Benoit Raphael
5 min readFeb 8, 2016

A 20 ans, Martin Besson a créé un média pour aider ceux dont on ne parle jamais

Il a une coupe de cheveux impossible, il parle beaucoup avec beaucoup d’assurance, ce qui pourrait en agacer certains. Mais à 20 ans, Martin Besson (qui en fait à peine 17), a déjà fait beaucoup plus que la plupart des gens de son âge. Il avance aussi vite qu’il parle, et ça force un peu le respect.

En fait, plus il me raconte ce qu’il fait, les gens qu’il a rassemblés, plus je passe de l’écoute bienveillante à un “ah bon?”, puis un “ah oui quand même”. Je hausse un sourcil, et à la fin j’ouvre de grands yeux.

Passé le flot d’idées et de convictions déversées, je vois ce qu’il a déjà construit. Je suis impressionné. Par cette énergie et ce pouvoir pouvoir extraordinaire que confèrent la capacité de rêver, rêver malgré tout, et celle de faire quelque chose qui a du sens.

Jean-Marie, qui a pu rencontrer Jean-Louis… Debré (photo : Simon Lambert) — Serge (photo : Benjamin Filarski)

Martin a créé “Sans_A” un média qui parle et fait parler ceux qui ont tout perdu. Les SDF, les sans-abris, les réfugies. Qu’on croise trop souvent dans la rue en se disant que c’est fini pour eux, comme s’ils n’existaient déjà plus. Sans_A raconte leur histoire. Fait tomber pas mal d’idées reçues. Parmi ces gens là, il y en a encore qui ont la rage, il y en a encore qui se battent. Il y a en beaucoup pour qui, un simple geste, un simple coup de main, pourrait peut-être changer leur vie.

Sans_A, comme “sans abri, sans argent, sans affection, sans avenir…”, “mais avec une histoire”, précise Martin aussitôt. Comme si ce “mais avec” était déjà le début de la suite. De l’action.

Sans_A c’est un média sur Internet, au design élégant, aux textes qui prennent le temps de s’arrêter, de raconter. Et de très belles photos qui rendent ces gens beaux malgré l’incroyable sauvagerie du monde. Sans_A est produit par une équipe dématérialisée, les conférences de rédaction se font par skype, ou slack, d’un peu partout en France. Des journalistes (dont Laurianne, la rédac-chef), certains sont déjà professionnels, ils viennent filer un coup de main pour un projet qui fait sens. Il y a aussi des photographes, des développeurs, des designers, des start-upers. Personne ne se paie. Pour l’instant, on se paie en générosité. C’est une denrée rare.

Quelques mois après son lancement, on va dire 6 mois pour le vrai démarrage, sans_A rencontre un certain succès. Pas loin d’une centaine de contenus produits. Sur le site, encore peu de visites (5000), mais sur la page Facebook, il y a déjà 9000 abonnés. Un peu moins sur Twitter (1400). Mais un taux de partage supérieur à la moyenne.

Martin n’a pas envie de s’arrêter là. Dans sa tête, les idées se bousculent, mais ne l’empêchent pas d’agir. En mars, il lancera une plateforme de crowdfunding, qui permettra de financer les portraits : avec de l’argent, mais aussi de l’aide matérielle : un hébergement pour le journaliste, un billet de train, un appareil photo, un local…

Ce n’est pas seulement un projet généreux, c’est un projet moderne : un média qui organise et catalyse grâce au web les forces de ceux qui peuvent apporter une contribution, même petite. Un média qui vient au bon moment, qui répond à ce besoin que nous avons tous, aujourd’hui, de dépasser le stade de l’information pour commencer à agir. Un média qui dit et qui fait, ou qui pousse à l’action.

C’est du journalisme d’impact qui ne s’arrêterait pas à la seule description du réel. Qui tend à fédérer pour faire bouger les choses. Et pour faire bouger les choses, rien de mieux qu’une histoire : pour inspirer, pour faire prendre conscience, pour faire de l’information une aventure.

Je demande à Martin s’il a une formation de journaliste. Il sourit. Il est passé par une école, mais l’a quittée au bout d’un an parce qu’il avait envie d’agir. “Je voulais faire quelque chose qui a du sens”. Pas seulement être journaliste. “D’ailleurs je me considère plus comme un entrepreneur qui fait du journalisme, et qui veut agir”. Aider le monde à aller mieux. Conception moderne de l’entreprise de demain. Il faut des licornes françaises, oui, mais aussi des entreprises qui soient utiles. Plus solidaires, plus ingénieuses, plus inclusives.

En 2013 Martin rêve de créer une sorte de Tinder qui mettrait en relation les gens de la rue et ceux qui veulent aider mais n’osent pas ou ne savent pas. Il abandonne l’idée (depuis, d’autres ont réalisé ce rêve).

Martin Besson, 20 ans, fondateur de Sans_A

“J’ai voulu comprendre ce que vivaient ceux qui avaient tout perdu”. Alors il décide de se transformer, pendant une semaine, en sans-abri. “J’ai tenu une journée”. On lui a vite fait comprendre que pour un garçon de son âge, dormir dehors c’était beaucoup trop dangereux.

Mais en une journée, il a pu ressentir la douleur de ne plus exister, d’être enfermé dans ce miroir sans tain. Le lendemain, il est convaincu : “ces gens ont besoin de visibilité”.

En 2014,il crée sans_A, une association caritative qui part à la rencontre des sans-abris. En 2015, il transforme l’association en média. 15 journalistes, 20 photographes le suivent. 1 à 2 articles long format par semaine. De la qualité pour parler des “sans qualité”, qui en ont beaucoup plus qu’on ne l’imagine.

Ahmed, sans-papiers, sous la tente (photo : Martin Varret) — Emmanuelle sans bras ni jambes, mais qui sait rouler des pétards (Valentina Camus)

Aujourd’hui, Sans_A est à la croisée des chemins. Le média raconte. Maintenant il faut aider. Faire bouger les choses. Ça commence par des financements.

Et ça commence déjà avec vous, par ce petit geste tout simple : voter pour que ce beau projet soit sélectionné par la Fabrique Aviva et reçoive une dotation.

La suite, elle est à inventer. Mais l’imagination ne manque pas.

(Ah oui, et puis Spicee,média que j’adore, a réalisé un joli reportage sur lui, à voir ici après vous être abonné)

Benoit Raphael

AI & Media innovator. Entrepreneur. Creator of Le Lab (Europe 1) , Le Plus (l’Obs), Le Post (Le Monde). Chief Robot Officer at Flint.