Des solutions contre le chômage !

Le débat public autour du chômage s’enlise autour de deux discours trompeurs : la stigmatisation des chômeurs et la défense de la « valeur travail » ; et le mythe du « retour de la croissance » qui résoudra le problème comme par magie lorsqu’on aura restauré la compétitivité des entreprises. S’il n’existe effectivement pas de solution magique, il y a malgré tout des propositions qui méritent d’être remises au goût du jour : relancer la consommation des ménages les plus modestes, investir massivement dans la transition énergétique… et surtout, partager l’emploi.

Anthony Dupont
8 min readDec 19, 2016
Lcham/Sipa

J’ai montré dans de précédents articles que :

  1. le chômage s’explique avant tout par un déficit d’offres d’emploi, et
  2. que les entreprises embauchent non quand elles en ont les moyens, mais quand c’est nécessaire pour répondre à une demande.

Le « taux de conversion » entre la demande reçue par les entreprises et l’emploi qu’elle génère est la productivité du travail : s’il faut 30 ouvriers pour fabriquer une voiture ou s’il n’en faut que 2, la demande d’une voiture aura des effets très différents sur l’emploi.

Il en découle naturellement trois grandes catégories de solutions pour lutter contre le chômage :

  1. Réduire la productivité du travail et donc augmenter l’emploi nécessaire pour répondre à une demande donnée ;
  2. Augmenter la demande pour produire plus ;
  3. A demande et productivité constantes, mieux partager l’emploi entre toutes les personnes qui souhaitent travailler (la « population active »), ce qui implique de réduire le temps de travail moyen des travailleurs.

Nous allons étudier de plus près chacune de ces pistes, mais prenons d’abord un peu de recul.

Le travail est un moyen, pas une fin

Pourquoi travaillons-nous ? D’un point de vue sociétal, avant tout parce que c’est nécessaire pour produire les biens et les services dont nous avons besoin ou envie (du paquet de pâtes au cours de yoga en passant par la voie de tramway ou le diagnostic d’un médecin). Ce sont ces biens et services que l’on recherche, pas le travail pour le travail. Si une entreprise ou l’Etat paie des employés pour tuer des gens, pour détruire l’environnement ou tout simplement pour se cogner la tête contre les murs, ça « crée de l’emploi », mais est-ce souhaitable ? A l’inverse si demain le cancer disparaît, nombre de cancérologues se retrouveront au chômage, et ce sera une excellente nouvelle !

Du point de vue des employeurs, le travail n’est qu’un facteur nécessaire pour répondre à la demande, pas un objectif en soi. Du point de vue des employés, le travail est avant tout le moyen de s’assurer un revenu, et donc de pouvoir satisfaire ses besoins et ses envies. A cela il faut ajouter le rôle positif du travail pour le développement personnel et les liens sociaux. C’est bien sûr loin d’être toujours le cas, mais c’est malgré tout essentiel.

Bref, quel que soit le point de vue que l’on adopte, le travail n’est pas une fin en soi, mais un moyen :

  • De produire les biens et services qui répondent aux besoins et aux envies de la société ;
  • D’assurer une forme de distribution des revenus qui permettent aux individus d’acquérir ces biens et ces services ;
  • De créer du lien social et donner un rôle dans la société à tous ceux qui le souhaitent.

Réduire la productivité, une idée souvent réactionnaire

Une fois ce rappel fait, revenons donc à nos trois grandes solutions. La première est donc de réduire la productivité du travail, ou plutôt lutter contre son amélioration continue depuis… au moins 200 ans . En pratique, cela signifie lutter contre la mécanisation et l’automatisation des travaux pénibles, contre l’informatisation et les algorithmes dans les services, demain contre les robots. Cela peut également impliquer de réduire les salaires pour qu’il soit moins rentable pour les entreprises d’investir dans des machines.

L’idée de lutter contre le progrès technique pour sauver des emplois ne date pas d’hier : elle était à l’origine de la révolte des canuts en 1831, qui protestaient contre l’invention… du métier à tisser. Elle me semble réactionnaire dans la plupart des cas. Que les machines produisent de plus en plus à notre place est une bonne nouvelle, si l’on sait adapter notre modèle de société pour en gérer les conséquences néfastes (destructions d’emplois, perte du lien social, etc.).

Il faut malgré tout citer une exception : les secteurs où productivité est synonyme de destruction de l’environnement. C’est le cas notamment de l’agriculture où le développement de l’agriculture biologique, qui nécessite plus de main d’œuvre que l’agriculture traditionnelle, reste malgré tout souhaitable au vu de ses avantages en termes de santé publique et d’environnement. Cela ne doit pas l’empêcher de viser malgré tout une productivité maximale, toujours selon l’idée qu’il n’y a pas de sens à avoir de l’emploi pour de l’emploi.

Relancer la demande, oui mais…

Deuxième grande piste pour lutter contre le chômage : la relance de la demande, plus précisément ce que les économistes appellent la demande globale de biens et de services ou demande agrégée. Pour simplifier, c’est la somme de :

  • La consommation des ménages ;
  • L’investissement des entreprises et des ménages ;
  • Les dépenses du gouvernement et des administrations publiques.

Premier levier d’action donc : relancer la consommation des ménages. Il faut être très vigilant à ce propos et se rappeler que l’on est déjà dans une société d’hyper-consommation qui génère de nombreux abus ; et surtout qu’il est urgent de réduire notre empreinte écologique et nos émissions de gaz à effet de serre.

S’il n’est donc probablement pas souhaitable d’augmenter la consommation dans son ensemble, il me semble justifié et souhaitable d’augmenter la consommation des 15% de français sous le seuil de pauvreté. Trois arguments à cela :

Qu’est-ce que ça signifie concrètement ? Qu’il faut maintenir et amplifier la redistribution des revenus et la lutte contre les inégalités, parce que ça sauve des vies, parce que c’est bon pour l’économie, parce que ça a un impact sur l’environnement acceptable, et donc parce que ça réduit le chômage. Cela passe notamment par la revalorisation du RSA et des minima sociaux, et la lutte contre le non-recours aux aides sociales.

Deuxième levier : l’investissement des entreprises. J’ai déjà montré comme il était compliqué de relier disponibilités financières des entreprises et investissement. Surtout, alors qu’on parle sans cesse du financement des entreprises, l’investissement est d’abord déterminé par l’anticipation d’une demande future. En ces temps de morosité pour la croissance mondiale, il est compliqué d’identifier des mesures claires à même de relancer l’investissement des entreprises, au-delà de celles déjà mises en œuvre (baisse des taux d’intérêts, crédit d’impôt recherche, banque publique d’investissement, etc.) …

… ce qui nous amène au troisième levier : les dépenses de fonctionnement et d’investissement de l’Etat et des acteurs publics. Là encore, il est évident qu’il ne faut pas dépenser pour dépenser, mais veiller à ce que chaque euro prélevé au contribuable soit utilisé au mieux. Peut-on trouver des investissements rentables, sans risques, vertueux pour l’environnement et créateurs d’emploi ? Oui : c’est la transition énergétique. Et quel meilleur moment pour investir qu’une période où la France emprunte à des taux négatifs ? Il est grand temps d’engager des programmes ambitieux pour l’efficacité énergétique des bâtiments, le développement des énergies renouvelables et les transports propres.

A mettre en regard avec les perspectives réalistes de croissance

Les mesures vues plus haut sont toutes nécessaires et utiles. Suffisent-elles ? Pour le savoir, regardons quelques chiffres. La demande agrégée étant très proche du PIB (produit intérieur brut) — puisque tout ce qui est produit l’est justement pour répondre à une demande réelle ou anticipée — on peut assimiler croissance de la demande à croissance du PIB.

La productivité, dans les scénarios les « plus pessimistes », croît d’1% par an, ce qui correspond donc à 1% d’emplois détruits qu’il faut remplacer. De plus, la population qui souhaite travailler (la population active) croît d’environ 0,5% par an. Une croissance du PIB de 1,5% suffit donc juste à créer suffisamment d’emplois pour absorber la hausse de population active (+0,5) et les gains de productivité (+1%) sur un an, et ne change rien au taux de chômage. C’est ce que les économistes appellent la loi d’Okun.

Une réduction significative du chômage nécessiterait donc une croissance d’au moins 2% par an… et il faudrait même dans ce cas de longues années pour ramener le taux de chômage de 10% à 5%. Depuis la crise de 2008, la croissance moyenne de la France a été de +0,6% par an, et les prévisions pour 2016 et 2017 ne dépassent pas 1,2%. Mais ce n’est pas un problème franco-français : c’est toute la planète qui se trouve dans une phase de faible croissance. Ce n’est pas non plus un problème conjoncturel : la croissance diminue de manière régulière depuis 1950. Il faut donc relativiser l’impact que peut avoir n’importe quelle politique publique sur la croissance et surtout, agir contre le chômage dès maintenant, sans attendre son hypothétique retour.

Le partage du travail, une nécessité

On en arrive donc à notre dernière solution : mieux partager la quantité de travail nécessaire entre toutes les personnes qui souhaitent travailler. C’est l’évidence : si l’on ne souhaite pas freiner le progrès technique, et si l’on est réaliste sur les perspectives de croissance de la production, alors il est indispensable de d’abord partager l’emploi existant de manière équitable. Comment ? Ce sera l’objet d’un prochain article.

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