La résilience à l’épreuve du confinement: quelques enseignements de rescapés de guerre

Alix Faddoul
4 min readJun 16, 2020

--

Photo en noir et blanc du centre-ville de Beyrouth. Crédit image Alix Faddoul
Centre-ville de Beyrouth. Crédit Alix Faddoul

Vivre une pandémie est une expérience traumatisante. Mais ce n’est pas une guerre. Nous sommes Susan Kornacki et Alix Faddoul, récemment diplômées d’un Master de Santé Publique de l’Université de Johns Hopkins. Nous avons interrogé des personnes ayant survécu à des situations de conflit et de confinement forcé par le passé afin d’avoir leurs éclairages sur la manière de mieux vivre la situation actuelle.

Nous avons discuté avec Noha Faddoul, la tante d’Alix, qui a vécu 15 ans de guerre civile au Liban (1975–1990), Karim Kattan, un auteur palestinien et candidat au doctorat basé à Bethléem et ayant vécu la seconde Intifada (2000–2005) étant enfant, et Mario Patiño, un travailleur humanitaire américano-colombien qui a travaillé pendant plus de 10 ans dans des contextes de crise en Colombie, en Iraq, au Sud Soudan ou en Syrie avant de retourner habiter à New York. Nous vous présentons ici leurs réflexions en espérant qu’elles puissent être une fenêtre sur de nouvelles perspectives et stratégies d’adaptation en cette période difficile.

Cette pandémie est l’occasion d’apprécier un abri sûr lorsque nous y avons accès, et de s’allier contre un ennemi commun.

Atteinte du Covid-19, Noha a été admise à l’hôpital le 26 mars. Alors que ses symptômes perduraient, sa famille a eu peur pour sa vie. Pour elle, être une victime du Covid-19 est très différent d’être victime d’un conflit. « Pendant la guerre l’ennemi pouvait être n’importe qui, le voisin ou le village d’en-face. Maintenant on ne voit pas l’ennemi, on ne le sent pas. Je ne sais même pas comment j’ai été infectée ». En d’autres termes, il n’y a pas de coupable.

Actuellement rétablie, elle explique que pendant cette pandémie, il est plus facile de s’unir contre un ennemi invisible commun et de se soutenir les uns les autres.

Pratiquer la distanciation sociale est un travail d’équipe. Nous avons tous un rôle à jouer.

« Notre monde devient plus petit pour une certaine période » a dit Mario Patiño. En se souvenant des périodes de sa vie où il a vécu des situations de conflit il observe: « Nous sommes encouragés à rester à la maison mais nous y sommes pas contraints. Ici, aux Etat-Unis, nous ne vivons pas dans un Etat totalitaire. Nous dépendons de la bonne volonté et du jugement de chacun pour rester à la maison et jouer son rôle ». Cette flexibilité n’est pas une option en temps de guerre.

L’accès au téléphone et à internet est un privilège dont ne disposaient pas les générations passées.

Noha nous a raconté une anecdote datant de ses vingt ans, sous les bombes de la guerre civile libanaise. Alors que sa sœur Flavia venait d’accoucher, elle a conduit plus de 100 kilomètres, franchissant un barrage militaire syrien, pour atteindre une ligne téléphonique internationale. Son objectif : appeler son frère qui s’était réfugié en France pour poursuivre ses études pour lui apprendre l’heureuse nouvelle. En pensant aux moyens de communication dont elle dispose actuellement Noha dit: « Heureusement qu’il y a WhatsApp ! Même quand j’étais à l’hôpital sans aucune visite autorisée, je ne me suis pas sentie isolée ».

Cultiver la compassion — envers les autres et envers soi-même

Karim a été confiné pendant plus de trois mois à cause de la pandémie. Vivant sous l’occupation israélienne, ce n’est pas la première fois qu’il est contraint de rester à la maison. Il prend du recul par rapport à cette situation: « C’est une expérience traumatisante pour tout le monde. Y compris pour les gens qui vivent dans des conditions relativement confortables. Nous réagissons tous au traumatisme différemment et j’apprends à être plus tolérant avec la manière dont chacun gère ces circonstances ».

Concernant les attentes de productivité, Mario explique « Lorsque l’on travaille en équipe, c’est important de comprendre que la réalité de chacun a changé et de faire preuve de flexibilité envers ces contraintes ». Karim renchérit « On ne peut pas exiger de ces moments qu’ils aient un sens. On ne peut pas forcer la productivité. Mais on peut se concentrer sur les manières de vivre pleinement sans se contenter de survivre ». Il nous a encouragé à chercher la beauté tout autour de nous et à nous autoriser à être en plus grande harmonie avec le monde.

Nous avons rassemblé ces témoignages en hommage aux personnes ayant vécu ou vivant des situations de conflit. Nous espérons que ces réflexions puissent vous être aussi utiles qu’elles l’ont été pour nous, et pourront vous aider à trouver des moyens de faire face à la crise et d’en sortir grandis.

Nous remercions Karim, Mario et Noha pour le temps qu’ils nous ont consacré, et pour leur sagesse qu’ils ont partagé avec tant de générosité.

This article is available in English on Susan Kornacki’s Medium account.

A propos des autrices

Alix Faddoul, MSc, MPH, est une professionnelle franco-libanaise du développement international. Elle travaille à l’accès aux services de santé dans les pays en développement, notamment au Moyen-Orient. Twitter: @alixfdl.

Susan E. Kornacki, MPH, est une professionnelle de la santé publique spécialisée sur des question de politique alimentaire aux Etats-Unis ainsi que sur les déterminants sociaux de la santé et du développpement durable. Elle est membre de la Bloomberg American Health Initiative.Twitter: @susan_kornacki_.

--

--

Alix Faddoul

PhD Candidate @Heidelberg // Climate Change x Health x Humanitarian Action