Le PSUGO et la reproduction des inégalités scolaires en Haïti : Prolégomènes à une étude sociologique

Athalie Amédie Lindor
7 min readAug 26, 2018

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Les questionnements sur l’ensemble des problèmes majeurs que confronte le système éducatif haïtien ne datent pas d’hier. Depuis la première moitié du XXe siècle, l’État haïtien n’a pas cessé de les mettre à l’agenda des politiques publiques visant à résoudre certains problèmes considérés comme cruciaux confrontés par le système éducatif haïtien. Certaines de ces politiques sont porteuses de transformations majeurs dans le système d’éducation et sont qualifiées de réformes, telles la réforme Dartigue (1940) ou la réforme Bernard (1979–1982) ; d’autres, comme le PNEF (1997–1998), l’EPT (depuis 2002, avec la collaboration de l’ONU) ou le PSUGO (depuis 2011) sont moins ambitieuses et sont considérées simplement comme des politiques publiques en matière d’éducation. Ainsi, qu’elle soit considérée comme réforme, plan ou simplement comme politique, l’action publique en matière d’éducation abordent essentiellement les problèmes soit des inégalités scolaires, soit la question de l’accès à l’éducation de base. Cet article se propose de poser des pistes pour une compréhension de base des relations entre le PSUGO et les mécanismes de reproduction des inégalités dans le système éducatif haïtien. L’argumentation s’articule en dimensions. Nous commençons, en premier lieu, par une présentation brève du PSUGO dans ses démarches et ses fondements. En second lieu, nous enchainons avec les impacts du PSUGO sur le système éducatif haïtien sous deux angles. D’un côté nous examinons comment le programme accentue la question de la ségrégation scolaire et d’un autre côté, nous examinons l’instrumentalisation politique du PSUGO et l’enjeu de celle-ci sur le système éducatif

La formulation et la mise en œuvre du PSUGO : source, fondements et démarches

Le Programme de Scolarisation Universelle Gratuite et Obligatoire (PSUGO) a été formulé et implémenté en 2011 par le gouvernement à l’époque. Le PSUGO a été formulé dans l’objectif d’augmenter l’offre scolaire et ainsi améliorer l’accès à l’éducation de base en faveur des enfants qui sont en âge de scolarisation (inclus enfants des rues et jamais scolarisés). L’idée du programme tient sa source dans la période de campagne électorale de 2010, dans laquelle l’ancien président Michel Joseph Martelly, candidat à la présidence à l’époque, critiquait les gouvernements passés de manquer à leur responsabilité de rendre l’école primaire gratuite et obligatoire, conformément à l’article 32 de la constitution de 1987. À la montée au pouvoir de Martelly, se fondant ainsi sur les prescrits de la constitution, le président proposait une nouvelle politique éducative nommé PSUGO ou Lekól Timoun Yo. Une question s’impose alors : quel a été le processus de formulation et mise en œuvre de cette politique encore en exécution dans le système éducatif ? La quête de réponse à cette question nous a conduit à remarquer que la formulation et la mise en œuvre du PSUGO a coïncidé. En d’autres termes, c’est en mettant le programme en application que le gouvernement a décidé progressivement de ses éléments caractéristiques, tels que ses objectifs et ses stratégies de mise en œuvre. Ce qui nous amène à comprendre que le programme se passe des formes conventionnelles de la formulation des politiques publiques. En ce sens, le programme de par sa formulation et sa mise en œuvre n’a pas su se donner les moyens en vue de définir des objectifs cohérents par rapports à la réalité de la scolarisation en Haïti et les besoins du pays.

Le PUSO et l’accentuation de la ségrégation des écoles haïtiennes

Dans le contrat signé entre le Ministère de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP), le gouvernement s’est proposé de verser à chaque institution scolaire faisant partie du programme une subvention de cinq mille cent trente gourdes (5 130 00 HTG) par an pour chaque élève effectivement pris en charge par l’institution (art. 3.1). Et cette somme n’est pas donnée en plein. En effet, dans l’article 3.2, il est précisé que « la subvention sera versée en trois tranches à raison de 30 % ; 30% et 40% calculées à partir de l’effectif subventionnées, vérifiés par la commission de suivi et d’évaluation du PSUGO pour l’année académique en cours ». Dans la réalité, les versements des frais sont faits de manière très irrégulière. Ces irrégularités dans le processus des paiements entrainent des conséquences sur le système en rendant carrément dysfonctionnelles certaines écoles. De fait, un directeur d’école rurale de Plateau central participant au programme affirme ceci : « moi, ma femme et mes fils étaient obligés de prendre en charge les cours, car les professeurs ont cessé de venir travailler ». Les cas de ce genre sont peut-être nombreux et surtout présents dans le milieu rural.

De plus et vu les irrégularités dans les paiements, les directeurs d’écoles participant au programme ne peuvent pas respecter leurs engagements auprès des élèves pris en charge dans le programme, comme il est mentionné dans le contrat. Il a donc été impossible de doter chaque élève des classes subventionnées de la troisième la sixième année d’au moins trois ouvrages homologués par le Ministère, pouvant l’aider à développer les compétences de base dans son cursus d’apprentissage (français, mathématiques, créole). L’impact de cette réalité est double. D’une part, les irrégularités, qui consistent généralement en de longues périodes d’attente s’étendant sur plusieurs années, imposent aux écoles participant au programme, des difficultés financières qui affectent négativement le fonctionnement des écoles sur le plan académique. Ce qui rend ces écoles plus vulnérables que d’autres écoles n’ayant pas participé au programme. Cela renforce et reproduit les inégalités entre les écoles.

D’autre part, les mêmes irrégularités affectent négativement les élèves qui ne bénéficient pas des ouvrages de base promis mais non délivrés. Notons que puisque le MENFP avait promis les ouvrages, les parents ont refusé de les acheter pour leurs enfants. Ce qui constitue un élément de plus qui dégrade les conditions d’enseignement et d’apprentissage des élèves.

Il faut remarquer, de surcroît, que les directeurs des écoles urbaines pour faire face aux irrégularités dans les paiements ont dû recourir à des prêts bancaires et utilisent l’argent de la section secondaire de leurs écoles pour combler les vides économiques provoqué par le programme. Tandis que, certains directeurs d’écoles en milieu rural n’ayant pas cette possibilité ont dû fermer leurs portes. Il faut dire aussi, si certaines écoles comme celles dites d’élite ont eu le choix de ne pas participer au programme, certaines d’autres appelé moyennes ou bòlèt n’ont pas eu cette possibilité. Car les directeurs risquaient de perdre en nombre ses élèves. Donc, ils préféraient intégrer le programme vu qu’en terme économique, ces directeurs-là avaient du mal à y résister. En ce sens, nous comprenons qu’au lieu d’améliorer la qualité de l’éducation, le PSUGO a augmenté la ségrégation de certaines écoles particulièrement les écoles privées, déjà en situation de vulnérabilité économique ayant participé au programme.

L’instrumentalisation politique du PSUGO et son enjeu d’un point de vue académique.

Le Gouvernement n’a pas cessé de s’auto-féliciter d’avoir scolarisé dans le cadre du programme plus de 2 000 000 d’élèves. D’après une enquête menée par le MENFP rendu publique en 2015, moins d’un million d’enfants ont bénéficié du PSUGO[1]. Ceci est dû, selon le MENFP aux différentes pratiques de fraudes utilisées par certains directeurs d’écoles à travers le pays pour inscrire au programme des écoles « fantômes », c’est-à-dire des écoles qui n’existe pas dans la réalité. L’enquête a aussi observé que certains directeurs d’écoles réelles inscrivent au programme des écoles « fantômes » scolarisant des élèves qui n’existent pas tout simplement et dont l’identité a été inventée. Tout semble indiquer que les chiffres présentés par le gouvernement seront dans la perspective de se donner une belle image.

Il semble que le programme est lui-même élaboré et implémenté dans cette perspective. En effet, selon le dernier recensement scolaire Haïti qui a été réalisé en 2002–2003, « au niveau des deux premiers cycles du fondamental, plus de 500 000 enfants en âge scolaire sont en attente de scolarisation (MENFP, 2003). Au moment de la mise en œuvre du PSUGO, ces chiffres ne sont pas pris en compte ou sont considérés tels quels sans tenir compte de qu’ils sont désuets. On comprend donc que l’État ne disposait pas de données précises sur la réalité de la scolarisation en Haïti.

De plus, nous savons aussi que l’État haïtien s’était engagé depuis 2000 dans le programme international Éducation Pour Tous (EPT). Ce programme, qui dérive du deuxième point des objectifs millénaire pour le développement, est extensif dans le sens où il vise à « élever l’accès à l’éducation ; améliorer la pédagogie et renforcer la gouvernance et les institutions scolaires ; […] aider le gouvernement haïtien à mettre en place sa stratégie nationale pour l’éducation[2] ». Il est clair que l’État haïtien faisait déjà ce que le PSUGO voulait faire. C’est en ce sens que nous comprenons que l’instrumentalisation politique du programme a été le point de départ des conséquences négatives du programme sur les écoles privées participantes.

En termes de conclusion, nous pouvons dire que le programme a été vaguement formulé et mis en œuvre par tâtonnement. Il a largement contribué à affaiblir les écoles participantes en influençant négativement leurs ressources économiques et financières, créant ainsi une situation de vulnérabilité affectant la qualité de l’éducation offerte par certaines écoles et causant la fermeture forcée de nombreuses écoles rurales.

Notes

[1] Voir le reportage de Radio Tele Kiskeya, “moins d’un million d’enfants ont bénéficié le PSUGO contrairement à la propagande , selon l’enquête “autour de la conférence de presse du Ministère de l’Éducation Nationale Nesmy Manigat publie 25 juillet 2015 et disponible sur https://youtube/sKKn0F6ORY

[2] Voir http://www.ept-menfp.ht/

Références

Gouvernement de la République d’Haïti. (2014). PSUGO documentaire No 1 Lekol Gratis. Consulté à l’adresse https : //YouTube/wqcxbq18jgY

IHSI. (2003). Le 4ieme recensement général de la population et de l’Habitat. Enquête nationale sur la population sa structure et ses caractéristiques démographiques et socio-économiques. Présentation des résultats. Consulté à l’adresse http:// wwww.ihsi.ht/rgph –résultat- ensemble-population.htm#.

MENFP (2013). Plan Opérationnel 2010–2015. Port-au-Prince : MENFP

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