Elle apprend son métier à un robot pour qu’il puisse la remplacer

Si les robots deviennent plus efficaces, qu’allons-nous devenir ?

Benoit Raphael
La bibliothèque des robots
5 min readMay 17, 2017

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Leila, éleveuse de robots, lors du Talk Prosodie CapGemini, mardi 16 mai, en compagnie de Jérome Chavoix, directeur business France de Prosodie.

Journal d’un éleveur de robots — épisode 6.

Hier soir, j’ai fait la rencontre d’une éleveuse de chatbots. Instant vertige. C’est pas un métier encore très répandu éleveur de robots. Même s’il va y en avoir de plus en plus. On était un peu comme deux extra-terrestres qui viennent de débarquer sur une autre planète remplie à 99,9% de non-éleveurs de robots. C’est un peu bizarre comme impression.

Mais ce qui m’a le plus marqué, c’est autre chose.

Voyez-vous, Leila vient d’un secteur très différent du mien. Leila est une ancienne opératrice call-center dans un service client. Elle travaille chez Prosodie CapGemini, une boîte assez étonnante qui est derrière la plupart des services automatiques qui vous demandent de taper 1 pour déclarer un sinistre et de taper 2 quand vous n’êtes pas content.

Avant, Leila pilotait des opératrices téléphone. Aujourd’hui elle entraîne un robot qui, demain, va la remplacer.

Pour que vous comprenez bien, il faut que je vous explique rapidement comment fonctionne une intelligence artificielle. A la différence d’un programme, qui est programmé donc, l’IA s’invente ses propres critères. En gros, pour lui expliquer ce qu’est un chat, vous ne lui donnez pas de critères : taille des moustaches, oreilles avec des poils au bout, propension à faire des trucs rigolos avec des cartons tout ça. Non, vous lui montrez des centaines, des milliers de photos de chats en lui disant “voici un chat”, et l’IA finit par élaborer, grâce au machine learning et ce qu’on appelle les réseaux de neurones, son propre système de critères pour reconnaître un chat. C’est d’ailleurs ce qui lui permet d’être plus “créatif”, si j’ose dire. Il ne suit pas une règle pré-établie.

Bref.

Tout ça pour dire qu’il faut un entraîneur. C’est ce que je fais tous les jours avec Flint : je montre aux robots des tas d’articles de qualité pour qu’ils définissent eux -mêmes la qualité.

Le robot Flint, à l’entrainement…

Leila, elle, apprend à son robot à comprendre ce que disent les clients pour qu’ils puissent apporter la bonne réponse. Elle prend donc le relais dans les services clients par téléphone, quand le robot est perdu. Vous savez, ce moment où le robot vous dit “je n’ai pas compris Benoît”…

Ensuite, en fonction de la réponse qu’elle a apportée, elle fait un feedback au robot qui va associer les mots ou la phrase clé à un type de requête. C’est un peu plus long et complexe que ça, mais c’est l’idée.

Au fur et à mesure, l’intelligence artificielle finit par comprendre de plus en plus de mots et de plus en plus de phrases. Et pourra apporter la réponse adéquate.

En gros, Leila apprend à son robot à être plus empathique, fonction traditionnellement réservée aux humains.

Le robot de Leila n’a pas de nom. C’est une machine, un gros cube avec des cables et des lumières qui clignotent. Il n’a pas de nom. Enfin, si, il a un nom fait de chiffres et de lettres. Anonyme. Il y a même en fait plusieurs machines, mais quand on apprend un truc à l’une d’entre-elles, toutes les autres l’enregistrent. L’IA est un insecte.

Du coup, j’ai demandé à Leila : “Mais alors, si je comprends bien, vous entraînez votre robot pour que, demain, il puisse devenir opératrice à votre place ?”

Elle a eu un petit moment d’hésitation, puis elle m’a dit : “Oui, c’est vrai, je ne l’avais pas vu comme ça… mais maintenant moi je suis éleveuse de robots.”

Vertige, donc. J’avais en face de moi la personnification d’un des bouleversements sociétaux à venir les plus importants de ces prochaines années.

Avant, on parlait de la génération Y ou Z. Demain, on parlera de la génération R : la génération qui vient. La génération robot.

La question n’est pas de savoir si, demain, l’IA sera plus efficace qu’un humain pour répondre et comprendre un client. Elle le sera. Elle saura reconnaître l’émotion dans la voix, elle saura ce que le client a commandé, les problèmes qu’il a rencontrés, elle saura aussi anticiper et prédire ce qu’il va demander ou ce dont il a vraiment besoin.

La question, c’est : et nous dans tous ça ? Peut-être qu’on aura toujours besoin des humains pour créer de l’humain justement. Mais peut-être ailleurs, là où on a vraiment besoin de l’humain dans la relation client. Tout ça reste à inventer. Et il y a du boulot. On a tellement déshumanisé la relation client…

Les économistes s’écharpent pour savoir si l’IA détruira autant de métiers qu’elle en créera. On parle même de taxer les robots pour préparer la “fin du travail”.

Difficile à dire. Parce que même si l’Histoire nous enseigne que la destruction est créatrice, nous n’avons jamais été confrontés à un monde comme celui dans le quel nous vivons. Plus rien n’est prévisible. Donc je ne sais pas.

Mais ce que je sais, c’est que Leila a un nouveau métier. Et qu’il est plutôt cool.

Ce billet est le sixième épisode d’une série sur le projet «Flint», où je partage mon expérience et mes réflexions en tant qu’éleveur de robots.

Vous pouvez retrouver mes autres billets sur le sujet ici :

Épisode 1 (l’histoire du projet) : «Nos robots et nou

Épisode 2 (la fabrication du premier robot) : «Comment nous avons créé et éduqué Jeff, le robot média qui parle des médias»

Épisode 3 : “Le jour où les robots nous détruiront (ou pas)

Épisode 4: “Pourriez-vous tomber amoureux d’un robot?

Épisode 5: “Comment nous avons créé le Darkbot, le méchant robot qui explore le côté obscur de l’info

Vous pouvez vous abonner à Flint ici.

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Benoit Raphael
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AI & Media innovator. Entrepreneur. Creator of Le Lab (Europe 1) , Le Plus (l’Obs), Le Post (Le Monde). Chief Robot Officer at Flint.