Récit médiatique : le cadrage d’un événement entre le risque du trop simple et du trop complexe

--

Les récents événements d’Ottawa ont fait revenir en France l’image du “loup solitaire”. C’est-à-dire l’image du terroriste autoradicalisé qui agit seul. Et cette image nous en dit long sur la manière dont le récit d’un événement passe par des figures médiatiques déjà partagées qui ne doivent ni s’imposer aux faits ni rester trop vagues et se trouver incapables de les rendre compréhensibles.

Donner du sens à l’événement

Lorsqu’un événement intervient dans notre quotidien, c’est le rôle des médias de le rendre, le plus rapidement possible, compréhensible. Il s’agit pour eux d’en fixer le sens, les enjeux, la signification et les implications qu’il peut avoir sur nos vies et nos sociétés.

Les médias se trouvent alors entre plusieurs difficultés : l’urgence d’abord, urgence qui est liée à la concurrence notamment entre les médias information continue et médias numériques qui n’ont plus besoin d’attendre 20h pour toucher leur public. L’incertitude ensuite, puisque les faits ne se dévoilent qu’au fur et à mesure et que les journalistes sont alors plongés dans l’attente qu’ils doivent essayer de faire vivre au téléspectateur/internaute/lecteur.

C’est dans ces moments-là que se définit le cadrage de l’événement, la mise en place de que Daniel Dayan appelle la monstration et que, par extension, on pourrait appeler récit car c’est ce cadrage, cette interprétation, qui va donner les limites du désordre à résoudre, les valeurs qui sont en jeu et donc, la vision et l’agir collectif qu’un groupe va se donner, à travers les médias, sur cet événement.

Coller une référence…

Pour atteindre cette interprétation, au fur et à mesure que les événements se dévoilent si tout va bien, les journalistes vont devoir utiliser des références mémorielles partagées par le plus grand nombre. Ces références, ces cadres prédéfinis, rendent l’événement rapidement compréhensible pour le public.

C’est de cette façon que l’on voit régulièrement surgir de nouveaux Munich, Stalingrad, Vietnam ou même Watergate… C’est que ces références, en se collant à l’événement, en définissent les enjeux et les acteurs.

Ainsi, Munich, c’est l’histoire d’une lâcheté qui coûte cher ; Stalingrad, celle d’une ville martyre mais annonce le début de la victoire ; le Vietnam, le symbole de la sale guerre, du bourbier qui dure sans que l’on puisse s’en tirer ; et le Watergate, l’incarnation d’un scandale politique qui, par le travail d’investigation des journalistes, peut mener à une déstabilisation de fond du pouvoir en place.

Avec les attentats d’Ottawa, après une période de sidération, c’est la référence du “Loup solitaire” que l’on ait venu utiliser pour comprendre ce qui se passait. Image du “Loup solitaire” qui s’est construite progressivement depuis 2012 avec les attentats de Mohammed Merah, du marathon de Boston et de Medhi Nemmouche. Et qui est celle du terroriste isolé, autoradicalisé, qui lance son action seul. C’est-à-dire que, puisqu’il n’a aucun réseau, son arrestation ou sa mort marqueront la fin des événements ; la fin de la narration car le désordre intervenu dans le quotidien sera ainsi résolu.

Tout en gérant la complexité

Une référence qui permet donc de comprendre rapidement de quoi il retourne, quels sont les enjeux, où et quand l’histoire débute et se termine. Elle fixe rapidement le cadrage de l’événement qui vient de se dérouler.

Mais, il y a bien-sûr un risque. Celui de coller un cadre qui, certes permet de comprendre l’événement en le faisant correspondre à des événements connus, mais un cadre qui coupe ce qui dépasse et ne tient pas compte des faits.

À la manière de Procuste, ce fils de Poséidon qui offrait l’hospitalité aux voyageurs mais qui, une fois qu’ils étaient au lit, les y attachait pour couper tout ce qui dépassait.

Le cadre doit donc tenir compte de l’événement, de la complexité qu’il ne doit pas réduire. Pour cela : il faut éviter que le cadrage n’intervienne trop tôt ; et permettre que la référence, elle-même, soit modifiée par ce nouvel événement qu’elle intègre.

C’est ainsi que l’on va voir si l’image du “Loup solitaire” va changer après les attentats d’Ottawa. En effet, de nouveaux éléments peuvent s’ajouter à la référence : les maladies mentales ; la dépendance à la drogue et, même les échecs du système social qui laisse dériver les plus fragiles vers l’extrémisme (Pauvre Michael Zehaf Bibeau — Huffington post).

Autant de faits spécifiques aux attentats d’Ottawa, et dont il faudra voir si ils influent sur l’image du “Loup solitaire” à long terme, si ils la font travailler pour en faire changer le sens.

Entre le trop simple et le trop complexe

L’utilisation des références dans le récit médiatique évolue donc entre le trop simple et le trop complexe.

Le trop simple, c’est le moment Procuste, celui où l’on tente de faire tenir l’événement dans un cadre préexistant sans tenir compte de ses spécificités. L’événement est certes parfaitement compréhensible mais le récit ne permet pas de comprendre ce qui s’est réellement passé puisqu’il élude une partie des faits.

Le trop complexe, c’est le récit médiatique qui se déploie sans référence et, qui ne trouvant pas d’accroche dans la mémoire collectives, devient incompréhensible et dont on se désintéresse.

Entre les deux, se trouve donc un récit médiatique qui, tout en utilisant des références mémorielles, laisse à chaque événement ses spécificités ; qui laisse leurs pieds et leurs mains dépasser du lit sans pour autant les couper. Un récit qui fait également vivre la référence mémorielle en la faisant évoluer chaque fois qu’il la convoque. Ce qui Ricoeur appelait, dans La Métaphore Vive, le gain qualitatif.

--

--

Benjamin Berut
Storytelling : théorie et mise en oeuvre

Le #web, les nouveaux #médias, le #storytelling #mooc et le #gamedesign aussi et, ah, aussi le #jdr