pourrait être trouvée.

Un revenu de base constitué d’une partie en euro (fixe et nationale) et d’une partie complémentaire en monnaie locale (adapté, fixé et versé par la région) pourrait constituer une piste intéressante de compromis.

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Alexis Flot

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