Panama Papers et après?

Alexis Poulin
4 min readApr 19, 2016

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Etrange comme soudain, suite aux révélations de plusieurs rédactions internationales sur l’ampleur de l’évasion fiscale organisée par un cabinet au Panama, les élus, directeurs de banques et les citoyens semblent découvrir un système mondial pérenne et bien organisé, souvent avec la collusion de ces mêmes élus.

Qui peut croire encore M. Oudéa, le directeur de la banque Société Générale, alors qu’il a menti sciemment à une commission sénatoriale, acte puni par la prison et l’amende. Les pouvoirs publics auront-ils la même diligence à le punir que les salariés d’Air France qui avaient, par colère, arraché la chemise de leur DRH? Risque-t-il d’être désavoué par ses actionnaires et perdre sa position si bien rémunérée? Rien de moins sûr.

La colère, elle est légitime aujourd’hui. Il devient impossible de faire croire aux masses laborieuses ou sans emploi que la seule solution pour le bien des nations est de ‘fluidifier’ le marché du travail en limitant les hausses de salaire, en oubliant les salaires minimaux, en réduisant les soutiens aux plus précaires, alors que les quelques privilégiés les plus riches voient leur richesse augmenter à l’abri des paradis fiscaux, et parfois leur incompétence à la tête d’entreprises défaillantes gratifiée de confortables bonus.

Mais n’ayez crainte, les politiques veulent remettre la France “en marche” comme Emmanuel Macron, ministre socialiste non encarté qui lance son mouvement à quelques mois de l’élection présidentielle. En marche, en vendant le travail qui n’existe pas assez ou plus, mais certainement pas en attaquant la source de tous nos maux: la compétition fiscale entre les nations et la taxe injuste du travail.

Car enfin, les caisses sont vides, l’assurance chômage, les caisses de santé sont au bord du gouffre et la croissance, comme Godot, ne viendra pas. Pas maintenant, pas comme ça.

Aucune solution aux problèmes français ne pourra venir du cadre national. Nous avons besoin de plus d’Europe: une Europe politique qui chasse en son sein les paradis fiscaux qu’elle abrite. Difficile avec un Président de la commission, ancien Premier ministre du Luxembourg. Les Luxleaks, vous vous rappelez? Comment le Luxembourg fit une concurrence déloyale à tous ses voisins en proposant un dumping fiscal aux multinationales. Bientôt va s’ouvrir le procès d’Antoine Deltour, le principal lanceur d’alerte des Luxleaks, poursuivi par la justice luxembourgeoise pour avoir révélé en 2014 le système d’évasion fiscale des multinationales grâce aux “tax rulings” du fisc luxembourgeois. La France souhaite protéger le statut de lanceur d’alerte; voici donc un parfait exemple de la disproportion de la réponse judiciaire envers ceux qui dénoncent à des fins citoyennes, et les fraudeurs.

Le gouvernement avait poussé il y a quelques mois les députés à voter contre une mesure de transparence fiscale, prétextant que le temps européen devait venir avant la législation nationale. Sauf qu’en 2008, il a fallu moins d’un mois pour sauver les banques de la banqueroute avec l’argent public et qu’il faudra “des années” pour que nos chers représentants acceptent d’harmoniser les politiques fiscales en Europe tout en attaquant avec le G20 les paradis fiscaux qui font de ce monde un enfer.

Enfin, des solutions simples existent qui pourraient calmer le trading à haute fréquence et la finance casino qui nous gouverne: une taxe, simple, techniquement possible, de l’ordre de 0,5% sur tous les paiements électroniques. Contrairement à la taxe Tobin, elle ne concernerait pas seulement les transactions en bourse, mais aussi celles de la vie de tous les jours effectuées avec une carte de crédit ou avec un ordinateur. Un tel impôt serait susceptible de remplacer la plupart de ceux qui existent actuellement, comme la TVA ou ceux qui portent sur le revenu, et permettrait de se passer de la déclaration fiscale! Dans un pays où le chômage ne cesse d’augmenter, il est absurde de taxer autant le travail! Aujourd’hui, les grandes banques sont sous-imposées et tant l’économie que la société sont asphyxiées par des impôts en tous genres. Pour résumer, une telle micro-taxe sur tous les paiements électroniques aurait l’avantage de considérablement réduire la charge fiscale des classes moyennes ainsi que la pesanteur administrative à laquelle elles sont soumises! Les foyers fiscaux et entreprises s’acquitteraient de leurs impôts automatiquement, tout simplement en réglant leurs factures! Une idée simple, qui permettrait de lutter efficacement contre l’évasion fiscale et les paradis fiscaux, et que les lobbys financiers vont s’empresser de compliquer pour en empêcher l’application, car il en serait fini de leur juteux jeu de casino à base d’algorithmes et de montages douteux.

Par ailleurs, avant d’être commercialisés, les produits financiers devraient être certifiés, de manière à ce qu’ils satisfassent certaines normes, comme c’est le cas dans d’autres branches d’activités, comme les secteurs pharmaceutique, alimentaire, automobile… Une autorité de supervision devrait être responsable de l’éventuelle certification de ces produits. L’objectif étant de cesser la diffusion de produits financiers toxiques qui pénalisent les clients des grandes banques et génèrent un risque systémique dans l’économie.

C’est à nous, les citoyens, de porter ce type de projets, car les politiques nous feront défaut. Le système actuel est à bout de souffle. Face à l’hypocrisie des pouvoirs en place, qui trop souvent jouent le jeu des paradis fiscaux et des grandes banques, seul le courage civique permettra de réactiver la démocratie, de donner à l’éthique le rôle qui devrait être le sien, et de placer l’homme au centre de l’économie.

Alexis Poulin

et Marc Chesney, Directeur de l’Institut Banque et Finance de l’Université de Zurich

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Originally published at www.huffingtonpost.fr.

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