Fragment de conscience 1#2#1

Aymeric de Fleurian
5 min readFeb 3, 2018

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Opinion/Vigilance épistémique/confiance épistémique

“The ability to destroy your ideas rapidly instead of slowly when the occasion is right is one of the most valuable things. You have to work hard on it. Ask yourself what are the arguments on the other side. It’s bad to have an opinion you’re proud of if you can’t state the arguments for the other side better than your opponents. This is a great mental discipline.”* Charlie Munger

Accéder à une opinion valide est un outil nécessaire pour construire une représentation du monde cohérente et structurée.

Cela nécessite un travail permanent plein d’humilité : confronter ses opinions, les reconsidérer, les réévaluer et savoir s’en débarrasser si leur validité est contestable.

Ce travail nécessite de considérer chaque opinion sous tous les angles, ceux qui confirment notre avis comme ceux qui s’y opposent. Comprendre les arguments contraires d’une opinion permet de déconstruire les fragilité qu’elle présente et d’en décomposer les rouages.

C’est ainsi que s’opère la transition entre le savoir superficiel — connaître un sujet — et le savoir consolidé — comprendre un sujet.

Le savoir consolidé a de la valeur car lui seul est transmissible.

Opérer ce processus nécessite de s’appuyer sur les concepts de vigilance épistémique et de confiance épistémique.

Vigilance épistémique/confiance épistémique :

« De manière similaire, dans la communication, ce n’est pas tant que nous puissions faire confiance à autrui en général et que, par conséquent, nous n’ayons besoin d’être vigilants que dans des circonstances rares et spéciales. C’est plutôt que nous ne pourrions pas faire preuve de confiance mutuelle si nous n’étions pas, pour commencer, mutuellement vigilants. » Sperber et al.

Les mécanismes de vigilance épistémique se sont développés avec l’émergence du langage pour permettre à un individu de discriminer la validité d’une information et de la traiter de la manière la plus efficiente possible.

C’est un processus permanent dont l’activation peut être plus ou moins intense suivant le contexte, l’émetteur de l’information (la source) et le contenu de l’information transmise.

La vigilance épistémique doit nécessairement se relâcher au moins transitoirement pour accepter le message émis. Si ce n’était pas le cas, l’information serait invalidée avant même d’avoir été traitée sur le plan cognitif, ne permettant pas de la comparer à ses propres croyances (savoir d’arrière plan).

Le processus de compréhension/interprétation de l’information suit le processus d’acceptation de l’information. Les facteurs qui influencent l’acceptation ou le rejet d’une information communiquée peuvent concerner :

La source de l’information et les croyances que nous avons à son sujet : Est-ce que je lui attribue de la confiance épistémique ? (est-il compétent sur le sujet dont il me parle ? est-il quelqu’un à qui j’attribue de l’honnêteté/de la bienveillance ?) L’information peut être rejetée à ce stade si on n’attribue pas de validité à la source. Nous ne lui attribuons pas de confiance épistémique.

Le contenu de l’énoncée, qui peut avoir :

  • une forte validité intrinsèque (Je ne suis pas muet) auquel cas il est accepté par principe.
  • Une validité intrinsèque moins forte auquel cas il est comparé à notre savoir d’arrière plan.

Le contexte de la relation qui nous donne des indications sur le niveau de vigilance à appliquer (dans cette entreprise les collègues sont fiables, donc ce collègue me transmet probablement une information valide).

Quand l’information se trouve confrontée à nos croyances, plusieurs cas de figures sont possibles :

  • L’information n’est pas contradictoire avec nos croyances et elle vient renforcer notre savoir d’arrière plan. C’est la situation la moins couteuse sur le plan cognitif et celle que nous recherchons le plus dans notre quotidien.
  • L’information est contradictoire avec nos croyances, mais nous avons un faible degré de conviction. Vous corrigez votre croyance pour qu’elle corresponde à la nouvelle information. Cela reste peu couteux cognitivement.
  • L’information est contradictoire avec nos croyances et nous avons un haut degré de conviction. Il faut réviser la situation soit en dégradant la confiance que l’on attribue à la source, soit corriger ses croyances pour qu’elles correspondent à l’information. C’est la situation la plus couteuse sur le plan cognitif.

De manière générale, l’individu tend à chercher les processus les moins couteux sur le plan cognitif et des stratégies de simplification du traitement de l’information se mettent en place.

« La confiance devrait être accordée aux informateurs en fonction des sujets, des auditoires et des circonstances. Cependant, une telle précision dans le calibrage de la confiance est une opération coûteuse en termes cognitifs et, s’il arrive souvent que les gens soient disposés à payer ce coût, ils s’appuient plus communément sur des impressions générales de compétence, de bienveillance et de fiabilité globale beaucoup moins coûteuses. » Sperber et al.

Quand nous attribuons beaucoup de confiance épistémique à un interlocuteur, nous relâchons notre vigilance épistémique et pouvons nous concentrer exclusivement sur le contenu de son énoncé.

Le message n’est plus brouillé par les enjeux implicites de la relation et nous pouvons faire l’effort cognitif de confronter l’information à nos croyances.

Grâce à cette confiance épistémique, il devient possible de renoncer à une croyance erronée.

La transmission devient alors possible.

Il appartient à chacun de veiller à transmettre des informations d’une manière qui permet le relâchement de la vigilance épistémique chez l’interlocuteur.

Il appartient à chacun de veiller à réinterroger ses croyances vis à vis de ce ceux qui transmettent.

Il appartient à chacun de se donner les moyens d’accéder à un savoir consolidé en acceptant le coût de la modification de ses croyances.

Il appartient à chacun de s’assurer que nous vivons dans un monde où la transmission est possible afin de ne pas sombrer dans des croyances biaisées.

*La capacité de renoncer à ses idées rapidement plutôt que lentement quand l’occasion se présente est une des choses les plus importantes. Il vous faut y travailler durement. Interrogez-vous sur les arguments contraires à votre idée. Ce n’est pas une bonne chose d’avoir une opinion dont vous êtes fier si vous ne pouvez en citer les arguments contraires mieux que vos opposants. C’est une discipline mentale précieuse.

Si vous souhaitez me retrouver, c’est par ici.

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Aymeric de Fleurian

Médecin spécialisé en psychiatrie, observateur et théoricien du psychisme humain et des organisations humaines. www.mind-ontology.fr