Une maladresse exponentielle ?

Arthur Keller
6 min readJul 2, 2019

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L’épisode 4 de la saison 2 de la websérie [ NEXT ] est sorti récemment : https://www.youtube.com/watch?v=kLzNPEjHHb8

J’y présente une partie de mes travaux relatifs à une classification des imaginaires de l’avenir. Il s’agit d’un outil destiné aux prospectivistes qui croise des données et principes issus de trois champs disciplinaires : l’analyse des processus biogéochimiques, la dynamique des systèmes et le storytelling. Ces données et principes ne sont pas nouveaux ; c’est l’intersection multidisciplinaire proposée qui est inédite et constitue d’une part un nouvel outil pour la prospective, d’autre part une approche pédagogique originale.

Suite à cette mise en ligne, quelques commentaires ont attiré mon attention sur le fait que je suis allé vite en besogne dans mon explication de la fonction exponentielle, en début de vidéo. J’ai alors pris le temps de regarder ma propre vidéo… et ai en effet réalisé que j’avais versé dans le flou artistique.

Aussi, il me semble important de clarifier.

Pour toute courbe croissant exponentiellement au cours du temps, il existe un pas de temps (en abscisse) pour lequel la valeur de la fonction (en ordonnée) est multipliée par 2 à chaque pas de temps. C’est une des propriétés de l’exponentielle. Pour mieux comprendre, voir par exemple cet article ou celui-ci. Voir aussi l’addendum tout en bas de cet article.

Illustration : imaginons que quelque chose croisse au taux constant de 3% par an : la quantité de ce quelque chose suit une courbe exponentielle et double tous les 23 ans environ (car 2 ≈ 1,03²³). Pour une croissance stable à 5% par an, le pas de temps est d’environ 14 ans (car 2 ≈ 1,05¹⁴). Toute exponentielle possède cette propriété. (cf. note au pied de cet article)

C’est cela que je souhaitais initialement expliquer, hélas force est de reconnaître que, pressé par le timing limité imposé par le tournage, j’ai confondu efficacité et précipitation et me suis lancé dans des explications un tantinet… bancales.

S’il y a bien une chose qui fait mauvais ménage avec les mathématiques, c’est l’improvisation. En la matière, la rigueur est de rigueur. Je suis donc navré de n’avoir été plus intelligible sur le point précis de la fonction exponentielle.

Il est néanmoins utile de préciser que cette lacune de rigueur, bien que regrettable, n’a aucune incidence sur le reste de la démonstration : les paramètres du monde évoluent selon des trajectoires qui s’apparentent à des exponentielles (une formidable accélération) mais n’en sont pas au sens mathématique strict du terme.

C’est là l’ironie suprême de cette situation : ma bévue portait sur une notion qu’il n’était pas véritablement utile de développer dans le cadre de cette vidéo.

En conclusion : il n’est pas si simple d’être parfaitement clair, univoque, minutieux et pédagogue quand on parle face à une caméra et qu’on n’a pas préparé son texte à l’avance… Mais ce n’est pas une excuse : au lieu de m’élancer dans cette explication impromptue, il va de soi que j’aurais dû préparer la chose avant le début de l’enregistrement et faire preuve de méticulosité dans mes formulations. Moi qui défends la précision et m’efforce justement d’en apporter à ce débat dont je déplore la nébulosité générale, je me retrouve pris en flagrant délit d’impréparation.

Désolé que l’inexactitude perpétrée ait pu heurter les esprits les plus méticuleux (à commencer par le mien, ironiquement : j‘ai mordu mon clavier quand j’ai vu la vidéo ! – d’où cet erratum.)

Je vous remercie pour votre indulgence, et promets qu’on ne m’y reprendra plus.

Arthur Keller

POUR CELLES ET CEUX QUI SOUHAITERAIENT CREUSER LES NOTIONS ABORDÉES DANS LA VIDÉO (une demande récurrente) :

Voici quelques pioches…

NOTE : quand l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), pour prendre un exemple, fait en 2018 des prévisions de croissance économique mondiale où celle-ci décroît lentement de 3,4% par an en 2019 jusqu’à 2% par an en 2060, cela revient implicitement à multiplier la taille de l’économie mondiale (= quantité de biens et de services produits) par environ 2,6 au cours des quatre prochaines décennies.

Cf. https://www.oecd.org/eco/growth/scenarios-for-the-world-economy-to-2060.htm, diapo 6, schéma de gauche, courbe verte.

Quand, toujours en 2018, William Nordhaus, prix Nobel d’économie – enfin, lauréat du « prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel », soyons précis – co-publie un article avec un professeur d’économie de Yale et un docteur en économie de l’environnement et des ressources de Yale aussi (https://www.pnas.org/content/115/21/5409) dans lequel ils annoncent gaiement que le PIB par habitant mondial va augmenter de 2,03% par an en moyenne jusqu’en 2100 (estimation moyenne, avec une marge d’erreur importante), sachant par ailleurs qu’ils se basent sur les travaux d’un professeur de démographie de l’université de Berkeley qui évalue la population mondiale en 2100 à 10,1 milliards (https://science.sciencemag.org/content/333/6042/569), soit une croissance démographique de 30% par rapport à l’année d’écriture de l’article, cela revient implicitement à multiplier la taille de l’économie mondiale par près de 7 au cours des 82 années suivant la rédaction de l’article (1,0203⁸² x 1,3).

Si l’on intègre à l’équation le fait que nous « consommons » aujourd’hui l’équivalent de 1,75 Terres (https://www.overshootday.org/newsroom/dates-jour-depassement-mondial/) et que cela entraîne déjà des dégradations profondes, souvent irréversibles, des systèmes de support de vie de la planète, je vous laisse vous figurer le délire dans lequel nagent ces personnes bardées de diplômes et de titres. Un délire hors sol qui resterait dangereux même si nous étions capables de faire diminuer un peu l’intensité écologique de notre économie (c’est-à-dire si nous pouvions réduire un tantinet notre empreinte écologique pour chaque point de croissance produit – ce que nous sommes à ce stade radicalement incapables d’accomplir).

Pensée linéaire quand tu nous tiens…

Addendum (27/10/2019) :

Plusieurs personnes, pour la plupart bien intentionnées, m’ont contacté au fil des semaines pour me signifier que ce que j’ai écrit dans cet article serait « faux ». Selon ces personnes, quand j’écris que « pour toute courbe croissant exponentiellement au cours du temps, il existe un pas de temps (en abscisse) pour lequel la valeur de la fonction (en ordonnée) est multipliée par 2 à chaque pas de temps », je généralise à tort à toutes les exponentielles ce qui en fait n’est valable que pour l’exponentielle de base 2…

Eh bien non, je sais que c’est contre-intuitif, mais je ne généralise pas à tort. Initialement je ne souhaitais pas entrer dans les arcanes mathématiques de la chose, mais comme il semble y avoir des exigences de ce côté-là, voici la preuve mathématique.

Les exponentielles constituent une famille. Chaque exponentielle s’écrit sous la forme a^x : cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Exponentielle_de_base_a. Et la fonction a^x possède bien – quel que soit a – un pas de temps p tel que pour tout x, a^(x+p) = 2.a^x : sachant que a^(x+p) = a^x.a^p et que a^p = e^(p.ln(a)) où e est le nombre d’Euler, on trouve que p = ln(2)/ln(a).

Cela marche quelle que soit l’exponentielle, donc. Par exemple, pour 3^x, l’exponentielle de base 3, la valeur de la fonction double tous les p ≈ 0,63093 ; pour 17^x, p ≈ 0,24465 ; etc.

Merci pour vos commentaires et messages. J’espère que cela clarifie mon propos une fois pour toutes.

A.K.

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