Dernier kilomètre : n’y allons pas par quatre chemins

Benjamin Levine
19 min readNov 6, 2018

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La livraison du dernier kilomètre ! Celle que tout le monde ambitionne de révolutionner mais que personne ne souhaite financer. Cela fait maintenant 3 ans qu’avec Youssef Tagemouati nous nous sommes lancés sur ce marché très convoité. Avec du recul, nous voulions partager quelques-uns des enseignements que nous avons retirés de ces années riches en apprentissages, en succès et en erreurs car bien sûr, nous nous sommes parfois égarés. Nous n’en sommes encore qu’au début de cette incroyable aventure certes, mais le paysage évolue tellement vite qu’il nous paraissait utile de faire un premier point d’étape pour partager notre vision, nous qui sommes au cœur de la Matrice. Car on lit beaucoup de choses sur le sujet et nous ne sommes pas toujours convaincus. Voici notre contribution.

La genèse : Delenda est l’échec de livraison

Tousfacteurs est né d’un constat simple (ce n’est pas du story telling mais bien la vérité) : c’est en passant devant une loge de concierge transformée par l’avènement du e-commerce en point de retrait que ça a fait tilt. Il y a un problème : on commande toujours plus, mais on ne récupère pas ses colis plus simplement. Et ce pour une raison simple, la majeure partie des livraisons sont réalisées au domicile des destinataires mais elles interviennent en journée, en leur absence.

Il existe pourtant de très nombreuses façons de contourner cette difficulté : la livraison en BAL (quand ça rentre, quand on en a une), au concierge (quand il existe et qu’il prend les colis), attendre chez soi (et que le facteur tente véritablement de livrer), la livraison en point relais, en consigne ou à un voisin (en espérant que le colis n’ait pas été déposé à cet homme un peu étrange qui vit sur le même palier).

Cette diversité d’options et de choix possibles illustre finalement que LA bonne solution n’a pas encore été trouvée. Chez Tousfacteurs, on s’est posés la question différemment : si tous les problèmes de livraisons interviennent en journée, alors pourquoi ne pas livrer en soirée ? Et ça été le point de départ de notre démarche : constituer une flotte de coursiers indépendants, mobilisable « à la demande » permettant de livrer les gens quand ils sont présents à leur domicile, c’est-à-dire en soirée, en s’appuyant sur des mini-dépôts situés dans les villes, les points relais. Cette idée s’inscrivait parfaitement dans l’air du temps (c’est d’ailleurs le premier service que nous avons lancé.)

New is always better

A cette époque on parle beaucoup d’UBER, Chauffeur Privé, Le Cab, mais aussi des foodtechs. Toute la place parisienne des VC bruisse de ces levées dont les montants vont croissant (on croise même alors un VC déçu d’avoir loupé le coche pour investir dans Take eat easy « je les ai contactés au moment du closing »), un vent de folie souffle sur ce secteur, un engouement comparable à celui qu’on avait constaté en 2009 quand Groupon avait vu une vingtaine de copy cat éclore en un temps record (l’expansion avant la consolidation).

Plus généralement, c’est le momentum de l’émergence de plusieurs grandes tendances, l’essor des places de marché, UBER en tête, et l’apparition de flottes de coursiers indépendants des Foodora, Deliveroo, créées à grands renforts d’investissements massifs qui permettent de se faire livrer son repas en 30 minutes chrono. La on demand economy est née.

C’est précisément au confluent de toutes ces tendances qu’apparaissent les premières startups qui se sont fixé comme objectif de saisir l’opportunité de créer un nouvel opérateur de la livraison à la demande de colis : elles s’appellent Deliver.ee, Colisweb, Toktoktok, suivies de près par le prolongement de Resto-in, Stuart. Les deltech apparaissent dans le sillage des foodtech. Après tout, c’est à la fois le pendant naturel de la désintermédiation de l’économie (après le transport de personnes, le transport de marchandises) et celui de la foodtech (puisqu’on livre des repas, on peut bien livrer des colis, comme l’illustre la création de Resto-in puis de Stuart par les mêmes fondateurs).

L’objectif ? Créer un/de nouveaux services de livraisons flexibles qui permettront aux enseignes de proposer à leurs clients des services performants, à coût équivalent ou moindre. Parce que oui, un point central dont nous n’avons pas encore parlé pour le moment, mais le point structurant du marché de la livraison, est celui du coût. En effet, la livraison est un marché immense, mais c’est un marché de coûts. Tous les consommateurs sont réticents à payer les frais de port, sans exception. Après tout, la promesse du e-commerce, c’est bien de payer moins cher (parce que le pure player est censé avoir moins de frais de structure) sans avoir à se déplacer ? Eh bien la livraison doit être intégrée, et ce n’est pas un coût que les acheteurs consentent facilement à supporter (no willingness to pay).

Pour créer ces nouveaux services, les opérateurs se sont naturellement orientés vers ce nouvel outil qui semble disrupter tous les marchés, la plateforme. Elle est à la fois la promesse d’une baisse des coûts d’organisation (moins de RH) et celle d’une meilleure optimisation grâce au levier technologique. Ainsi, ils se sont (et nous avec eux au départ) naturellement trouvés sur le marché de la course, en faisant le pari que le marché allait grossir tellement vite et serait servi si efficacement par la technologie, que l’allocation de ressources y serait aussi performante que lorsqu’on organise ces bonnes vieilles tournées de livraison à J+X. Mais une fois qu’on a choisi de plateformiser, il faut encore choisir son modèle de plateforme.

Plateforme, vous avez dit plateforme ?

On distingue sur le marché deux types d’opérateurs, les plateformes pures et les plateformes intégrantes. Les pures plateformes (deliver.ee et colisweb notamment) sont des applications sans flottes développant une technologie qui permet à des transporteurs existants d’accéder à une nouvelle source (complémentaire) de revenus, et aux enseignes de développer de nouveaux services, comme le ship-from-store. Ces plateformes ne travaillent qu’avec des sous-traitants préexistants ce qui présente des avantages et des inconvénients :

Avantages :

  • La sourcing des livreurs est facilité car il existe déjà de nombreux sous-traitants dans le transport. Cela favorise une expansion géographique plus rapide.
  • Les sous-traitants motorisés peuvent parcourir de longues distances et livrer des colis de toute taille.

Inconvénients :

  • Le contrôle de la qualité. Il n’y a pas de contact direct avec les transporteurs. Il est difficile de s’assurer que les procédures sont respectées partout, que tous les chauffeurs les connaissent.
  • Les véhicules utilitaires sont de plus en plus ralentis par les embouteillages dans les villes (contrairement aux vélos des plateformes intégrantes).
  • Un prix élevé, car la plateforme ne peut pas s’immiscer dans l’organisation de la société de livraison, et ne peut donc pas la faire bénéficier des optimisations logistiques que permet la technologie.

De l’autre côté les plateformes intégrantes, comme la filiale de la Poste et Tousfacteurs qui se sont positionnés comme étant à la fois une plateforme technologique et à la fois, qui intègrent un réseau d’indépendants à vélo, c’est-à-dire que nous faisons également le travail de constitution d’une flotte, puis de son animation, du branding et du pilotage de la qualité. La technologie faisant le reste.

Les plus :

  • Les coursiers à vélo sont plus rapides notamment car ils sont insensibles au trafic et au problème du stationnement
  • Le coût de la prestation de l’indépendant est moindre (pas d’essence, de leasing, et non ce n’est pas parce qu’il ne paie pas de charges, il en paie)
  • Chaque coursier est personnellement formé aux procédures
  • Il peut avoir un équipement brandé

Les moins :

  • La capacité d’emport qui est plus limitée,
  • L’autonomie du coursier ! Les coursiers à vélo ne peuvent pas parcourir les mêmes distances que les VL.
  • La gestion de la flotte : les coursier doivent être suivis, ils sont moins engagés (ils n’ont besoin que d’un vélo et d’un smartphone pour commencer)
  • Le dispositif est plus lent à déployer car il faut, ville par ville, développer une flotte

Présenté ainsi, il est honnêtement difficile de départager les deux approches : le deuxième modèle intègre une partie plus importante de la chaîne de valeur, ce qui potentiellement permet d’en créer plus à terme. D’un autre côté, le premier permet de croître plus vite, ce qui à l’aune d’une approche « winner takes all » est un pari cohérent. Mais allons plus loin.

Dichotomie strikes back

Il peut également être intéressant de regarder le marché selon un autre plan de coupe, lequel va nous permettre d’appeler à la barre un opérateur dont nous n’avons pas encore parlé, mais dont l’aura est devenue très importante (notamment depuis qu’ils ont levé 115M d’euros), il s’agit de Glovo. Cet opérateur est l’un des seuls (et en tout cas, celui qui à ce jour fait le plus de volume en France sur ce modèle) à avoir fait le pari du B2C quand tous les autres ont plutôt choisi le B2B. Analysons les enjeux de l’approche B2C :

Les inconvénients :

  • L’acquisition de nouveaux clients coûte cher, très cher (d’autant qu’ils sont en compétition avec tous les opérateurs de la foodtech car ils communiquent aux mêmes endroits et répondent en partie aux mêmes besoins).
  • Le switching cost pour le client est très faible (il existe des applications pour commander des repas, des applications pour le pressing, d’autres pour le e-commerce, la livraison étant devenue un nouvel axe de différenciation marketing).

Les avantages :

  • Le client acquis est bien celui de Glovo, pas de l’enseigne qui achète des prestations logistiques. Il s’agit de la base clients de Glovo et l’attachement développé se fait à destination de la marque Glovo.
  • Dans ce modèle Glovo prélève une partie du montant de la commande.
  • Il y a de nombreuses possibilités de rentabilisation du même client, à travers différents verticaux, la pharmacie, les fleurs, les courses, tout ce qu’on peut effectivement se faire livrer.

De l’autre côté, l’approche B2B, ou B2B2C selon la façon dont on la présente, comprend également des pros and cons.

Avantages :

  • Pas d’investissements massifs en marketing. L’acquisition des prescripteurs se fait plutôt à travers des canaux dédiés aux professionnels comme les salons.
  • Lorsqu’on signe un client, c’est un volume global qu’on signe d’un seul coup.
  • Une fois le dispositif opérationnel, le switching cost est très élevé pour le partenaire B2B : changer de prestataire est long, coûteux et surtout très incertain, on sait ce qu’on perd, pas ce qu’on gagne. Cela ouvre qui plus est une période de transition délicate pendant laquelle il faut continuer à travailler ensemble tout en sachant que la fin de la relation commerciale est programmée.

Inconvénients :

  • Les cycles de ventes sont très longs. Ce que nous constatons c’est que cela peut prendre de 3 (notre record) à 18 mois de la prise de contact à l’entrée en application de l’accord.
  • L’intégration technique est souvent une phase délicate du projet (“vous savez chez nous la technique, c’est très compliqué”). Les prescripteurs sont souvent en pleine transformation digitale, le planning IT particulièrement encombré. Sans compter les aspects politiques internes, toutes les BU du groupe sollicitant en permanence l’IT.
  • Le partenaire a tendance à peser dans la négociation de tout son poids au prétexte qu’il achète du volume, alors qu’en pratique cela ne permet pas forcément d’optimiser : opérationnellement, si le volume n’est pas suffisant pour peser sur le schéma logistique, on se retrouve in fine avec des courses qu’on ne peut pas regrouper ce qui se traduit simplement par des courses moins rentables pour le livreur, ou alors la plateforme doit subventionner. (Exemple : prenons une enseigne qui réalise 100K commandes/livraisons par an. Disons qu’environ 10% de ce volume est réalisé sur Paris -la logistique s’optimise géographiquement- soit 10K livraisons par an, cela fait 10K/252j=40 commandes par jour ouvré, à diviser à nouveau en plusieurs créneaux de livraison. In fine, un tel volume ne pèse pas réellement sur le schéma logistique).

Graphiquement, on pourrait synthétiser le panorama concurrentiel comme suit :

Ce panorama n’a pas la prétention d’être exhaustif, il manque différents opérateurs, mais nous avons préféré nous concentrer sur ceux qui, de notre point de vue, sont les plus proches de ce que nous cherchons à faire. Nous avons également choisi de ne pas intégrer Amazon pour des raisons évidentes de comparabilité.

Vous pouvez répéter la question ?

Finalement, quelle que soit l’approche qu’on utilise pour modéliser le marché et ses enjeux, le constat reste inchangé et brutal : les plateformes organisent plus ou moins mécaniquement des services de courses performants, mais dont le coût de production reste trop élevé pour le marché de la livraison de masse (la livraison e-commerce). Rentrons dans les chiffres.

Aujourd’hui, un e-commerçant de grande ampleur (c’est-à-dire qui appartient à 20% d’opérateurs générant 80% des commandes) paie entre 3,5 et 5 euros pour une livraison standard (J+2 à J+4, avec suivi, sans signature). Le transporteur crée de la valeur dès lors qu’il massifie. Le coût d’une livraison au départ d’un entrepôt, qui s’intègre dans un tout peut descendre très bas, tandis que le dernier kilomètre coûte très cher, autour de 2 euros par colis reversé aux sous-traitants (et les tournées sont compactes). C’est le groupage qui permet de faire descendre le prix.

Mais tous les nouveaux services créés à travers une plateforme reposent sur des schémas de matching unitaire (un coursier pour une course et une seule) et donc une économie différente. Faisons le calcul pour une livraison de type ship-from-store en H+X dont les caractéristiques sont les suivantes :

  • Distance vers le magasin 1 km
  • Retrait de la commande dans un point de vente
  • Parcours sur une distance de de 2,5 km
  • Livraison au Client,
  • Sur un créneau de 2 heures.

Ce qui donne le process suivant côté plateforme :

1. Identification d’un coursier disponible (ce qui peut être instantané si on est dans un système de push, mais encore faut-il qu’il y ait un coursier disponible, c’est-à-dire qui ne livre pas à ce moment-là)

2. Le coursier doit ensuite se rendre au point de retrait : distance 1 km = vitesse 20 km/h (vitesse de moyenne de circulation à vélo constaté dans la capitale) = 3 minutes, et accrocher son vélo.

3. Retrait du colis - cette étape peut prendre du temps (1 à 5 minutes en moyenne) : il faut effectuer la procédure de retrait qui marque le transfert de responsabilité, et surtout, il faut une personne disponible en magasin pour s’occuper du coursier lequel ne bénéficie que rarement d’un coupe file.

4. Il parcourt 2,5 km soit 7,5 minutes

5. Remise du colis 3 minutes (Attacher son vélo, monter à l’étage, signature, puis redescendre et repartir).

6. Total = 3 + 5 + 7,5 + 5 = 18,5 minutes.

7. Pour une rémunération horaire de 12 euros bruts = 3,7 euros, soit déjà quasiment 2 fois le coût du dernier kilomètre traditionnel reversé aux sous-traitants.

Et ça, c’est dans l’hypothèse où la plateforme arriverait à trouver des coursiers qui acceptent de shifter pour 12 euros de chiffres d’affaires de l’heure (dans notre expérience il faut plutôt se situer autour de 15 euros de CA équivalent horaire pour fixer la flotte). Et c’est un scénario qui n’intègre aucun aléa, et qui parvient à avoir une allocation 100% optimale (notamment 100% de taux de d’occupation des coursiers). On se dit qu’il y a un modèle, à terme, peut-être, en théorie. Mais comment y parvenir ?

Comme au départ, il est plus facile de subventionner des coursiers que des commandes, les deltech se sont engouffrées dans la voie précédemment tracée par la foodtech. Voici comment elles ont fonctionné : elles ont proposé aux coursiers du Chiffre d’Affaires Garanti (CAG), un matelas de rémunération assuré quel que soit le nombre de courses effectivement réalisées sur un créneau donné. Nous sommes passés par là de manière extrêmement brève, car cela nécessite beaucoup de cash. Puis progressivement, une fois la flotte constituée, on finit par variabiliser totalement la rémunération du coursier. C’est là que le lien direct entre ce que sont prêts à payer les consommateurs et les conditions de travail des coursiers apparaît. Attention, je ne suis pas en train de dire que les consommateurs veulent « exploiter » les coursiers ! En revanche, quand ils sont dans une démarche d’achat, la prise en compte des aspects sociétaux n’est plus un facteur déterminant (ou alors à la marge). Guère plus que les aspects environnementaux. Qui accepterait de payer sa livraison deux fois plus cher parce qu’elle serait écologique ou responsable ? La willingness to pay ne prend pas en compte ces aspects aujourd’hui.

Et puis le vrai problème, c’est que les plateformes ne sont pas encore suffisamment liquides, de telle sorte que l’équilibre entre l’offre et la demande n’est pas assuré. En conséquence, le prix payé au coursier est en fait plus proche de 5 euros pour une course.

Difficultés supplémentaires

Mais au-delà du seul aspect économique (à supposer que ce ne soit pas la pierre angulaire du marché), la livraison « instantanée », express / urgente / immédiate nécessite de dépasser certaines difficultés opérationnelles :

A. Les systèmes d’information des Bric et Mortar (les enseignes disposant de réseaux de distribution physique et d’un site web) ne sont pas encore prêts à réaliser ce genre de prestation (c’est une opportunité pour tous les opérateurs de l’omnical tels que Proximis, Socloz, ou Octipas). Ils avancent tous, mais chacun à son rythme car ces opérateurs sont dans une période de transformation globale et ont donc déjà un planning de développement très chargé.

B. Les pure players (enseignes qui n’existent qu’en ligne), qui sont les premiers intéressés par ce genre de service (toujours en quête de différenciation d’une part, et qui voudraient pouvoir faire comme le leader d’autre part) n’ont pas de réseaux de proximité sur lequel s’appuyer pour avancer (ils travaillent efficacement avec les points relais, mais ces derniers ne peuvent être utilisés comme de simples entrepôts, ce n’est pas le modèle). Alors que les e-commerçants sont les plus à même de se positionner sur ce créneau (continuité de l’expérience client, technologie au cœur de l’activité dès le départ), la barrière financière à la constitution d’un réseau les prive pour le moment de cette opportunité (sauf à faire des acquisitions). Seul Amazon a été capable de prendre des entrepôts dédiés près des villes (et dispose à lui seul d’un volume supérieur à ceux massifiés par un transporteur), avec un P&L dont on se doute qu’il n’est pas encore profitable. En témoigne la hausse des frais des ports sur Prime Now (la livraison gratuite est passée de 20 à 40 euros). La rentabilité attendra, on parle d’Amazon.

C. L’usage au sein des enseignes : on constate parfois des réticences chez les personnels concernés chez les retailers. En effet, beaucoup de salariés se voient (à raison) comme des conseillers de ventes et non comme des préparateurs de commandes. Il faut non seulement concevoir des procédures magasins adaptées au parcours client, mais il faut également trouver une façon d’engager les ambassadeurs de ces nouveaux services que sont les personnels des points de vente. Il faut accompagner le changement.

D. L’usage client : par exemple pour les courses alimentaires, nombreux sont encore les destinataires préférant choisir en points de vente plutôt que sur Internet parce que les offres ne sont pas encore comparables. En témoigne la décision d’Amazon aux US de se recentrer sur certaines zones urbaines où la densité permet d’atteindre un meilleur équilibre économique (https://www.lsa-conso.fr/amazon-fresh-suspend-son-service-dans-plusieurs-zones-des-etats-unis,271102). S’il y a trop peu de commandes dans une zone donnée, on a finalement un problème de …

E. … coût.

Et la boucle est bouclée, on en revient à la question du coût. Aucun consommateur n’est disposé à payer le véritable prix de ce que coûte à produire une livraison, encore moins quand il s’agit d’une course qui prise isolément sera mécaniquement coûteuse. Il suffit de voir quel est l’impact sur la transformation de la livraison gratuite vs la livraison payante dans le tunnel d’un e-commerçant pour s’en convaincre. On le sait, les clients vont systématiquement chercher la solution la moins chère, voire modifier leur comportement d’achat pour bénéficier de la livraison offerte.

Mieux faire avant de faire plus vite

Aucun de ces nouveaux modèles ne s’est encore imposé comme la nouvelle norme du marché. On trouve des initiatives, on voit des projets plus avancés que d’autres, mais aucun ne semble avoir réalisé de percée décisive. Où sont donc ces hordes de coursiers qui devaient déferler sur nos villes pour résoudre le problème de la livraison de colis ? Elles restent peu visibles pour une raison très simple, c’est que les plateformes ont créé des services performants, mais trop chers, en conséquence de quoi, ils sont difficiles à vendre. Pourquoi un e-commerçant développerait-il un module de course alors que sa part de marché sera de moins de 1% ?

Parce que disrupter le marché de la course et celui de la livraison, ce sont deux choses bien différentes. Dans la promesse de l’uberisation/désintermédiation, on trouve l’ambition de redessiner les contours du marché en agissant à la fois sur l’offre et à la fois sur la demande. Un secteur donné se trouve alors disrupté car sans s’en rendre compte, ce marché primaire se trouve inclus dans un nouveau marché, secondaire, plus grand dont les codes sont différents (et souvent digitaux). En permettant à tout le monde de commander un chauffeur facilement, Uber a fait grossir le marché (réservé auparavant aux personnes qui s’échangeaient de précieux codes des taxis G7) en n’agissant que partiellement sur le prix (un UberX ne coûte pas moins cher qu’un taxi, en revanche, il est plus facile à commander et affiche un tarif prévisible).

La plateformisation du marché de la livraison doit elle aussi permettre de le modifier pour apporter quelque chose de plus : une meilleure performance, une meilleure expérience, faire sauter un verrou et rendre accessible un service précédemment inaccessible, soit au même prix, soit à un prix que les clients consentent à payer (parce qu’ils perçoivent la valeur créée et qu’ils sont prêts à la financer, ce qui dans le cas de la livraison n’est pas aisé). Aujourd’hui, il semble que le marché ne soit pas en attente d’une offre hyper premium (en tout cas, il n’est pas prêt à la financer). Il semble qu’il soit tout simplement à la recherche de qualité.

C’est la raison pour laquelle, il nous semble qu’aujourd’hui, la technologie et le crowdsourcing doivent permettre de moderniser l’expérience de livraison, et doivent d’abord permettre de digitaliser l’organisation des tournées et l’expérience utilisateur. La digitalisation ouvre la voie à de nouvelles formes d’organisation. Puis dans un second temps, une fois que la technologie et l’organisation auront subi une première transformation, il sera possible de penser à des services toujours plus innovants.

La feuille de route

Concrètement, l’objectif doit d’abord être d’apporter plus de performance, plus de souplesse à l’organisation logistique, plus de contrôle pour le client. Il faut faire du partage d’informations avec le client la pierre angulaire de l’expérience client, mais il faut également rendre ces échanges d’informations productifs, générateurs d’interactions et d’améliorations pour toute la chaine. Bref, il faut commencer par construire une chaine logistique vivante, dynamique et interactive.

Et tout cela, à coût constant. En résumé, cela doit permettre de :

1. (Objectivement) Réduire/Supprimer les incidents de livraisons.

2. (Subjectivement) Améliorer globalement l’expérience client.

3. Lancer des nouveaux services qui capitaliseront déjà sur les gains réalisés en 1 et 2.

Comment ? En utilisant la plateforme comme un véritable outil qui permet de créer des rapports transactionnels, de véritables interactions. Elle doit être une boîte à outils réactive et offrir de nouvelles fonctionnalités. Chez Tousfacteurs, nous avons placé le client au centre de l’expérience et nous nous sommes demandé comment concevoir une interface qui pourra assister les destinataires afin d’éviter les échecs de livraison. Dès lors, voici ce que nous proposons :

1. Nous permettons au client de piloter sa livraison, il peut effectivement prendre la main dessus. Possibilité de reprogrammer tout seul, à son initiative et sans contacter le e-commerçant, en interagissant directement avec la plateforme. Le client doit pouvoir adapter la livraison à ses contraintes, c’est ça son besoin. C’est l’une des fonctionnalités que nous avons mise en place et elle a prouvé son efficacité : lorsqu’un client reprogramme seul sa livraison, nous enregistrons un taux de remise supérieur à 98%.

2. On ne peut pas faire de la livraison véritablement customer centric sans connecter le livreur au client. Il faut transférer (en partie) la gestion de la relation client au transporteur. De la sorte, le service dédié peut intervenir en temps réel, ce qui permet de résoudre les problèmes au moment où ils se produisent, ce qui évite la perte d’information et la mise en œuvre de chaines de responsabilité qui entraine du travail supplémentaire et une perte de qualité perçue auprès des clients.

3. Piloter la qualité en faisant du coursier une arme de satisfaction décisive. Le coursier doit être responsabilisé et évalué par les utilisateurs. A quoi bon livrer en temps et en heure si c’est pour avoir à faire à quelqu’un de désagréable ? L’évaluation du prestataire, sans téléchargement d’application, par le destinataire est une fonctionnalité décisive dans le pilotage de l’expérience utilisateur, car n’oublions pas qu’il s’agit du dernier point de contact entre le client et l’enseigne auprès de laquelle il a commandé.

Commencer par le début et pas par la fin

Chez Tousfacteurs, nous pensons qu’il faut d’abord repenser les tournées de livraison, parce que sans tournée, il n’y a pas de modèle économique. Parce que concevoir des services épatants pour les clients, mais à un prix que personne ne souhaite financer, c’est la course assurée vers l’échec. Il faut donc rester sur un modèle de tournées.

Pour autant, il faut apporter une réponse ambitieuse aux nouvelles attentes des consommateurs qui ne se satisfont plus des créneaux de « 9h à 18h ». La voix de la raison selon Tousfacteurs c’est de programmer des livraisons de J0 à J+2 sur des créneaux de 2 heures (puis plus tard, dans un second temps, d’1 heure) avec une transparence de l’information qui permet au dernier moment de préciser le tir avec une fenêtre réduite à 30’, une fois que l’organisation logistique est active. Côté client cela permet d’offrir une expérience alliant souplesse et finesse. Côté métier, ce type de service permet en effet de créer du groupage, mission centrale de la technologie : mettre en relation des destinataires et des livreurs et favoriser une harmonisation globale du dispositif permettant de faire descendre le coût unitaire d’une livraison car elle s’inscrit alors dans une tournée. Cela permet d’atteindre un équilibre satisfaisant entre la demande légitime des consommateurs de payer le juste prix, et celle tout aussi légitime des coursiers d’avoir une juste rémunération.

Côté opérations, cela implique néanmoins de changer l’organisation. Chez Tousfacteurs, nous avons fait le choix de créer des « hub de massification dans les villes », petites surfaces logistiques qui permettent de faire du cross docking : les colis sont mis en livraison entre 2h et 8h après avoir été réceptionnés, mais dans 95% des cas, ils ont été livrés le jour même.

Ces hubs avancés ouvrent la voie à une nouvelle génération d’organisation logistique :

  • Plutôt que de confier des tournées de 55 à 120 stops à des véhicules polluants et sensibles au trafic, nous organisons des tournées de livraison à vélo, de 13 à 20 stops, ce qui permet de donner un créneau raisonnable au client, une mission réalisable aux coursiers, et tout ça, en livrant propre.
  • Cela permet aux coursiers de réaliser plusieurs tournées dans la journée, ils en réalisent une, reviennent au hub, et repartent. Conséquence, un client peut reprogrammer librement sa livraison car la rotation des colis est optimale.
  • Cela permet, en partenariat avec certains retailers, en se pluggant sur la chaine d’approvisionnement des magasins, de raisonner en coût marginal pour l’approvisionnement du hub, c’est ça selon nous l’avenir du ship from store.
  • Cela permet, en s’appuyant également sur le crowdsourcing de proposer des services innovants comme la livraison en soirée (notamment pour la livraison J0 afin de recréer du groupage) voire le we ! La livraison en soirée présente un avantage majeur : elle permet d’organiser une livraison au moment où les clients sont disponibles pour recevoir leur colis, ce qui permet d’atteindre plus de 97% de remise sur première tentative, et réduit le sentiment d’attente (car les clients n’ont pas consacré un temps utile à attendre une livraison).

Et tout cela n’est qu’un début ! Il faut penser à des unités de stockages mobiles, à des nouveaux modes de distributions, à des points de stockage éphémères. Nous travaillons en parallèle sur tous ces sujets et nous avons déjà identifié de nombreux gisements d’amélioration. Cela étant, nous n’y arriverons que si nous nous appliquons à respecter une seule règle : partir du client pour lui proposer des services dont il a vraiment besoin et dont la valeur créée sera suffisamment perçue par le marché pour devenir une réalité.

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Benjamin Levine
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Written by Benjamin Levine

Entrepreneur @ Tousfacteurs & Strategy professor @ HEC

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