#MoiAussi : Pour que l’on ne baisse plus les yeux en attendant que ça passe

Anaïs Richardin
6 min readOct 17, 2017

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Même si souvent je rugis devant mon ordi, j’ai toujours eu pour habitude de ne pas donner mon opinion personnelle sur internet, et surtout de ne pas raconter ma vie. Jusqu’à aujourd’hui.

Jusqu’à ce message qui a fait jaillir un torrent de colère, et de ressentiment, bien enfoui. Ce message d’une personne connue pour son insistance auprès des femmes. Ce message d’une personne dont j’ai moi-même fait les frais.

Lorsque j’ai vu le premier post #BalanceTonPorc sur Facebook samedi, je n’ai pas su quoi en penser. Raconter ses traumatismes pour éveiller les consciences, oui. Utiliser les réseaux sociaux pour pointer du doigt les coupables, non. J’étais catégorique. Sans même bien savoir pourquoi.

Comme 100% des femmes, j’ai vécu mon lot de mauvaises expériences, d’agressions verbales -mais pas que-, de sifflements réducteurs, de gestes déplacés et tout ce qui compose le très large éventail de comportements irrespectueux qui nous font frissonner et presser le pas. Pourtant, en voyant le hashtag circuler sur Twitter, j’ai eu envie de raconter, moi aussi, ce que je n’avais dit qu’à quelques personnes. Puisque les autre osaient, puisque je n’étais plus seule.

J’ai donc raconté deux « anecdotes ». Des anecdotes qui n’ont rien d’anecdotique quand je vois l’effet que ces faits ont encore sur moi, des années après. En un tweet lapidaire, j’ai ainsi résumé 10 minutes de monologue agressif subi fin 2013 :

Cette soirée est encore gravée dans ma mémoire. Nous étions en voyage de presse. La « classe de neige pour publicitaires ». Pour ados en rut plutôt. Ce soir-là, alors que je faisais la fête avec quelques amis, il est venu me voir.

Tu te souviens de notre première rencontre ?

C’était quelques mois plus tôt, à Cannes, lorsque je l’avais interviewé au Festival de la pub.

Oui…

Moi je m’en souviens très bien. Tu as été glaciale, comme si je n’étais personne et j’ai adoré.

Alors en fait je t’explique (ça c’est que j’aurais dû lui dire sur le moment), je suis journaliste, mon boulot c’est d’obtenir des infos, pas de cirer les pompes des gens, et si je suis froide c’est juste pour mettre de la distance, pas pour alimenter tes délires de domination. J’aurais alors dû sentir qu’on partait sur une mauvaise pente.

J’étais en poste depuis peu de temps, je ne voulais pas me couper d’une source d’information potentielle ni créer de tension entre la rédaction et son agence. Je suis restée. J’ai encaissé. Jusqu’à ne plus pouvoir. Jusqu’à ce fameux « tu as encore plus l’air d’une salope » qui résonne encore en moi comme s’il me l’avait craché ce matin-même. Après cette phrase je suis partie. Il m’a rattrapée par le bras, me demandant où je pensais aller puisqu’il comptait bien finir la nuit avec moi. J’ai fini par m’en débarrasser. Il a continué son sketch avec une autre femme, qui a vraiment su lui dire non. Une femme qui n’ a absolument pas eu peur de le remettre à sa place. Je me souviens de l’admiration que j’ai eue pour elle à cet instant.

Je n’ai osé parler de ce « fâcheux incident » à mes rédacteurs en chef que deux ans après, quand mon refus catégorique d’interviewer l’odieux personnage devint suspect. Mon chef de rubrique est resté interdit, ne comprenant pas pourquoi je ne lui en avais pas parlé avant.

Messieurs, chaque fois que vous poserez cette question à votre femme/soeur/amie/conjointe/mère/cousine… il y a de fortes chances que la réponse soit toujours la même : la honte.

C’est aussi elle qui nous pousse à la remise en question quand on se fait agresser dans la rue. Cet été, quand un homme est passé devant moi en beuglant « j’ai envie de te baiser toute la nuit, je veux te lécher la chatte, ouais et te baiser toute la nuit ». J’ai tremblé. Je n’ai pas agi, je n’ai rien dit mais surtout, je me suis demandé si ma jupe était trop courte, si mes talons étaient trop hauts, si mon rouge à lèvres était trop rouge. Mais bordel ! Quand bien même j’aurais été à poil, ce n’était pas moi la fautive. On ne devrait pas avoir à se soucier de ce que notre tenue peut provoquer comme réaction chez les hommes, on ne devrait pas avoir peur de porter une jupe, ou un décolleté, ni même un maillot de bain.

Car oui, le maillot de bain aussi peut mener à des situations tout à fait dégueulasses

Retour en 2013. Septembre cette fois. Je faisais partie d’un voyage de presse au lac de Côme, un cadre idyllique pour deux jours de télétravail de rêve pensais-je alors. Erreur. Un soir nous sommes allés boire un verre entre journalistes et attachés de presse. Alors que je me dirigeais vers les toilettes, le charmant personnage de ce début de billet (celui dont le message m’a fait bondir) m’a suivie, m’a plaquée contre le mur et a essayé de m’embrasser. Je l’ai repoussé. Il n’a visiblement pas compris. Il riait. « Mais attends, tu nous aguichais en maillot de bain au bord de la piscine cet aprem et là tu ne veux pas ? »

Ben oui, évidemment. Piscine = maillot de bain = j’ai envie de me faire tripoter dans les chiottes le soir. Comment avais-je pu ne pas y songer ? Mais ce qui a ajouté une couche encore plus dégueu à la situation, c’est la réponse de la personne qui accompagnait les journalistes sur ce voyage quand je lui ai expliqué ce qu’il venait de se passer alors que je revenais tremblante des toilettes. Je ne me rappelle pas de ce dialogue précis, ne m’en voulez pas j’étais un peu sonnée, mais en substance ça donnait « Sérieux ? On a déjà entendu des histoires, cette fois c’est décidé on l’emmène plus en voyage de presse ». Combien d’histoires il vous faut avant de se décider à le déclarer persona non grata ?

Encore une fois, je n’avais pas du tout décidé ce matin en me levant de mener une chasse aux sorcières. Jusqu’à son post Facebook faussement concerné. Jusqu’à ce que certaines femmes comprennent mon message crypté et me racontent des histoires similaires, ou me remercient d’avoir parlé. Puisque son post m’avait heurtée, j’ai alors décidé de lui répondre directement.

Les réactions ont commencé à pleuvoir, et les messages privés aussi. J’attendais impatiemment SA réaction. Peut-être n’avait-il pas pris conscience de son geste sur le moment ? Peut-être allait-il enfin comprendre et s’excuser. Naïve que je suis…

😳 Non seulement, il a complètement fait abstraction de mon commentaire et de celui d’une autre femme qui raconte en détails une soirée passée en sa compagnie mais de surcroît il ose surfer sur le mouvement naissant pour nous servir la soupe et faire la pub de son média féminin « qui réunit 1,6 millions (sic) de françaises ». Il n’aura pas fallu attendre longtemps pour qu’il supprime son post, certainement conscient du ridicule de sa posture et du fait qu’il s’était exposé lui-même en essayant de faire croire qu’il souhaitait faire avancer les choses.

S’il y a une chose que je retiens de tout ça, c’est que la plupart de mes amIS n’avaient aucune conscience de l’ampleur du problème et que tous aujourd’hui se sont posé la question de leur comportement. « Ai-je déjà été offensant ? » « Suis-je déjà allé trop loin ? » Peut-être que oui, certainement que non. Dans le doute, retenez juste que non c’est non et que le silence ne vaut pas consentement.

Et si jamais vous vous retrouvez témoin d’une situation de harcèlement, dans la rue, dans le métro, ou n’importe où, messieurs interposez-vous. Faites-vous passer pour un ami et empêchez les ordures d’aller plus loin. Un simple “Hey Charlotte ça va ? Je ne t’avais pas vue ! Comment tu vas depuis tout ce temps?” suffira généralement à faire déguerpir le rustre sans vous obliger à jouer des poings. 💪🏽

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