Quelle durée pour se former ?

Anna Stépanoff
Le Petit Buisson
Published in
4 min readNov 2, 2016

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Aujourd’hui nous vivons dans une société où il est devenu habituel d’être étudiant jusqu’à 27, parfois 30 ans. L’âge des réductions étudiantes dans des trains et des musées s’allonge. Ainsi, entre 20 et 30 ans, on travaille de moins en moins et on passe toujours plus de temps dans le système éducatif. Bientôt on passera un tiers de notre vie à étudier, un tiers à travailler et un tiers à la retraite. Pour certains c’est déjà le cas.

D’un côté, on peut s’en réjouir. Notre société permet aux jeunes de prendre leur temps avant d’entrer dans la vie professionnelle, de se construire comme individus, de développer leur curiosité et d’atteindre un niveau de compétence élevé. D’autant plus que la nouvelle économie numérique exige des compétences de plus en plus spécialisées et que le niveau d’études est la meilleure prévention du chômage. Du moins, c’est ce qu’on dit.

Et pourtant… Comment se fait-il qu’en France les titulaires d’un doctorat ont plus de difficultés à trouver un emploi que les titulaires d’un simple master* ? Pourquoi les entreprises semblent-elles réticentes à recruter des étudiants trentenaires bardés de diplômes, et leur préfèrent les jeunes moins formés de 20 ans ? Pourquoi la fameuse « génération Y » a-t-elle du mal à s’intégrer dans une entreprise et pousse les patrons à prendre des mesures extraordinaires, en aménageant les horaires ou le mode de travail, pour s’adapter à elle ? Pourquoi, s’il y a de plus en plus de personnes de mieux en mieux éduquées, les DRH annoncent la « guerre de talents » et disent se battre pour les talents de plus en plus rares ? Pourquoi le chômage des jeunes monte-t-il en flèche malgré des durées de formation toujours plus longues ? Pourquoi les personnes les plus éduquées ont-elles souvent des difficultés à trouver leur place dans le monde du travail et à s’épanouir ?

Il y a une réponse très simple à ce paradoxe. La durée du temps passé en formation n’est une garantie ni d’épanouissement de l’individu, ni d’adaptation aux besoins du marché de l’emploi, ni de développement économique pour la société. A partir du moment où la formation ne répond plus aux besoins des entreprises, de la société ou de l’individu, prolonger sa durée ne peut en réalité avoir qu’un impact négatif.

Peu de voix s’élèvent pour arrêter cette course effrénée aux diplômes. Les objectifs tels que la hausse du nombre de titulaires du bac, d’une licence ou d’un master n’ont aucun sens si ces diplômes ne correspondent qu’à une durée et non pas à un contenu et des compétences précises. Faut-il vraiment baisser le niveau d’exigence au bac pour avoir plus de bacheliers ? Est-ce vraiment une bonne idée d’accepter sans sélection tout bachelier en licence quand on sait que moins de la moitié obtiendront leur diplôme, qu’une année universitaire coûte plus de 14K€ par étudiant au contribuable, et qu’une licence en trois ans, dans beaucoup de domaines, ne rend pas vraiment employable ?

La Conférence des Grandes Ecoles a fait une proposition forte pour la présidentielle 2017 : développer des formations professionnalisantes courtes (bac+3) en lien avec les entreprises. Cela va dans le bon sens, l’objectif est affiché : l’insertion professionnelle immédiate. Pourtant, on en reste à une définition de la formation par sa durée, « courte » dans ce cas — niveau licence, plutôt qu’une définition en termes de compétences à acquérir quelle qu’en soit la durée..

Le dispositif de la Grande Ecole du Numérique de François Hollande va aussi dans le bon sens : favoriser l’insertion professionnelle et l’emploi dans le numérique par la formation. L’accent est mis sur l’insertion, la durée des formations labellisées est plutôt courte, mais libre. Ce dispositif a fait naître de nombreuses formations originales qui permettent d’expérimenter des modèles éducatifs plus efficaces en dehors du parcours classique universitaire de licence-master-doctorat. Pourtant une limite de ce dispositif est d’être focalisé sur les publics socialement en difficulté. Alors que ce dispositif aurait pu devenir un grand laboratoire d’expérimentation éducative dans le supérieur et propulser la France sur les devants de l’innovation pédagogique, il risque de rester cantonné aux publics ciblés et d’obtenir un impact réduit.

Malgré des annonces et expérimentations modestes, la question de la refonte du système de l’éducation est absente des débats politiques de la présidentielle. Question trop sensible sûrement, trop complexe aussi. De nouvelles idées émergent pourtant dans le monde de l’éducation et beaucoup sont prêts à les entendre. L’inefficacité des études longues oblige à imaginer des solutions différentes. A quand un système éducatif où le diplôme correspondra à un ensemble précis de compétences acquises plutôt qu’à un nombre d’années passées en formation ? Quand pourra-t-on obtenir une licence en 2 ans ou un master en 3 ans parce qu’on a validé les compétences requises et pas seulement passé un nombre fixe d’années sur les bancs universitaires ?

*Voir notamment « Comment améliorer l’insertion professionnelle des diplômés de doctorat ? » sur EducPros

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