Storytelling (I) : avant tout, la narration ce n’est que la résolution d’un désordre

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Une narration ne commence et ne prend son sens que grâce à un désordre qui intervient dans un quotidien.

Il était une fois quelque chose qui dérangeait le quotidien

En disant ça on a tout dit sur ce qu’est la narration. On n’a plus qu’à dérouler toutes les constructions internes du récit et tous les rôles qu’il peut jouer dans la définition d’un groupe et la capacité de ses membres d’agir ensemble.

Tous ceux qui pensent que le fait de raconter une histoire dépasse les frontières de la fiction pour nous parler de la société, de ce qu’elle dit d’elle-même par les récits qu’elle répètent ; tous ces gens-là (dont je fais bien-sûr partie), s’appuient toujours sur Roland Barthes qui, en 1966, dans l’introduction de L’analyse structurale du récit, expliquait qu’il n’y a jamais eu et qu’il n’y aura jamais de société sans récit. A quoi on pourrait ajouter que l’inverse est aussi vrai, il n’y a jamais eu de récit sans société.

Mais pourquoi ? Pourquoi le récit, qu’il parle de faits réels ou fictifs, possède cette capacité à donner du sens aux événements et à la manière dont nous allons devoir réagir ? Et bien, justement parce qu’il met en exergue un désordre à résoudre. Quelque chose dont il va falloir trouver la solution.

Trois étapes, mais seulement la deuxième est importante

La structure d’un récit contient toujours 3 étapes: l’avant, le pendant et l’après. On pourra vous dire qu’il y en a 5, mais en fait on peut fusionner les étapes 2, 3 et 4 (l’événement déclencheur, l’action et la résolution) en une seule.

Tout récit commence donc par un quotidien (Il était une fois un royaume éloigné où vivait un roi, sa reine, et la princesse sa fille) ; quotidien qui n’est ni bon ni mauvais, il a la seule caractéristique d’être marqué par le temps qui passe sans le perturber. Chacun et chaque chose y a sa place sans que cela soit jamais remis en cause (Et dans ce royaume vivait Pierre, un orphelin qui travaillait comme fermier). Bref, ce n’est pas forcément que les choses vont bien, mais simplement que rien ne les remet en cause.

C’est à ce moment qu’intervient le désordre, ou l’événement déclencheur. Ce qui le définit comme important, c’est que cet événement remet en cause le quotidien. Soit parce qu’il est nouveau, soit parce qu’il est trop important pour être considéré comme une partie normale du quotidien (Mais un jour, un dragon arriva depuis les montagnes lointaines où il avait son château pour enlever la princesse).

Et voilà ce à quoi le récit va devoir répondre. Voilà ce qu’il va devoir résoudre. La narration va devoir raconter comment tout ce petit monde peut retourner à un nouveau quotidien. Si possible meilleur que le premier (Et Pierre, envoyé par le roi pour sauver la princesse, terrassa le dragon, épousa la princesse et devint le plus juste des rois).

Le storytelling, c’est un outil anthropologique

Alors, si nous racontons ce qui nous arrive, c’est simple. C’est pour définir ce qu’est un désordre et essayer de trouver un moyen de le résoudre. C’est à partir de ce désordre, de la position de chacun par rapport à lui que nous pouvons prendre position et donc agir. Définir qui fait partie de quel groupe et quel groupe va faire quoi.

Nous trouvons donc du sens en partageant, au sein d’un groupe, notre avis sur ce qui peut être défini ou non comme un désordre dans notre quotidien et ce qu’il convient de faire pour y remédier.

Il n’y a donc pas de société sans récit tout simplement parce que si nous voulons donner du sens aux choses il nous faut les raconter et échanger dessus. Se mettre d’accord pour dire ce qu’était notre quotidien, ce qui l’a changé et comment nous allons devoir faire pour y revenir, à ce cher quotidien, et, tant qu’à faire, le rendre meilleur.

C’est pour cela que c’est anthropologique. C’est parce que les récits d’un groupe nous en disent beaucoup sur son point de vue, ses valeurs ou encore les enjeux qu’il défend.

Commencez donc par trouver un désordre à résoudre

Pour commencer votre histoire, fictive ou non, que ce soit pour créer l’adhésion autour de votre marque ou écrire un conte pour enfant, il va donc falloir commencer par définir ce désordre et le quotidien qu’il est venu modifier.

Sans cela, les gens ne pourront pas identifier que vous êtes en train de leur raconter une histoire, et ne sauront pas vraiment où vous voulez en venir ou ce qu’il faut suivre et/ou comprendre. Car ils ne comprendront pas la question que votre récit va devoir résoudre.

Après, bien-sûr, ça va devenir beaucoup plus complexe. Il va y avoir les faux désordres, les désordres imbriqués les uns dans les autres, les désordres qui précédent le début de la narration…

Et puis, le désordre ce n’est pas tout loin de là, il va aussi falloir voir comment les récits sont des systèmes à illustrer des valeurs… Mais ça c’est Storytelling (II).

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Benjamin Berut
Storytelling : théorie et mise en oeuvre

Le #web, les nouveaux #médias, le #storytelling #mooc et le #gamedesign aussi et, ah, aussi le #jdr