Les répercussions du mouvement #MeToo dans le domaine de l’audiovisuel

Dreystadt Amélia
7 min readDec 28, 2018

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Le 5 octobre 2017, le New York Times révèle que plusieurs femmes ont accusé le producteur américain Harvey Weinstein de harcèlement sexuel. En réaction, l’actrice Alyssa Milano reprend le hashtag #MeToo le 15 octobre, encourageant les victimes de violences sexuelles à témoigner en racontant ce qui leur est arrivé [1]. Le hashtag engagé devient viral et prend rapidement une envergure internationale.

L’émergence d’autres mouvements influents sur les réseaux sociaux en réponse à MeToo, à l’instar de #BalanceTonPorc en France ou encore de Time’s Up, ont permis de pointer du doigt les retombées d’un système inégalitaire, influencé par les stéréotypes de genre.

En dénonçant ouvertement le fait que certains hommes n’hésitent pas à user de leur influence pour abuser de femmes qui leur sont subordonnées, le mouvement MeToo a permis de prendre conscience de la gravité de certains actes de violence et de leurs conséquences sur les individus les ayant subis. Il transcende les différentes sphères professionnelles, mais aussi personnelles, pour mieux rendre compte du rapport de force quotidien subi par de nombreuses femmes, et rappelle que des changements sont aujourd’hui nécessaires pour améliorer le quotidien de chacun.

Plus d’un an après son essor, comment le mouvement MeToo a-t-il bousculé l’industrie du divertissement, et plus précisément le domaine de l’audiovisuel ? Quelles ont été ses répercussions sur les entreprises du secteur, sur leur public et sur les individus en général ?

Encourager la prise de parole dans les contenus

La force du mouvement MeToo réside probablement dans sa capacité à créer un élan collectif et solidaire, encourageant le partage d’expérience, l’écoute et la compréhension. De nouveaux formats et contenus audiovisuels se sont récemment développés, donnant la parole à des individus confrontés à des situations de harcèlement sexuel et de violences sexuelles.

Par exemple, le lancement par France Télévisions de Slash, un média vidéo numérique dédié aux millenials, rejoint cette idée. A travers ses séries de fiction ou documentaires et ses différents formats vidéo consacrés à des interviews ou encore des conseils (Sexy Soucis), Slash aborde des thématiques chères aux adolescents comme aux adultes. La plateforme donne également l’opportunité aux jeunes adultes de s’exprimer librement en diffusant des témoignages personnels, comme celui d’une jeune femme, Emma, victime d’un viol à 16 ans (La Tête Haute).

Alors que de nombreuses femmes s’étaient déjà emparées du web pour affirmer leur personnalité et exprimer sans ambages leurs colères, angoisses, frustrations et désirs, le débat suscité par MeToo s’est rapidement étendu aux questions de l’identité et de l’orientation sexuelles. Pour un grand nombre d’individus, la libération de la parole impulsée par MeToo représente une occasion pour marquer le refus d’un système oppressant et inégalitaire, consacrant le rôle du mâle dominant. Les hommes sont loin d’être absents de ces revendications et fournissent une source complémentaire de témoignages. La web-série diffusée sur Youtube Et tout le monde s’en fout, créée et écrite par des hommes, dénonce par exemple les injustices vécues par les femmes et déconstruit les clichés sur le féminisme [2].

La diffusion croissante d’une grande variété de témoignages émanant d’une pluralité de personnalités restitue à chacun son droit à la parole. La peur, la culpabilité et la honte qui pendant longtemps pesaient lourdement sur les victimes investissent peu à peu le camp des harceleurs et des agresseurs responsables de ces actes répréhensibles. Cependant, certains sujets restent encore tabous, surtout lorsqu’ils concernent des hommes victimes de viol ou de violences conjugales. Le manque de témoignages à ce propos marque une limite, car bien qu’elles soient plus rares, ces violences sont pourtant bel et bien existantes.

Une prise de conscience au sein des entreprises de l’audiovisuel

Dans le domaine de l’audiovisuel et notamment aux Etats-Unis, l’idée de progrès fait son chemin et des mesures concrètes ont été initiées pour tenter de remédier aux problèmes dénoncés par MeToo.

La chaîne américaine HBO a marqué un véritable tournant. Sur une suggestion de Emily Meade, qui joue le rôle d’une prostituée devenant star du porno dans la série The Deuce, HBO a décidé d’engager une coordinatrice d’intimité pour superviser les scènes de sexe de ses séries. Alicia Rodis est chargée de sécuriser et de faciliter le bon déroulement du tournage des scènes explicites et s’assure donc que les comédiens, qui peuvent se retrouver dans une position plus vulnérable et délicate, ne sont pas contraints d’agir contre leur volonté. Elle veille au respect de leur intégrité et s’impose comme une sorte de médiatrice entre eux, les réalisateurs et la production.

De son côté, Netflix a adopté début 2018 une charte de bonne conduite. Après avoir licencié Kevin Spacey, l’acteur principal de sa série House of Cards, suite aux accusations de harcèlement et d’agressions sexuelles sur de jeunes mineurs l’impliquant, la firme américaine est déterminée à instaurer un environnement de travail sain et respectueux entre ses employés. La charte leur interdit par exemple de maintenir un contact physique ou visuel trop long ou de demander le numéro d’un(e) collègue. Si l’intention de Netflix est tout à fait louable, comme en témoigne notamment la mise en place d’une plateforme anti-harcèlement destinée à ses équipes, la sévérité et la pertinence des mesures énoncées ont été vivement critiquées, car elles pourraient potentiellement déboucher sur des malentendus et provoquer des conflits internes.

Bien que l’initiative adoptée par HBO pourrait se révéler être l’une des composantes d’un « grand tournant culturel » [3] incitant à l’amélioration globale de l’environnement professionnel auquel sont confrontés les individus, la charte de Netflix ne semble pas faire l’unanimité. En effet, elle semble passer à côté de l’essentiel, qui serait de faire prendre conscience aux individus responsables de harcèlement et de violences sexuelles ou psychologiques que leurs actes peuvent avoir de graves conséquences sur autrui. Le faible rayonnement de ces avancées à l’international est également à déplorer.

Le choix d’illustrer le sexisme et les violences « ordinaires »

Dans le contexte du succès de la série dystopique The Handmaid’s Tale, adaptée du roman de Margaret Atwood, ou encore de la mini-série Big Little Lies, les thèmes du harcèlement sexuel et des violences sexuelles ou psychologiques intéressent de plus en plus les scénaristes et showrunners de séries télévisées.

Sous l’impulsion du mouvement MeToo, plusieurs séries et fictions inspirées de faits réels ont été produites. Par exemple, le téléfilm Jacqueline Sauvage : c’était lui ou moi diffusé sur TF1 début octobre et retraçant l’histoire de Jacqueline Sauvage, une femme victime de violences conjugales condamnée à 10 ans de prison pour avoir tué son mari, a battu des records d’audience pour la chaîne. Une série québécoise diffusée sur TVA et intitulée Le Jeu aborde la cyberintimidation et le sexisme subis par une jeune femme travaillant dans l’univers du jeu vidéo, réputé comme étant majoritairement masculin. Par ailleurs, le scénariste américain Ryan Murphy devrait également réaliser une série inspirée par le mouvement MeToo, intitulée Consent [4] et dont l’intrigue se concentrerait sur des affaires de harcèlement et de violences sexuelles.

De plus, au-delà des causes féministes, le mouvement aboutit à une convergence avec la cause LGBTQ+. En ce sens, les thématiques du genre et de l’orientation sexuelle sont également développées. Au Royaume-Uni, la série britannique diffusée sur ITV Butterfly raconte l’histoire d’un petit garçon de 11 ans qui s’identifie en tant que fille. Dans un autre registre, The Bisexual, diffusée sur Channel 4, met en scène une femme bisexuelle confrontée aux préjugés de son entourage sur sa sexualité. Toutefois, l’influence de MeToo sur certaines luttes, comme celle pour la représentation des minorités à l’écran, reste limitée.

De plus en plus de femmes sont impliquées dans l’écriture, la réalisation et la production de séries. Le mouvement MeToo a permis de générer un élan collectif, ayant pour ambition d’éveiller les consciences et de replacer les notions de consentement, du respect et de l’intégrité d’autrui au centre du débat. Les initiatives évoquées insufflent aujourd’hui une dynamique optimiste quant à de potentiels changements à venir, mais il reste encore du chemin à parcourir afin de changer les mentalités, notamment en France où les accusations de violences sexuelles débouchent peu sur des condamnations.

Malgré tout, les initiatives récentes du CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée) en faveur de la parité dans l’audiovisuel ou encore la revendication de la clause d’inclusion, répondant au mouvement Time’s Up, ont permis d’élargir le débat aux inégalités femmes-hommes, offrant ainsi des perspectives d’évolution positives dans les secteurs de l’audiovisuel et du cinéma.

[1] Le mouvement Me Too a été fondé par Tarana Burke en 2006

[2] « Et tout le monde s’en fout #32 — Le féminisme -»,ajoutée sur YouTube le 19 octobre 2018. Voir aussi « Et tout le monde s’en fout #1 — Les femmes -»

[3] MORTON A., « How Emily Meade Started a Conversation and Brought Change to Set », HBO

[4] « Consentement » en anglais

Sources

CANTIE V., « Les dates-clé du mouvement #MeToo », FranceInter, 5 octobre 2018

COLLET L., « #MeToo : le harcèlement s’invite dans les scénarios des séries présentées au MipCom de Cannes », France 3 Régions, 19 octobre 2018

Franceinfo, « Pour éviter les abus pendant les scènes de sexe, la chaîne de télé HBO recrute une “coordinatrice d’intimité” », Franceinfo, 28 octobre 2018

GUEZ L., « L’édito : après #MeToo, où en sont les hommes ? », Le Parisien, 22 juin 2018

JUDSON M., « How Do You Play a Porn Star in the #MeToo Era? With Help from an ‘Intimacy Director’ »,The New York Times, 24 août 2018

KANTOR J. et TWOHEY M., « Harvey Weinstein Paid Off Sexual Harassment Accusers for Decades »,The New York Times, 5 octobre 2017

La Depêche, « Séries Télé : #MeToo inspire, les histoires vraies ont le vent en poupe », ladepeche.fr, 18 octobre 2018

METZ N., « Sex scenes in TV, movies: Who looks out for the actors? An intimacy coordinator reveals what it takes », Intimacy Directors International, 16 novembre 2018

MORTON A., « How Emily Meade Started a Conversation and Brought Change to Set », HBO

QUES F., « Ryan Murphy planche sur une série d’anthologie inspirée du mouvement #MeToo », Biiinge by Konbini, avril 2018

RIVET D., « Netflix met en place des règles pour prévenir le harcèlement sexuel sur ses tournages », Biiinge by Konbini, mai 2018

Un Episode et J’arrête, « Comment les séries font-elles écho au mouvement MeToo ? », Soundcloud, 30 avril 2018

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