Parfois, il faut savoir dire “Stop”

Anahi Lozza
4 min readJun 3, 2019

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Une des questions que l’on me pose régulièrement depuis la fin de L’Habibliothèque, c’est : A quel moment tu as décidé d’arrêter ?

Et une des questions qui est le plus souvent sous-entendue de la part des entrepreneurs qui me la posent est : A quel moment dois-je décider d’arrêter ?

La réponse que je donne, ce sont les faits, tout simplement.

Cela faisait 4 ans que je travaillais (que je m’épuisais) 7 jours sur 7 pour tenter de faire décoller une boite qui ne décollait pas, j’avais la responsabilité de 10 salariés et le stress chaque mois de ne pas arriver à payer les salaires de tout le monde, un chiffre d’affaire autour de 50K€ mensuel mais des charges 30% supérieures, bref un business non rentable et une levée de fond non aboutie.

J’ai tenue 4 ans la boite à bout de bras grâce à ma persuasion pour renégocier les dettes tous les mois et ainsi continuer à développer. A postériori, je ne sais pas si mon pouvoir de négociation était réellement une force. J’aurais pu continuer encore des mois dans le déni, persuadée de la réussite prochaine de la boite et accumulant de la dette.

Alors, à quel moment j’ai eu un déclic ? A quel moment je me suis dit que l’aventure devait se terminer ?

Pour être très honnête, je ne me souviens que de ce jour où j’ai envoyé ce slack à The Family, autour de 8h du matin. C’était l’heure où j’aimais arriver au bureau pour commencer ma journée tranquillement sans personne pour me perturber. Je me rappelle encore le contenu de celui-ci, je résumais la situation et demandais en toute honnêteté si mon attitude était de la persévérance ou de l’acharnement.

Au moment où j’ai appuyé sur « entrée » ma décision était prise. Le contexte était simple :

Chaque mois mon chiffre d’affaire ne couvre pas toutes mes charges, je n’arrive pas à boucler ma levée de fonds car le modèle n’intéresse pas les VC sur une série A, j’ai tenté en dernier recourt un prêt de la banque mais en vain.

Il a encore fallu attendre ce talk avec Oussama pour que j’acte la décision. Mais lorsque j’ai envoyé ce slack ce matin-là, je savais.

Alors pourquoi à ce moment là ? Et surtout pourquoi je n’ai pas pris la décision des mois avant alors que j’aurais pu/dû ?

Je pense que j’ai eu besoin de tout tenter, jusqu’au bout. Que j’ai eu besoin d’aller jusqu’à une demande de prêt bancaire (mais sérieusement, quelle banque prête aux startups !?), que j’ai eu besoin d’aller jusqu’à l’épuisement physique et moral pour me dire que ma seule issue était d’en finir.

J’avais ce besoin de réussir à tout prix, peu importe ce que cela me coûtait. J’étais prête à sacrifier ma vie de couple, à ne voir mes amis qu’une fois par mois et encore, à mettre en péril la relation avec ma sœur avec laquelle j’ai monté la boite et à m’endetter personnellement. Celle qui au départ m’avait donné le plaisir d’indépendance et de liberté était devenue le bourreau dont j’étais seule prisonnière.

Depuis ce jour où j’ai su que c’était fini, je me demande ce qui m’a fait sombrer dans cette spirale négative de l’entrepreneuriat, car je pense qu’elle existe et qu’il faut savoir l’éviter ou du moins s’en défaire.

Et j’ai analysé deux peurs principales qui m’ont fait sombrer :

- La peur de l’échec : S’avouer que l’on a pas réussi n’est pas une chose facile, il faut l’admettre et l’assumer. Et c’est notre fierté qui est en jeu.

- La peur de l’inconnu : De quoi est-on capable si on a plus sa boite ? est-ce qu’on ne va pas redevenir l’esclave des autres ?

Aujourd’hui, je me rends compte que ces peurs étaient infondées et vaines car finalement échouer n’est pas si grave, au contraire mon expérience avec L’Habibliothèque est extrêmement valorisée ; et je me sens beaucoup plus libre et indépendante dans ce que je fais aujourd’hui que ce que j’ai pu être à la fin de ma boite.

Bien sûr je me suis inventée toutes les excuses du monde : je ne pouvais pas arrêter à cause des employés, des investisseurs, des clients et je suis même allée jusqu’à me faire croire qu’on ne pouvait pas arrêter comme ça.

Même si je n’aime pas faire de distinction homme/femme en général, force est de constater que la manière d’appréhender une boite n’est pas la même pour les deux.

Toutes les femmes que je rencontre ont un lien affectif et particulier avec leur boite. Toutes les femmes que je rencontre et qui sont ou ont été dans ma position sont passées par les mêmes questions et les mêmes doutes. On a peut être toutes ce besoin de prouver quelque chose. Mais parfois savoir dire “stop” et baisser les bras demande autant de courage que de résister. J’avais choisi de monter une boite et j’ai choisi de l’arrêter.

J’avais ce besoin de prouver quelque chose. Mais à qui ?Je dirais que la seule et unique réponse est : à moi-même.

Anahi

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Anahi Lozza

French Entrepreneur - Ex Co-Founder & CEO L’Habibliothèque