La bienveillance au cœur de l’éducation, un an à l’école alternative du hameau des buis.

Aurélien Foutoyet
21 min readOct 5, 2016

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Il y a deux ans, je suis parti de Marseille pour aller m’installer au sud de l’Ardèche, dans une petite ville de 3000 habitants. Mon arrivée ici a coïncidé avec la première rentrée scolaire de ma plus grande fille quelques mois plus tard.

La mère de mes enfants et moi-même avons choisi de nous positionner sur une voie éducative largement minoritaire qui place la bienveillance, le respect et l’autonomie de nos deux enfants au centre de nos priorités. Pour être en phase avec nos principes nous souhaitions donc trouver une école qui soit en accord avec notre façon de fonctionner. Avant de vous la présenter, je vais m’arrêter sur ce terme de bienveillance, car il sera au cœur de cet article.

La vue orientée Nord de ma nouvelle petite maison Ardéchoise…. Ça change de Belsunce breakdown.

En matière d’éducation, ce terme semble être un pléonasme. Je ne connais personne qui se dirait malveillant vis-à-vis de son enfant n’est-ce pas ? Pourtant, lorsque je me suis penché sur la question à la naissance de ma première fille, je me suis rendu compte que sans une véritable réflexion de ma part, l’éducation que j’allais donner à mes enfants risquait d’être, grosso-modo, une simple reproduction de celle que j’avais moi-même reçu. Étant né il y a 35 ans dans une famille de classe moyenne très “conventionnelle” pour l'époque, j‘ai compris qu’en fonctionnant «au feeling» sans trop réfléchir sur ces questions, je risquais de reproduire les schémas relationnels dans lesquels j’avais été moi-même façonné, ce qui n’est pas étonnant puisque l’être humain est ainsi fait.

J’ai eu la chance d’avoir à mes côtés la mère de mes filles qui m’a ouvert les yeux sur le vaste champ des possibles en matière d’éducation. Il m’a fallu beaucoup de temps pour me renseigner sur le sujet, comprendre, accepter et finalement intégrer la bienveillance dans ma façon de fonctionner au quotidien avec mes filles. D’ailleurs ce n’est jamais fini, je travaille tous les jours à m’améliorer sur ce point, car je suis loin, très loin, d’être au top sur le sujet mais j‘ai conscience de mes faiblesses.

J’imagine que jusque là tout le monde ou presque semble en accord avec ce discours. Maintenant laissez-moi vous dire ce qu’implique concrètement ce mode d’éducation et je reviendrai sur l’école juste après :

  1. La mise en place d’une communication non-violente avec mes filles :
  • pour toutes les émotions qui ME concernent, je parle en “JE” pour éviter d’attribuer aux autres les sentiments qui me sont propres :

“Lina, j‘ai peur que tu te fasses mal si tu montes sur cette chaise”

plutôt que :

“Lina, descends tu vas tomber”

“Maé, ça me rend triste que tu aies écrit sur ma table”

plutôt que

“Mais Maé t’as écris sur la table là noooonnnn!”

“Lina, j’aimerais bien que tu débarrasses ton assiette”

plutôt que

“Lina débarrasses ton assiette”.

  • Eviter les situations favorisant l’opposition (ex : je vais essayer de proposer deux types de vêtements le matin pour laisser ma fille choisir, je me suis rendu compte que laisser un choix désamorçait beaucoup de conflits et qu’au final, cela me faisait gagner du temps. Le choix des habits est un exemple mais j’essaie d’appliquer cela autant que possible, dans n’importe quelle situation potentiellement conflictuelle)
  • je vais toujours favoriser l’empathie. Dans les discussions, j’essaie d’amener mes filles à exprimer ce qu’elles ressentent plutôt que de me positionner personnellement (à moins qu’elles ne me le demandent).

2. Je considère mes filles comme des enfants certes, mais avant tout comme des personnes à part-entière. Je n’essaie pas de les formater à ma façon, mais plutôt de faire émerger leur personnalité. Pour moi un enfant “sage” n’est pas une fin en soi, cela ne veut d’ailleurs pas dire grand chose. Je préfère un enfant qui soit considéré comme étant un peu plus “bruyant” parce qu’il est lui-même plutôt qu’un enfant silencieux, soumis au pouvoir de l’adulte.

3. Je ne juge jamais mes filles. Chez moi les expressions du type : “t’es méchant” / “t’es gentil” / “t’es sage” / “t’es capricieux” ça n’existe pas. Même en me creusant la tête je n’arrive pas à voir ce qu’est un enfant “méchant” ni un enfant “gentil” ni un enfant “sage”. Un enfant est un petit être humain qui a des besoins et une personnalité, tout simplement. De la même façon, je n’arrive pas à comprendre ce qu’est un “caprice”. Pour moi il s’agit simplement de besoins qui ne sont pas remplis et/ou d’une incapacité cognitive (physiologique) à gérer un surplus émotionnel. Jusqu’à preuve du contraire il n’existe pas de gêne de la gentillesse ou du caprice n’est-ce pas ?

4. Je fais tout mon possible pour limiter les rapports de pouvoir. J’ai bien compris qu’un adulte pouvait obtenir ce qu’il voulait d’un enfant dès lors qu’il crée un rapport de pouvoir (chantage, force, manipulation etc.). Certaines études scientifiques (domaine des neurosciences) semblent montrer que ce mode de fonctionnement stressant créé des traumatismes cérébraux chez l’enfant, dont les conséquences peuvent se révéler des années plus tard (anxiété, stress, difficulté de socialisation, pathologies plus ou moins lourdes etc.). Néanmoins, bien que ce sujet m’intéresse, je reste pour l’instant plutôt sceptique, car je n’ai pas encore trouvé de publications scientifiques dont l’échantillon représentatif me semblait assez large pour être significatif. Mais peu importe les études, l’important c’est que je me sente à l’aise avec cette façon de fonctionner. Chez moi, les punitions n’existent pas, encore moins la violence physique (fessés, claques, coups de ceinture, coups de martinet etc. j’estime que c’est de la maltraitance purement et simplement). Je vais toujours privilégier l’explication et faire comprendre à mes filles que si une règle existe c’est parce qu’elle est fondée et non pas parce que “papa l’a décidé et que c’est comme ça”. Si les règles ont du sens, mes filles finissent par les intégrer, car elles les comprennent.

5. J’ai compris et accepté que la répétition est la base de l’apprentissage. Le cerveau des enfants est construit de cette manière. Il faut répéter les choses 10 fois, 100 fois, parfois 500 fois avant qu’elles soient intégrées. De la même manière, c’est dans la répétition des tâches que l’enfant apprend. Je suis toujours surpris par la capacité de ma petite de deux ans à déshabiller/habiller cinq, dix, quinze fois son bébé, en répétant les mêmes gestes avec une incroyable concentration avant de passer à autre chose, c’est fascinant.

6. J‘essaie de prendre en compte les étapes du processus de développement cérébral de mes enfants. Je ne vais pas chercher à leur faire intégrer une règle si elles n’en ont pas la capacité cognitive. Ex : temps maximum de concentration sur une tâche, besoin de défoulement etc. Pour aller dans ce sens j’essaie d’adapter l’organisation de la maison à mes filles et non l’inverse. J’ai bien saisi que je ne pouvais pas demander à une petite fille de deux ans de ne pas toucher quelque chose qui se trouve juste à sa hauteur. Donc pour éviter les conflits, la maison est organisée de façon à ce que les enfants ne puissent pas accéder aux choses auxquelles je ne veux pas qu’ils accèdent. Et lorsque cela arrive, je considère que c’est une erreur de ma part donc je ré-organise l’environnement de façon différente.

7. J’ai toujours favorisé l’autonomie de mes filles. Dès tout bébé nous n’avons jamais acheté de matériel pour les “aider” à marcher, car nous pensons qu’un enfant est programmé pour apprendre à marcher tout seul. Nous avons conçu des mini-meubles pour qu’elles puissent d’elles-mêmes se laver les mains, les dents etc. Des petits escaliers pour qu’elles puissent accéder aux endroits trop hauts, de façon autonomes etc. Dans leur chambre, les cadres / photos sont à leur hauteur (à quoi sert une décoration si un enfant ne peut pas la voir ?), tous les rangements également. Cela rejoint l’organisation de la maison en fonction des enfants et non l’inverse. Nous essayons de tout mettre en œuvre pour que nos filles soient autonomes le plus vite possible. Néanmoins, ma maison n’est pas une maison d’enfant, il n’y a pas de jouet qui traîne partout, elles ont leur chambre, j’ai mes espaces et nous avons des pièces communes. C’est simplement organisé de façon à favoriser l’autonomie des filles.

8. Je vais privilégier l’extériorisation des émotions. Chez moi, mes filles ont le droit d’être tristes, elles ont le droit de pleurer, de rire, de courir, de crier dans la mesure où cela ne dérange pas les autres (typiquement : si elles ont besoin de crier, mais que cela me dérange, je leur propose d’aller plus loin pour le faire). Lorsqu’elles tombent et pleurent, je ne dis jamais “mais non c’est rien, pleures pas”, parce que j’estime que si elles pleurent c’est qu’elles en ont besoin et que, pour elles, ce n’est peut-être pas rien. Je les amène à extérioriser tant que possible leurs émotions, que ce soit positif ou négatif (verbalement ou parfois avec de l’art plastique type dessin/peinture/collage etc.). J’ai pu constater que cela aidait beaucoup. J’ai par exemple une balle de colère pour leur permettre de taper, mordre, serrer etc. quand elles en ont besoin; un petit sac à émotion pour extérioriser avant d’aller dormir etc. Bref, ce genre de petites choses qui semblent insignifiantes, mais qui peuvent aider dans les moments difficiles.

Je pourrais continuer cette liste encore longtemps et vous dire qu’il n’y a pas de télé chez moi, que je privilégie certains types de jeux/jouets, que je fais tout pour ne pas favoriser les vêtements/jeux genrés (parce que j’ai du mal avec cette idée que les petites filles doivent nécessairement s’habiller en jupes roses et jouer à la princesse etc.) mais je m’arrêterais là, car je pense que vous avez saisis l’idée. Et j’imagine que certains sont déjà prêts à dégainer les grands discours moralisateurs, mais peu importe, je m’y suis fait. D’ailleurs, la mère de mes filles et moi-même avons rapidement compris que nous nous engagions progressivement sur un chemin qui serait semé d’embûches, car très largement minoritaire dans la société française actuelle. On nous a parfois reproché d’être “extrémistes” voir que notre éducation était dangereuse, car cela risquait de créer des “enfants rois”.

Lorsqu’on creuse un petit peu, derrière cette dernière expression se cache en fait le reproche de l’absence de limite. Il y a pourtant énormément de limites dans notre façon de fonctionner, mais elles sont justifiées et non vides de sens (qui seraient créées “parce que c’est comme ça et puis c’est tout”) et c’est là toute la différence. Lorsque la limite est posée, nous ne revenons pas dessus, quitte à être rigides, mais nous pensons que les enfants se construisent au travers de limites pour peu qu’ils les comprennent. Il me semble que mes filles sont des enfants comme les autres, ni plus ni moins. À vrai dire, dans les faits, à chaque fois que nous allons quelque part, j’ai plutôt eu des retours du type “Oh elles sont sages !” ou “Oh elles s’expriment bien” ou “Oh elles sont…blabla”. Bref, les gens ne peuvent s’empêcher de juger les enfants plutôt que de les considérer comme des petites personnes, ce qui me désole profondément, mais au-delà de ça, mes petites ne semblent pas vraiment correspondre au profil de ce que les gens appellent “enfants roi”. D’ailleurs, la quasi-totalité des critiques que je reçois tombent unes à unes dès lors qu’on me laisse le temps d’expliquer la réalité des choses. Il y a malheureusement beaucoup de préjugés et de croyances à ce sujet, mais là encore, je l’ai accepté.

Pour être tout à fait franc, de mon côté, ce mode de fonctionnement bienveillant a été particulièrement long et difficile à intégrer, car c’était tout sauf naturel. J‘ai d’ailleurs été éduqué à l’exact opposé où la bienveillance n’existait pas, où l’on ne devait pas exprimer ses émotions, où il y avait de la violence, où les enfants devaient se plier aux exigences parfois vides de sens des adultes etc… Mais plus le temps passe et plus je m’aperçois que cette méthode porte ses fruits. Aujourd’hui je n’imaginerais absolument pas pouvoir fonctionner autrement, même si cela me demande plus de patience et d’énergie pour élever mes filles au quotidien.

L’aspect tout à fait minoritaire de ce modèle éducatif a de multiples inconvénients :

  • un sentiment de solitude (manque de soutien)
  • l’impression d’être jugé en permanence
  • des difficultés pour trouver du matériel pédagogique / culturel qui soit cohérent (livres, dessins animés, jeux etc)
  • Et enfin des difficultés pour trouver une école qui propose un projet éducatif similaire au nôtre. Autant vous dire que ce n’est pas simple.

Concernant l’éducation nationale, c’est un modèle qui fonctionne, selon moi, de façon beaucoup trop verticale à savoir : c’est l’instituteur qui détient le savoir et les élèves doivent apprendre à s’asseoir à une table toute la journée (hors récréations), être silencieux si possible et intégrer ce qui vient d’en haut sans qu’on leur offre les outils ni la possibilité d’être critiques vis-à-vis de ce discours. Je pense que le modèle classique pourrait être amélioré pour tout ce qui concerne la prise en compte des émotions et le respect de l’enfant. Enfin, plus globalement j’ai l’impression que l’éducation nationale formate les futurs citoyens sans prendre en compte les individus dans leurs diversités ce qui constitue pour moi un problème.

De notre côté, nous cherchions plutôt une école qui soit en accord avec notre mode de fonctionnement, qui vise l’autonomie de l’enfant, l’émergence de leur individualité et qui leur offre un environnement bienveillant, favorable à l’apprentissage. (Ce type de modèle est d’ailleurs très largement répandu dans certains pays nordiques)

Sur la route de l’école…

Pour une fois, nous avons été chanceux puisqu’il existait à 25 min de nos nouvelles maisons respectives en Ardèche, l’école de la ferme des enfants, au cœur de l’écovillage du hameau des buis.

Le Hameau des Buis a été amorcé en 2003 par un collectif de personnes retraitées désireuses de soutenir l’école et de vivre un avenir intergénérationnel sur la base d’un lieu de vie. Le programme architectural de ce lieu de vie inclut l’école et une vingtaine de logements du T1 au T4

L’école de la ferme c’est quoi ?

Lors de ma première visite, j’ai dû rouler plusieurs minutes sur une minuscule route sinueuse au cœur de la nature Ardéchoise avant d’arriver au hameau des buis. Sans le panneau signalisant une école juste à côté de l’entrée, il m’aurait été impossible d’imaginer qu’une école était ici. La grande entrée laissait entrevoir deux immenses yourtes (j’apprendrais plus tard que j’avais en face de moi la classe de primaires), puis une troisième : la classe des maternelles…

La cour de l’école surplombe les gorges d’une rivière. Elle comprend divers espaces de jeux : bacs à sable, cabanes, bosquets, espace pour le feu de camp, poulailler, enclos des cochons, parc des chèvres, potager pédagogique … Certains jours, une promenade accompagnée permet aux enfants une exploration plus vaste encore dans la forêt voisine

Inutile de vous dire que je n’avais jamais rien vu de tel. À vrai dire, même dans mes rêves les plus fous, je n’aurais pu imaginer une école dans un tel environnement.

Au premier plan la salle de classe des maternelles, au fond les primaires.

Mais passons au cœur de sujet : le projet éducatif.

L’école de la ferme a été créée autour de plusieurs axes :

  • le rapport intergénérationnel : les enfants sont au contact de personnes âgées (les habitants du hameau participent au fonctionnement de l’école), et il y a simplement trois classes : Maternelle / Primaire / Collège ou les enfants côtoient des enfants d’âges variés.

S’ils ont bien conscience des différences qui existent entre les deux classes, les enfants vivent leur scolarité comme une continuité. Le passage d’une classe à l’autre s’effectue lorsque l’enfant se sent prêt, entre 5 ans 1/2 et 7 ans.

  • L’écologie : Les enfants sont sensibilisés à la préservation de la planète. L’école intègre un tri sélectif, des toilettes sèches à l’intérieur et à l’extérieur des classes, une ferme avec des animaux, un potager pédagogique. Je me permets de préciser au passage que la directrice Sophie, est la fille de Pierre Rabhi, ce qui pose le cadre en matière d’écologie. Si vous ne connaissez pas ce dernier, je vous laisse faire vos recherches si cela vous intéresse.
Ma fille à côté de la vigne qu’elle a planté dans le potager de l’école.
  • La bienveillance, l’autonomie, le respect des enfants : Dans cette école, tout fonctionne comme chez nous, exactement. Il aurait été difficile d’imaginer mieux en matière de cohérence éducative.
Les chèvres en mode tranquillou :)

Voici comment se déroule une journée type à l’école de la ferme pour les 3 à 6 ans :

L’entrée de la salle de classe des maternelles. Une yourte de 100m2 pour les 17 élèves (3–6 ans) et les trois éducatrices.

A l’école, les journées sont coupées en trois :

le matin

  • l’arrivée se fait entre 8h45 et 9h15 : on accompagne son enfant dans l’entrée de la classe qui n’est rien d’autre qu’une gigantesque yourte entièrement aménagée. Seuls les enfants peuvent entrer, c’est leur espace. Chaque enfant bénéficie d’un accueil individuel personnalisé. Le temps d’accueil peut varier, selon les besoins des enfants. Par exemple, pour ma fille, on a mis en place un petit rituel pour l’aider à se séparer de moi le matin en attendant qu’elle entre dans la classe d’elle-même et me dise au revoir. Je pensais que cela allait durer une semaine ou deux, peut-être un mois, or, nous sommes déjà dans la deuxième année et ma fille a encore besoin de son petit rituel de 5min, et le personnel accompagnant répond présent, sans aucun jugement, sans précipitation. Nous prenons le temps qu’il faut pour qu’elle entre dans la classe d’elle-même.
La “cabane de la colère” pour venir extérioriser ses émotions.
  • Les enfants choisissent ensuite quelles activités ils souhaitent faire l’après-midi, sur un petit tableau, car j’y reviendrais plus tard, mais les après-midi sont constitués d’ateliers préparés par les parents d’élèves où chacun offre ce qu’il peut, en fonction de ses compétences. Cela peut-être : du bricolage, une ballade dans les bois, un atelier créatif peu importe.
  • Les enfants prennent ensuite possession de leur espace et se dirigent vers l’activité qui les intéresse. La salle de classe est remplie de matériel pédagogique : un espace pour écouter de la musique (avec casque), un espace réservé à la lecture, une petite cuisine pour faire des gâteaux, des activités de nettoyage (nettoyage d’objets, de vitres, de tables, vaisselle bref, les petits adorent nettoyer des choses), énormément de matériel Montessori, un espace dédié aux activités créatives etc.

Je me rappellerais toujours de cette petite anecdote lorsque j’ai pu visiter l’école pour la première fois. J’ai vu une petite fille de trois ans, assise à une petite table, avec un couteau à la main, en train de découper une orange en total autonomie. J’ai compris plus tard que c’était ça son “petit travail”. A priori, j’avais peur qu’elle se coupe, mais non, elle a méticuleusement tranché son orange pour la presser dans son mini pressoir et boire son jus d’orange 10min plus tard. À la fin de la matinée, j’ai fait part de mon étonnement à une éducatrice, lui expliquant ma peur à l’idée que cette petite fille se coupe. Ce à quoi on m’a répondu : nous n’avons jamais eu de problème de ce type. La première fois qu’ils vont utiliser le couteau, nous expliquons toujours aux enfants que c’est du matériel qui coupe et qu’il doit être utilisé avec précaution. Les enfants comprennent très bien et font doublement attention (ce que j’ai pu voir de mes propres yeux, la fillette a passé au moins 2min pour couper une orange). Il faut simplement leur faire confiance, ils savent très bien ce qu’ils font.

Ma fille et sa copine en train de piler du charbon pour faire de “l’encre de préhistorique” ❤
  • Les enfants passent le temps qu’ils veulent sur une activité, ils peuvent parfois être plusieurs (toujours des petits groupes), et doivent ranger le matériel avant de passer à autre chose (la règle est importante).

« Quand tu connais un travail, tu peux l’utiliser aussi souvent que tu le désires… »

  • Une des règle de base concernant les travaux Montessori c’est que les enfants peuvent utiliser quand ils veulent le matériel qui leur a déjà été présenté. Si vous ne connaissez pas ce modèle pédagogique je vous laisse faire vos recherche si vous le voulez, mais disons, pour résumer, qu’il y a un matériel précis pour un apprentissage précis. Le personnel de la classe va donc présenter un nouveau travail à un enfant lorsqu’il estime que celui-ci est en capacité de le comprendre, mais pas avant (on ne présentera pas du matériel visant l’apprentissage du calcul à un enfant de trois ans). Et comme je le disais précédemment, la classe est remplie de travaux Montessori, pour tous les âges.
Une caravane customisée dont j’ignore la fonction ^^
  • L’école possède également un grand jardin où les enfants peuvent aller jardiner s’ils veulent, mais également une ferme avec des animaux : chevaux, chèvres, poules etc…
L’an dernier, un bébé chèvre est né à l’école
  • Les enfants peuvent accéder quand ils le veulent à un mini-snack libre-service où ils peuvent manger des fruits secs le matin.

Deux fois par jour les enfants sont invités à la ligne, dans l’énergie du cercle, pour être ensemble, échanger, chanter, découvrir, s’éveiller sur des notions très variées proposées par l’éducatrice

  • La zone d’activité des petits en maternelle s’étend au-delà de la classe, mais reste restreinte pour des raisons évidentes de sécurité. Dans tous les cas, la proportion élevée de personnel encadrant par rapport au nombre total d’élèves en maternelle (3 pour 17) permet d’avoir toujours un adulte à proximité des petits lorsqu’ils partent en “exploration”.
Les bureaux ❤

2. Le midi

  • les repas en extérieur sont privilégiés toute l’année, même en hiver. Pendant les repas, le personnel mange avec les enfants, sur les mêmes tables. C’est un moment de partage où les primaires et les collégiens viennent apporter leur aide aux plus jeunes s’ils ont besoin. Il n’y a pas de rapport de force par rapport à la nourriture. Personne ne forcera jamais un enfant à manger s’il n’a pas faim. Mais là aussi il y a des règles, comme par exemple l’obligation de débarrasser son assiette et ses couvert à la fin du repas.
  • Après le repas, les enfants disposent d’un quartier libre jusqu’à 14h avant de rejoindre l’atelier de l’après-midi.

3. L’après-midi

  • Les ateliers de l’après-midi changent tous les jours, en fonction de ce qui a été proposé par les parents d’élèves. C’est extrêmement variable : bricolage, jardinage, ateliers créatifs, sortie en foret/rivière, atelier musicaux, visionnage de documentaires pour les plus grands etc. toujours en petits groupes.
  • Si un enfant ne veut pas faire d’atelier, il peut également utiliser le matériel de la salle de classe pour s’occuper puisqu’un personnel y est présent durant toute l’après-midi.
Les chevaux de l’école (Ce sont les collégiens qui s’en occupent)
  • Les parents peuvent venir chercher les enfants à partir de 16h. Et accessoirement profiter, certains jours, du petit marché de producteurs locaux situé sur le parking juste en face de l’école.

l’enfant éprouve naturellement de l’intérêt pour le monde qui l’entoure

Comme vous pouvez le constater on est très loin du modèle de fonctionnement d’une école classique dans le système de l’éducation nationale. Lorsque je viens chercher ma fille l’après-midi, je suis toujours surpris par l’atmosphère de ce lieu. Les enfants ont l’air heureux. Il n’est pas rare d’en voir certains perchés dans des arbres, d’autres qui jouent dans des caravanes aménagés, d’autres à la guinguette (petit comptoir créé par les collégiens) ou dans leur cabane de pirate de 3m de haut, des parents qui papotent, bref, ça respire le bon vivre et ça fait plaisir de voir qu’une telle solution alternative puisse exister.

Petite initiation aux toilettes sèches….

Le bilan ?

Un an plus tard, le bilan est largement positif, ma grande fille a intégré la deuxième année de maternelle le mois de septembre dernier et sa petite sœur va également la rejoindre en milieu d’année. Si l’école correspond parfaitement à nos attentes, notre curseur principal reste l’intérêt que porte notre fille pour l’école. Et sur ce point, jusqu’à ce jour, elle semble y passer de bonnes journées. L’école n’est pas un souci pour elle et je suis tout à fait confiant quant à l’impact positif de cet environnement sur son développement. Nous restons quoi qu’il arrive attentifs à ses émotions. L’école est avant tout pour elle et non pas pour nous.

Avant de conclure et pour être complet, malgré l’écrasante majorité des points positifs voici, selon-moi, quelques points négatifs :

  • Le coût : il est bien évident qu’en considérant le nombre élevé de personnel encadrant (et formé à ces techniques éducatives) et la quantité de matériel pédagogique a disposition, un environnement pareil coûte cher. Nous payons environ 2500€/an par enfant. Cela est un vrai sacrifice pour moi, mais je considère aujourd’hui qu’à défaut d‘une solution moins coûteuse, je suis prêt à faire cet effort pour les trois années de maternelle.
  • Cela rejoint le point précédent, mais je me trouve confronté à un problème de conscience. J‘ai l’impression que cette façon de procéder est égoïste dans la mesure où si tout le monde faisait comme moi, le système public s’effondrerait. Placer son enfant dans une école privée c’est quelque part participer à la ghettoïsation de l’éducation puisqu’il y a d’une part les enfants issus de milieux culturels favorisés qui peuvent accéder à ce type d’école et d’un autre côté l‘autre tranche de la population qui reste dans le système classique. Je m’en rends d’autant plus compte lorsque je discute avec les autres parents d’élèves. Cet “entre-soi” me mets parfois mal-à-l’aise, j’aimerais plus de diversité culturelle. Je regrette profondément que ce type de d’école ne soit pas accessible aux familles qui en auraient probablement bien plus besoin que mes filles. Je regrette que l’éducation nationale ne subisse pas une réforme en profondeur. Cela me pose un vrai souci et je me sens en contradiction avec mes principes sur ce point. D’un autre côté je suis conscient de l’écart abyssal qui me sépare du reste de la société en matière d‘éducation et j’imagine qu’il serait illusoire de penser qu’une école comme celle-ci puisse fonctionner à grande échelle, quand bien même elle serait gratuite.
  • Le dernier point qui me dérange est directement lié au côté novateur de ce modèle. Il y a régulièrement des groupes de visiteurs, des équipes de télévision ou des réalisateurs de films qui viennent à l’école. Bien qu’on nous demande systématiquement de signer des décharges autorisant ou non à filmer nos enfants, j’avoue ne pas être très à l’aise avec cet aspect un peu voyeuriste (bien que relativement restreint) même si j’ai conscience que cela participe à faire connaitre le lieu et plus globalement ce type d’alternative.

L’éducation en règle général, peut être un important sujet de réflexion pour peu qu’on y consacre du temps et de l’énergie. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, bien qu’il existe un modèle ultra-majoritaire, il y a néanmoins des alternatives pédagogiques (Montessori, Frenet, Steiner etc.). Je pense qu’il n’y a pas de bonne ou de mauvaise façon d’élever son enfant et fort heureusement pas de manuel type. Il y a simplement cette façon que NOUS avons choisie. J’ai conscience que nous ne sommes pas tous égaux face à l’éducation et qu’il y a une certaine forme d’injustice sous-jacente puisque chaque parent fait ce qu’il peut avec ce qu’il a. J’ai d’ailleurs arrêté de m’engager sur des discussions portant sur ce sujet pour éviter les débats sans fin. Mon but n’est pas de convaincre qui que ce soit, mais plutôt d’être en accord avec moi-même. Je crois que tout est finalement question de positionnement sur le sujet. Libre à chacun de choisir la voie qui l’intéresse, dans la mesure de ses capacités et de ses motivations.

J’avoue toutefois avoir certaines peurs concernant ce mode de fonctionnement. L’une d’elle est de me dire que je place mes filles dans une petite bulle bienveillante qui ne correspond pas à la société (violente dans son ensemble). Je me pose parfois des questions quand à leurs capacités d’encaisser la transition dans une école classique, le jour où elle seront confrontées à des choses injustes, au pouvoir de l’adulte etc.

Quelque part, c’est comme si nous faisions un pari. Nous espérons qu’offrir ce type d’environnement bienveillant et respectueux, permettra à nos enfants de remplir leur réservoir de confiance en eux, de développer leur autonomie et plus globalement d‘avoir assez de force pour créer leurs propres solutions pour affronter les difficultés du monde extérieur. C’est un pari sur le long terme, seul le temps nous dira si nous avions raison.

Pour finir, je tiens à préciser que cet article ne se veut en aucun cas moralisateur. Il s’agissait simplement de vous présenter UNE alternative parmi tant d’autres en matière de pédagogie et d’éducation. Je pense qu’il est important de communiquer sur le fait qu’il existe d‘autres modes de fonctionnement, en marge du système classique certes, mais qui valent la peine d’être connus.

Complément (mise à jour) : suite à certains retours je précise que la mère de mes enfants et moi sommes séparés. Mais cela ne nous empêche pas d’être cohérents en terme d’éducation puisque nous partageons la même vision des choses.

Pour aller plus loin, si le sujet vous intéresse

À propos de l’école de la ferme des enfants au hameau des buis :

À propos de pédagogie alternative :

À propos de neurosciences :

Catherine Gueguen :

Études des conséquences neurobiologiques du stress chez l’enfant en bas âge : Martin Teicher, Joan Luby. Bruce Mc Ewen

Et pour finir je vous renvoie également sur le blog de Céline Alvarez qui aborde toutes les problématiques traitées dans cet article avec beaucoup d’intelligence :

ps : mes excuses pour la qualité des photos.

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