Arnaud Deroo
7 min readNov 21, 2017

Issy-les-moulineaux / 15 Novembre 2017

Quand l’émotion nous rattrape

Contexte : Cette intervention a été proposée au réseau des structures Petite Enfance municipales de la ville d’Issy-les-Moulineaux — (92). À travers cette conférence, l’auteur, donne à réfléchir sur les enjeux et la place dont chacun — accueillant de jeunes enfants — accorde à l’émotion, quand celle-ci nous rattrape dans le quotidien de nos métiers et vient bousculer notre « pré-histoire ». Que ce soit dans la relation avec l’enfant ou avec l’adulte, Arnaud Deroo, dresse le portrait d’une grammaire émotionnelle qui nous poursuit, jusqu’à influencer nos manières de faire et d’être avec autrui, et ce, malgré un parcours de formation et de qualification professionnelle en Petite Enfance. Avec humour, il propose des pistes de réflexion et des outils pratiques pour accueillir l’émotion avec bien-traitance, afin que celle-ci puisse toujours enrichir la relation à l’autre et non l’abîmer.

Problématique : Comment pouvons-nous revisiter, transformer, l’éducation émotionnelle que nous avons reçu de la part d’adultes soi-disant « aimants », eux-mêmes absorbés par leurs propres émotions, sans que cela puisse nous saboter, nous parasiter, nous invalider, nous rattraper, dans notre vie de professionnel(le) de la Petite Enfance au travail ?

Nous sommes pourtant tous logés à la même enseigne. De la Directrice de Crèche à l’Animatrice d’éveil, l’émotion est notre quotidien. Parfois nous l’ignorons et cela prend le style de : « Tu as vu sa tête ?! Ça promet aujourd’hui… ! », « À peine arrivé, il commence ! Il m’agace ! », « Tu travailles avec Émilie ?! Et bah j’te plains ! ». Ainsi est fait le quotidien de hauts et de bas, de formulations toutes empruntes d’émotions que nous ne ressentons pas, peu ou mal.

L’émotion est une richesse mais elle peut être souvent un frein pour nous-mêmes, pour l’équipe, pour la direction et vers l’enfant. Et dans nos métiers — en lien avec l’enfant, qui, lui, est toute émotion — nos états émotionnels sont mis à dure épreuve. Cela peut nous abîmer, nous user. Combien d’adultes dans des structures vont mal et c’est dangereux pour les enfants ? : « J’en peux plus avec toi ! »… Nous ne sommes plus alors professionnel adéquat, mais un professionnel rattrapé par son histoire et par le stress : « C’est fini ta comédie ! » dit une Éducatrice à un enfant qui pleure, « Assieds-toi là et réfléchi ». Et oui, l’émotion qui nous rattrape peut nous faire faire de grands n’importe quoi.

Il est donc judicieux de 1) — définir l’« émotion », 2) — repérer en quoi elle peut être une force ou une difficulté, et de voir 3) — comment faire avec ? Puisqu’elle est bien là. L’émotion, c’est ce qui se meut en soi. L’émotion est physiologique, elle se ressent dans tout le corps et dans une partie du corps : « J’ai une boule au ventre. », « J’en ai plein le dos. », « Il me sort par les trous de nez. », « Je me fais de la bile. »… Comprendre, chercher à comprendre une émotion — surtout celle qui est régulière et ennuyeuse — c’est déjà la perdre, c’est ne pas faire ce qu’il faut pour l’évacuer vraiment. L’émotion n’est pas bonne ou mauvaise, elle est et elle est là. L’émotion est comme un clignotant qui vous annonce qui se passe quelque chose pour vous. L’émotion précède l’évolution de l’Homme, la pensée, puisque l’émotion se loge dans le cerveau limbique, qui est aussi celui de la mémoire. Notre vécu émotionnel actuel, nos réactions, sont le résultat de notre histoire, de notre éducation reçue.

Nous ne sommes donc pas « spontanés », alors que l’on entend souvent cela. Nous sommes ce que notre histoire à fait de nous, ne vous en déplaise. Nos émotions, nos réactions, sont dans notre ADN. Rassurez-vous nous pouvons alchimiser, mettre de nouveaux logiciels. Notre apprentissage émotionnel et donc ses lacunes (dirons-nous), se réveille surtout dans des situations de stress, dans des situations où notre cadre de référence est mis à mal ou lorsque nos principes, nos croyances et nos attentes sont irrités.

Toutes les situations que nous vivons transitent par notre cerveau émotionnel — qui, rappelons-nous, est aussi le siège des souvenirs — pour déclencher une réaction adéquate ou non adéquate. Adéquate quand vous êtes dans l’ici et maintenant de la situation, sans interprétation, sans croyance, sans attente, sans pouvoir. Il est alors normal de sentir et ressentir des émotions. Il est moins normal que cette émotion nous face déborder, perdre pied, disjoncter avec l’enfant, nos collègues ou la direction.

Ces émotions qui nous rattrapent (dans le mauvais sens du terme), qui nous enclenchent des réactions inadéquates, sont bien souvent dues à des amas d’émotions accumulés du passé, non-entendues, non-verbalisées, non-accompagnées, non-évacuées dans le passé, et qui viennent dans le présent nous pourrir, nous ennuyer la vie, notre travail, nos réactions. Ces amas ont pris racine lorsque nous avons entendu : « Tu vas pas pleurer pour ça ! », « Arrête ce caprice ! », « Encore toi !? T’es infernal ! », « Tu vas me faire mourir ! », « Un garçon, ça pleure pas ! », « Qu’est-ce qu’il y a encore ?! », « Tu n’as pas à être jaloux. », « Arrête tout de suite ! », « 1, 2, 3… », et que nous reproduisons.

Toutes ces injonctions vont nous enseigner une grammaire émotionnelle qui va nous éloigner de nous, de notre vraie nature, nous éloigner des enfants et de nos collègues. Rappelons que l’arc-en-ciel des émotions est varié. Pour autant, bien souvent, nous le classons en 4 catégories : la peur, la colère, la tristesse et… LE PLAISIR !

Nos métiers sont des métiers d’accompagnement d’émotions, des métiers pour faire vivre joie et amour. Avant d’être des EJE et des Auxiliaires, nous sommes des professionnels d’amour. Notre quotidien relationnel, émotionnel devrait être au clair, puisque nous avons tous suivi une formation sur le fonctionnement de l’enfant. À la différence des parents, nous devrions avoir plus de facilités, nos émotions devraient moins nous rattraper et il n’en est rien ! Nous observons bien souvent des attitudes inadéquates malgré les connaissances, c’est-à-dire, que les émotions nous rattrapent bien malgré-nous, et nous rattrape le plus souvent parce que des situations où l’enfant confronte vos limites, vos interdits, vos croyances, vos principes et vos attentes.

Les connaissances acquises restent donc à un niveau intellectuel, et ne sont pas éprouvées dans notre corps et dans notre chair. Pour que nos émotions ne nous rattrapent pas, il est indispensable de travailler sur nos manques, nos souffrances, nos violences éducatives. Sans ce travail cumulé parfois aux conditions de travail, beaucoup de professionnels peuvent être dans des comportements non suffisamment bons. Plusieurs pistes s’offrent à nous :

En amont, une réflexion dans les Centres de formation. Comment travailler ces aspects au lieu de travailler sur des maquettes ? Des temps d’analyse de pratique, que nous pouvons appeler « le Service après-vente ». Se former, toujours et encore : des formations professionnelles continues et des lectures. Et des réunions régulières.

Dans le feu de l’action : 1) — sentir l’émotion, 2) — entendre son besoin, 3) — entendre le besoin de l’enfant et 4) — passer le relais. Cela pouvant nous permettre d’accueillir au mieux, être en empathie avec soi-même.

Dans la relation aux adultes, la démarche est la même, car l’émotion peut aussi nous entraîner dans la cours de récréation pour adultes. L’idée d’une Charte relationnelle peut parfois être un outil intéressant à réfléchir, ainsi que des modules de formation et de communication :

  • « Ce que je dis n’est pas toujours ce qui est entendu »
  • « Je mets des mots sur mon ressenti au lieu de parler sur l’autre »
  • « Je n’oublie pas que tout échange nous sommes 3 : la relation, moi et l’autre »
  • « J’utilise le JE et non le TU »
  • « Je n’entretiens pas les non-dits et les rumeurs »
  • « Je ne parle pas sur quelqu’un en son absence et je refuse d’écouter quelqu’un parler sur un absent »
  • « Ce que je ressens m’appartient, ce n’est pas l’autre qui est responsable »
  • « Je ne peux pas changer l’autre, je ne peux que changer ma relation avec lui »

Apprivoiser une émotion, c’est prendre la responsabilité de la relation, c’est arrêter d’accuser l’autre de ses états émotionnels, c’est se prendre en main, s’affirmer, prendre soin de soi avec assertivité. Être une grande personne, c’est prendre soin de ses besoins et ne pas attendre que l’autre les devine : « Elle devrait quand même savoir ! ». Faire ce choix peut transformer votre vie, votre quotidien.

Et pour conclure, rappelons-nous que toutes rencontres, que ce soit avec l’enfant ou l’adulte, ont un sens. Ces rencontres veulent nous apprendre quelque chose, quelque chose sur nous. Il n’y a pas de rencontre anodine. Même si cela est complexe, même si l’émotion nous rattrape et que cela nous fait du mal, la vie veut vous donner une leçon. Plus nous serons dans la magie des relations, plus notre vie sera joie et bonheur.

Je vous souhaite « tout le bonheur du monde ». La vie ne nous veut que du bien.

Arnaud Deroo

Consultant en éducation, psychanalyste, conférencier, auteur