2018 : un pic pétrolier silencieux ?
La déplétion des ressources ne dort jamais — mais notre réveil peut être tardif. Bien que la perspective du pic pétrolier soit souvent évoqué comme un horizon lointain, les données disponibles en date de fin septembre 2019 suggère que le pic pétrolier mondial « tout -pétrole » a probablement été atteint et dépassé en octobre-novembre 2018. Explications.
1. Un record de production mondial en octobre-novembre 2018
Le rapport « Petroleum supply monthly » de l’Agence Internationale de l’Énergie (IEA) indique que la production mondiale de pétrole était autour de 84 millions de barrils par jour en octobre 2018, contre près de 81,5 millions de barrils de pétrole par jour en mars 2019.
Plusieurs facteurs géopolitiques expliquent une partie de cette baisse de production. D’une part, les pays de l’OPEP ont convenus de réaliser des coupes de production pour soutenir les prix — avec un relatif insuccès, le barril de brent ayant jusqu’alors continué à osciller autour de 60 $. D’autre part, l’Iran et le Vénézuela se trouvent bloqués dans leurs exportations de pétrole.
2. Stagnation et déclin des pays pétroliers historiques
D’une part, de très nombreux pays producteurs ont dépassé leur pic de production. Parmis les pays de l’OPEP, citons l’Algérie, le Nigéria, le Koweit, le Gabon, la Guinée Équatoriale, l’Équateur, l’Angola et l’Algérie.
D’autre part, ces mêmes pays de l’OPEP trouvent le prix du barril autour de 60 $ insuffisant. Ils ont donc réalisés des coupes de production, qui se sont révélées inefficaces.
L’Arabie Saoudite, troisième producteur mondial, semble avoir atteint et dépassé son pic de production, mais cela ne peut pas être affirmé avec une absolue certitude. On observe un plateau.
Les principaux pays producteurs présentant encore une croissance de leur production sont la Russie, le Brésil, le Canada, l’Irak. La croissance de ces pays reste cependant assez faible, et l’on peut dire qu’ils ont atteint un plateau.
La Russie, deuxième producteur mondial, semble s’installer sur un plateau et évoque ouvertement un pic de production d’ici trois ans.
Si l’on excepte les États-Unis, les autre pays pétroliers en dehors de l’OPEC ne font pas beaucoup mieux à ce jour, avec un plateau autour de 38 millions de barrils par jour.
3 Début de la fin du boom du pétrole de schiste états-unien
Qu’en est il des États-Unis, premier producteur mondial et source de la plus grande partie de la croissance de la production lors de ces trois dernières années ?
La production de pétrole de schiste fait face à des problèmes profonds.
- Elle n’est pas rentable (et ne l’a jamais été)
- Le taux de déclin des puits est élevé (-50 à -70 % en un an).
- Il est nécessaire de creuser de plus en plus de puits pour garder le même niveau de production
- Les nouveaux puits creusés sont moins productifs car ils empiètent sur les précédents (problème « parent-child well »). Ce problème pourrait diminuer la quantité prouduite de 20 % par rapport aux précédentes prédictions.
- La place commence à manquer dans les zones de production les plus productives (« sweet pots »).
Les investissseurs apportent donc de moins en moins de financement à cette industrie assez calamiteuse du point de vue de ces résultats financiers. Nous pouvons donc faire l’hypothèse que la production des États-Unis à atteint son plateau et n’augmentera plus beaucoup, si elle ne décline pas franchement.
4. L’économie mondiale ralentit
Enfin, et c’est un point important, l’économie mondiale montre pour l’année 2020 de faibles perspectives de croissance. Cela contribue à maintenir des prix du pétrole « bas » (autour de 60 $ par barril de Brent) et à dissuader les pays producteurs d’augmenter leur production.
Il est donc probable que 2018 constitue « l’année du pic pétrolier », le record historique de production.
5. Un cycle de déclin pétrole-économie ?
Ce dernier chapitre décrit une hypothèse personelle : le déclin de la production pétrolière est un phénomène qui s’auto-entretient une fois qu’il a passé son point de non-retour, le pic pétrolier mondial.
La baisse de l’apport en énergie engendre le ralentissement de l’économie. Celui-ci décourage les investissements dans l’extraction pétrolière et finalement, entretient la baisse de la production pétrolière. Rappelons que le prix du pétrole est très volatile chaque jour, et donc à peu près incapable de refléter les évolutions de long-terme de la production. Le système est donc chaotique et instable.
La réalité suivra probablement un modèle plus complexe, décrit ci-dessous. Il ne s’agit bien sûr que d’une hypothèse, qui suppose un marché pétrolier toujours aussi irrationnel et court-termiste qu’il ne l’est actuellement.
À partir du moment où la production pétrolière mondiale commence à décliner, les cycles de croissance économiques entrecoupés de courtes période de récession évolueront probablement vers des cycles de récession économiques entrecoupés de courtes périodes de reprise, et ce jusqu’à ce que le système de production soit sevré de sa dépendance aux énergies fossiles.
Conclusion
Il est très probable que nous ayons vécu en 2018 un pic pétrolier mondial silencieux. La prise de conscience ne s’effectuera probablement que lorsque des pénuries auront effectivement lieu sur les marchés pétroliers.
Les années 2020 constitueront alors un tournant, l’entrée dans une décroissance économique forcée.
Sources
Je vous conseille de suivre l’excellent blog Peak Oil Barrel, qui propose un suivi fiable de ces questions. Tous les tableaux présentés en sont issus, et présentent des données de l’IEA et de l’OPEC. Merci particulièrement à Ron Patterson et Dennis Coyne, principaux contributeurs du blog.