“Mission flash” : Des urgences régulées mais toujours dépassées

À quelques semaines des Jeux Olympiques et quatre ans après la pandémie de Covid-19, les patients ne cessent d’affluer vers des services d’urgences toujours sous pression. Malgré les réformes, dont la généralisation des filtrages aux urgences, les soignants déplorent un manque de personnel global dans le secteur et des moyens toujours insuffisants.

Alex Talandier
8 min readJun 23, 2024
Les brancards supplémentaires sont fréquement sollicités pour accueillir les patients des services d’urgences toujours remplis. Crédit photo : Alex Talandier
Les brancards du Centre Hospitalier Emile Roux du Puy-en-Velay (Haute-Loire) sont sollicités pour accueillir les patients des services d’urgences. Photo d’archives : Alex Talandier

Voilà une épreuve que s’apprête à surmonter l’hôpital public sans médaille à la clef. Alors que l’été rime avec surchauffe des services d’urgences, il faudra cette année conjuguer avec les Jeux Olympiques pour une grande partie des hôpitaux de la région parisienne.

Cet été ça va être encore plus tendu que d’habitude dans les services d’urgences”, alerte Christophe Prudhomme, médecin urgentiste au SAMU93 à Bobigny et porte-parole de l’Association des médecins urgentistes de France (Amuf). Création d’un centre pour les athlètes, hausse des besoins de soins dans les hôpitaux mobilisés, l’événement sportif international apportera une charge supplémentaire. “On risque de se mettre en grève symboliquement dans les hôpitaux de référence des JO, détaille Christophe Prudhomme, parce qu’on nous refuse la prime qu’on réclame pour l’ensemble du personnel, du fait qu’on a demandé à tout le personnel, et pas qu’aux services dédiés, de ne pas prendre plus de quinze jours de vacances.

Chaque année, 20 millions de français font appel aux soins des urgences. Un chiffre en augmentation de 28% depuis 10 ans, selon les données de la Drees, et symbole d’une crise qui touche les services depuis plusieurs années. Avec la pandémie de Covid-19 et l’obligation de tri entre les patients faute de lits disponibles, la question de réformer les urgences est devenue une priorité pour l’exécutif.

D’autant plus que chaque été la situation devient de plus en plus tendue. L’été dernier, 163 services ont fermé “au moins ponctuellement”, faute de personnel nécessaire comme souligne SAMU Urgences de France. Des services remplis, où les patients peuvent parfois passer une nuit sur un brancard, ce qui “augmente de près de 40% le risque de mortalité hospitalière” affirme l’enquête “No Bed night de l’AP-HP, de l’Inserm et de Sorbonne Université publiée en 2023.

On est très inquiet, insiste Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI), on voit que justement on n’arrive plus à faire face l’été en cas de canicule ou lors de catastrophe naturelle car on est au quotidien sous tension.”

“Ça va mieux sur certains points, ça ne va pas mieux sur d’autres. C’est peut-être même pire sur certains.”
- François Braun, ancien ministre de la Santé (2022–2023)

Pour répondre à la crise, le Président de la République a commandé, en 2022, une Mission Flash” sur les urgences et les soins non programmés à François Braun alors président du Syndicat SAMU-Urgences et qui deviendra Ministre de la Santé et de la Prévention un mois plus tard. Le résultat ? 41 “recommandations pour l’été” alors que la situation s’annonçait très tendue à cause de la pandémie et du manque de médecins.

De retour au SAMU de Metz-Thionville (Moselle), après avoir quitté le gouvernement en 2023, François Braun a repris son activité de médecin régulateur et expérimente ses réformes au quotidien. Il en tire un bilan en demi-teinte : “Ça va mieux sur certains points, ça ne va pas mieux sur d’autres. C’est peut-être même pire sur certains. Je crois que la situation est globalement difficile mais c’est très territoire-dépendant, ça dépend beaucoup des établissements de santé.

Des situations hétérogènes qui se retrouvent particulièrement dans l’évolution des passages aux urgences ces dix dernières années. Si la majorité des départements voient une augmentation franche du nombre d’entrées en soins non-programmés, d’autres tels que l’Allier, ont connu une baisse des passages.

Depuis 2022, certaines recommandations de cette “boîte à outils” ont été adoptées par les établissements hospitaliers. Parmi elles, le Service d’Accès aux Soins (SAS) qui permet de réorienter les patients qui souhaitent se rendre aux urgences mais aussi d’autres mesures telles que les primes de nuit et de week-end pour le personnel médical travaillant l’été ou encore le recours à la télémédecine.

Des mesures temporaires qui tendent à se généraliser

Au Centre Hospitalier Emile Roux du Puy-en-Velay (Haute-Loire), le filtrage a été mis en place. Une solution à une crise temporaire qui n’a cessé d’être prolongée. Depuis 2023, pour accéder aux urgences de l’hôpital, les patients doivent composer le 15 et sont réorientés par le médecin de la régulation.

Depuis deux ans, le nombre d’appels a fortement augmenté à la fois au Puy-en-Velay mais aussi au niveau national. Une bonne chose selon l’ancien ministre, symbole que le message est passé et que le nombre de patients se rendant directement aux urgences a baissé.

Une solution qui “fait du bien” reconnait Théo Vissac, infirmier dans le service d’urgence du centre hospitalier ponot : “Au début on avait vraiment eu des manques de médecins, un seul au lieu de quatre, et il y avait eu un filtrage sévère des entrées réduit aux urgences vitales. Maintenant qu’on est plus gâtés en médecins, la régulation est toujours faite mais moins sévère. Si c’est de la bobologie qui relève de la médecine générale, ils sont réorientés vers un médecin généraliste, mais sinon quand les patients nécessitent des examens et des imageries, ils viennent quand même aux urgences parce qu’ils n’ont pas le choix.

Adoptée dans 22 départements, le gouvernement a généralisé cette technique de régulation en étendant le Service d’Accès aux Soins (SAS) à l’ensemble de la France via un décret publié le 14 juin dernier.

Un appel à la régulation comme solution face au manque de moyens et à cause de la pénurie de médecins, d’infirmiers et de paramédicaux qui résulte d’un épuisement et une perte d’attractivité de la profession. “On est à l’os, on n’arrive plus à faire face”, déplore Thierry Amouroux. Dans le rapport de la “Mission Flash” publié en 2022, les auteurs indiquent clairement que “les difficultés concernant les services d’urgence sont principalement liées à un manque d’urgentistes (77%), de paramédicaux (60%) et de médecins de ville (64%).” À l’hôpital de Metz-Thionville où il exerce, l’ex-ministre de la Santé François Braun s’inquiète d’une situation estivale “extrêmement compliquée puisqu’il y a 50% des postes médicaux vacants.

Le miroir grossissant de tous les dysfonctionnements de notre système de santé

Cependant, cela ne suffit pas à expliquer la crise actuelle des urgences et les professionnels appellent à élargir la focale. “Le problème des urgences il est à l’extérieur des urgences, martèle Christophe Prudhomme, dans la médecine de ville, dans les EHPAD mais aussi dans l’hôpital“.

Déserts médicaux, une médecine de ville qui se déplace de moins en moins chez les patients faute d’efficacité, des médecins spécialistes qui ne traitent que les soins programmés… Les exemples sont très nombreux, à l’instar des EHPAD qui manquent parfois de personnel médical comme développe le porte-parole de l’Amuf : “Envoyer aux urgences des GIR 1 et GIR 2 [personnes très dépendantes dont les fonctions mentales sont altérées, NDLR.], qu’est-ce qu’on va faire ? Ce sont des gens qu’on doit soulager, des personnes âgées qui sont beaucoup mieux dans leur lit en EHPAD avec des aide-soignants qui vont s’occuper du nursing et de les aider à manger alors que quand elles sont aux urgences elles meurent parfois sur des brancards, dans des conditions inhumaines.

Une situation sur laquelle convient François Braun, appelant à une restructuration de l’hôpital : “[Les urgentistes] suppléent aux défaillances de partout, défaillances qui sont liées au fait que des actions ne peuvent plus être faites par d’autres médecins ou ne veulent plus être fait par d’autres médecins.” Autant d’insuffisances du système de santé national qui poussent les personnes ayant besoin de soins à aller en dernier recours aux urgences. “Les urgences sont le miroir grossissant de tous les dysfonctionnements de notre système de santé”, conclue Christophe Prudhomme.

Si certains territoires se trouvent dans une situation très préoccupante, d’autres ont réussi à améliorer la situation. Du côté du Centre Hospitalier Emile Roux, en 4 ans, la pression est redescendue d’un cran grâce au recrutement de médecins et à un effectif paramédical suffisant. “Moi, quand je vais travailler je suis content d’aller travailler, je n’y vais pas à reculons, l’environnement de travail a changé”, confie Théo Vissac, arrivé en pleine pandémie dans l’hôpital ponot.

D’un naturel positif”, le jeune infirmier urgentiste ne s’attend pas à une situation pire que les années précédentes en Haute-Loire : “il y a toujours des lits qui ferment, mais c’est sûr que s’il n’y avait pas de pénurie médicale ou même paramédical, il y aurait plus de lits ouverts. Ce n’est pas une volonté de l’hôpital public mais plutôt un manque de compétences, par manque de médecins. Mais globalement au Puy, on arrive toujours à trouver un lit.

Des mesures structurelles sans lendemain

Outre la question des médecins et des déserts médicaux, les cris d’alarmes pointent en direction des lits. Si le nombre de lits aux urgences en Unité d’hospitalisation de courte durée (UHCD) a augmenté de 7%, au global sur l’hôpital, les chiffres sont à la baisse. “En 25 ans, on a fermé 100 000 lits. Sous le gouvernement de Monsieur Macron, ce sont 20 000 lits supplémentaires qui ont été fermés. Sauf que le vieillissement de la population nous oblige à hospitaliser des gens qu’on hospitalisait pas avant. Et on aura pas de lit pour ces personnes là. ” s’insurge Christophe Prudhomme.

Si certaines des mesures conjoncturelles mises en place en 2022 semblent se pérenniser, certaines n’ont eu ni suites ni ajouts. “Il y a une dynamique qui s’est enclenchée, mais il ne faut pas la perdre. Malheureusement, on a un peu arrêté, il y a une absence de continuité des mesures.” regrette François Braun, qui plaide notamment pour la poursuite des Conseils Nationaux de Refondation, qu’il avait commencé à implanter lors de son passage au Ministère, avec pour objectif de revoir l’organisation de la santé dans les territoires.

Depuis la “Mission Flash” de 2022, aucune nouvelle mesure n’a été prise pour réformer les urgences en France. « D’ici la fin de l’année [2024], nous devrons avoir désengorgé tous nos services d’urgence », promettait Emmanuel Macron, le 17 avril 2023 lors d’une allocution télévisée. À six mois de l’échéance, l’engagement paraît difficile à tenir.

Alex Talandier

Le Ministère de la Santé n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations.

Législatives 2024 : Les propositions des candidats pour sauver l’hôpital public

La santé et les services publics sont dans les principales préoccupations des français et se retrouvent logiquement dans les programmes des principaux partis candidats aux sièges de l’Assemblée Nationale.

Chez Ensemble, le parti du chef de l’Etat, on vise la continuité en poursuivant certaines politiques déjà implémentées depuis son arrivée au pouvoir. Au programme, le déploiement dans tous les départements du Service d’Accès aux Soins (voir précédemment) et le doublement du nombre de médecins en formation d’ici 2027 grâce à la fin du numerus clausus — décidée en 2020 et remplacé par le numerus apertus. Le mouvement présidentiel annonce également garantir, dès cet été, un médecin de garde à moins d’une demi-heure de chaque citoyen ou encore libérer 20 millions de rendez-vous par an en étendant une vingtaine d’actes médicaux du quotidien aux pharmaciens, sages femmes et infirmiers.

Pour les cent premiers jours du Nouveau Front Populaire (NFP), plusieurs mesures sont dédiées à la santé. Une “conférence de sauvetage de l’hôpital public” serait mise en place “afin d’éviter la saturation pendant l’été.” L’alliance des partis de gauche prévoit de revaloriser le travail de nuit, le week-end et plus globalement le salaire des professionnels de la santé. Par ailleurs, comme suggéré par la Cour des Comptes à l’automne dernier, le NFP souhaite contraindre les cliniques privées à participer à la prise en charge des soins non programmés par les médecins généralistes.

Du côté du Rassemblement National et des Républicains (LR-RN), Jordan Bardella a annoncé peu de mesures ciblant directement l’hôpital public mais ambitionne de redonner de l’attractivité à la profession en supprimant l’impôt sur le revenu pour les médecins. Par ailleurs, le dirigeant du parti d’extrême droite a annoncé vouloir supprimer les ARS pour leur préférer une gestion à l’échelle départementale.

Alex Talandier

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Journaliste en formation (77e CFJ) - Data, économie et investigation - Actuellement à WeDoData