Foot allemand : La fabrique du mythe Beckenbauer

Alex Renaud-Bourbon
6 min readJan 9, 2024

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Il était l’un des très grands de ce sport. La légende parmi les légendes en Allemagne. Le guide d’une équipe qui se trouvait sur le chemin de la réunification. Franz Beckenbauer est mort, ce dimanche 7 janvier, après 78 ans d’une existence dans laquelle le football lui a tout donné. Comment cet élégant défenseur a construit sa légende ?

Joueur, entraîneur puis dirigeant, Franz Beckenbauer reste tout au long de sa vie lié au Bayern Munich.

De 1945 à 1972, les prémices d’un symbole allemand

Né le 11 septembre 1945 à Munich, Franz Beckenbauer voit le jour un peu plus de quatre mois après la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe. Il s’intéresse au ballon rond à partir de l’âge de neuf ans, date de sa première licence, et s’entiche vite du 1860 Munich, club au maillot bleu et blanc. Pourtant, le Bavarois ne jouera finalement jamais sous ces couleurs. Et ce, pour une raison tout à fait insolite. En effet, alors que le futur Kaiser est âgé de 13 ans, un joueur de ce fameux club lui assène une gifle. Ce geste change à jamais le destin du jeune Franz puisque celui-ci opte pour le Bayern Munich, formation rivale, qui elle, se pare de rouge. Il y passera treize saisons professionnelles pour un total de 567 matches dont 396 dans la seule Bundesliga.

Franz Beckenbauer se distinguait par son élégance et sa science défensive, deux des qualités qui le rendaient indéboulonnables dans le jeu de ses équipes. Seulement, il avait aussi un sens de l’abnégation sans commune mesure. Le 17 juin 1970, alors que l’Allemagne de l’Ouest est aux prises avec l’Italie dans une demi-finale de Coupe du Monde d’anthologie, le libéro perd l’une de ses épaules, démise. Tout indique qu’il ne peut pas continuer mais il persiste et joue jusqu’au Schlusspfiff (coup de sifflet final) avec le bras enroulé dans une écharpe. Les images sont passées à la postérité malgré la défaite allemande dans ce “match du siècle” face aux Azzurri. Elles ont montré que ce roc de 24 ans à l’époque, n’était pas fait du même bois que tous les autres. Deux ans plus tard, ce même homme guidera les siens vers le triomphe à l’Euro 1972, affublé du brassard de capitaine.

17 juin 1970 : Franz Beckenbauer sacrifie son corps et termine le “match du siècle” contre l’Italie.

De 1972 à 1976 : Franz devient Beckenbauer le victorieux

Justement, cette année-ci est celle durant laquelle l’Empereur de la défense entre définitivement dans l’histoire de son sport. Il devient le deuxième allemand à remporter la plus spéciale des récompenses individuelles, à savoir le Ballon d’Or. C’est une première pour un joueur défensif de son pays puisque seul Gerd Müller (attaquant) avait reçu ce prix auparavant (1970). Non content d’être devenu le meilleur footballeur européen (le Ballon d’Or n’est ouvert qu’à eux à cette époque), Franz continue sa moisson de trophées dans les années qui suivent. En 1974, le Bayern Munich s’impose en Coupe des clubs champions européens et met fin à l’hégémonie des Néerlandais de l’Ajax Amsterdam. Franz et ses coéquipiers ouest-allemands dégoûtent à nouveau les magnifiques Bataves en finale du Mondial quelques mois plus tard. Il devient alors le premier capitaine à soulever le trophée flambant neuf de la Coupe du Monde. Sa domination sur le football ne s’arrête pas puisqu’il s’adjuge aussi deux nouvelles Coupe des clubs champions européens en 1975 et 1976, dont la dernière après s’être défait des légendaires Verts de Saint-Étienne. Si les Français retiennent que les poteaux étaient carrés, cette finale gagnée suffit au numéro 5 pour glaner un nouveau Ballon d’Or. À ce jour, aucun joueur allemand n’a réussi à le dépasser, pas même Karl-Heinz Rummenigge (vainqueur en 1980 puis 1981).

De 1977 à 1991 : Réussites et échecs du Kaiser entre New York et Marseille

Les mots élogieux de Didier Deschamps destinés à Franz Beckenbauer ce lundi, après l’annonce de la mort de ce dernier ne trompent pas. Le Kaiser restera dans l’histoire comme “un défenseur talentueux et autoritaire avec son club de presque toujours, le Bayern Munich, mais aussi avec la sélection allemande avec lesquels il a collectionné les trophées”. Il s’est aussi fait sa place parmi les joueurs avant-gardistes qui ont voulu développer le football aux États-Unis en y signant. Quand le New York Cosmos enregistre l’arrivée de Beckenbauer au mois de mai 1977, c’est une constellation d’étoiles qui se forme puisque Pelé, la légende brésilienne aux trois victoires en Coupe du Monde, fait déjà partie de l’effectif. L’association entre les deux hommes s’avère fructueuse puisqu’elle est couronnée d’un titre de champion de North American Soccer League dès les premiers mois. Cela ravit le Giants Stadium qui avait ouvert ses portes en octobre 1976. Un peu plus de 77 000 amoureux de soccer envahissent par exemple l’enceinte du New Jersey, à proximité de la Grosse Pomme, lors de la demi-finale du championnat contre Fort Lauderdale cette année-là. Pelé tire ensuite sa révérence et le public se montre peu à peu moins investi lorsqu’il s’agit de ballon rond. Néanmoins, Beckenbauer continue sa route et gagne encore. Il garnit son armoire à trophées de deux titres supplémentaires en 1978 et 1980, année de son départ pour le Hamburger SV. Il y remporte une dernière fois la Bundesliga en 1982 puis décide de poser à nouveau le pied en Amérique. Il voit s’éteindre la NASL en 1985, après une dernière danse au Cosmos entre 1982 et 1983.

Après avoir raccroché les crampons, le Munichois ne chôme pas très longtemps puisqu’il est propulsé à la tête de l’équipe nationale pour laquelle il a déjà tant fait lorsqu’il était joueur (103 sélections). Lorsqu’il arrive sur le banc, les joueurs ouest-allemands se trouvent dans une situation délicate puisqu’ils n’ont pas su aller plus loin que le premier tour de l’Euro 1984. La mission n’est pas simple pour lui à ses débuts mais finalement, il trouve des ressources pour mener son groupe vers la finale du Mondial 1986, au Mexique. Diego Maradona (Argentine) était trop fort sur ce tournoi mais Brehme, Beckenbauer, Matthäus auront leur revanche quatre ans plus tard et leur troisième étoile. Certes la finale est morose, l’histoire est toutefois belle puisque l’Allemagne, séparée en deux pays depuis 1949 (RFA et RDA) retrouve son unité en 1990.

Près de deux mois après ce nouveau titre mondial, Beckenbauer est séduit par Bernard Tapie, patron d’Adidas et président de l’OM. L’Allemand, qui a tout gagné lorsqu’il était joueur, pose alors ses valises dans le Sud de la France. Il a pour mission de faire grandir le club, qui ambitionne de devenir le premier club français vainqueur de la Coupe des clubs champions européens. Cependant, rien ne se passe comme espéré. L’ancien défenseur n’apprend pas le français, est perturbé par la structure du club, un Tapie qui serait trop présent. Il ne dépasse pas la vingtaine de matches dirigés et compte dix victoires, deux nuls et cinq défaites. Il va au bout de la saison mais passe dans le rôle de directeur sportif. Ainsi, il ne peut empêcher la défaite marseillaise en finale de Coupe des clubs champions européens contre l’Étoile Rouge de Belgrade, après la douloureuse séance de tirs au but de Bari. Cet échec français remet-il en cause le mythe du Kaiser ? Pas vraiment car le double Ballon d’Or a notamment laissé une belle image à l’ex-gardien Gaëtan Huard, qui confie à Eurosport avoir connu un Beckenbauer avec “le cœur sur la main”. Cela montre que même les plus grands de ce sport ne sont pas inévitablement programmés pour la victoire. Ils restent des humains mortels avant tout.

Franz Beckenbauer aux côtés de Bernard Tapie en 1990.

Palmarès de Franz Beckenbauer

6x Champion d’Allemagne (5x en tant que joueur puis 1x en tant qu’entraîneur).

3x vainqueur de la North American Soccer League

4x vainqueur de la Coupe d’Allemagne

3x fois vainqueur de la Coupe des clubs champions européens

2x vainqueur de la Coupe du Monde (en tant que joueur puis sélectionneur).

1x vainqueur de l’Euro.

2x Ballon d’Or.

Alex Renaud-Bourbon

Photos d’illustrations : Pinterest, AFP, Schnoerrer/Keystone, Jacques Demarthon.

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Alex Renaud-Bourbon
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Journaliste lyonnais guidé par les petits et grands récits. Sport - Société - Histoires