Et si l’université de demain, c’était eux ?

Benoit Raphael
5 min readApr 7, 2016

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Je les ai rencontrés à l’occasion du challenge fablab de la fondation Orange. le challenge “Imake4mycity”. Cette année, j’étais membre du jury. Quand j’ai vu leur projet, je n’ai pas hésité à voter pour eux. Deux jours après, le soir de la cérémonie, j’ai pris le temps de discuter quelques minutes avec eux, tandis qu’ils tenaient fièrement leur trophée en poche (et les 15K€ offerts par la fondation). Ils ne sont pas connus. Ils sont super jeunes et très cool. Ils n’ont pas levé des millions dans la Silicon Valley. Ils ne gagnent même pas très bien leur vie. Mais ils sont joyeux. Et ce sont peut-être eux les vrais game-changers.

Ils, ce sont quatre jeunes Egyptiens, fondateurs du fablab du Caire. Ingénieurs, ingénieux surtout, informaticiens ou simplement bricoleurs, ils sont idéalistes avant d’être opportunistes. Google ne les embauchera jamais : leur innovation n’est pas technologique. Elle est généreuse. Ces quatre jeunes éduqués dans la violence du Caire ont inventé un kit pour permettre à tout le monde de créer son propre robot.

Vous allez me dire : ça sert à quoi de faire des robots rigolos ? Pourquoi les avoir choisis alors qu’en face d’eux il y avait des projets utiles, directement applicables, pour apporter de l’électricité en Afrique ou pour dépolluer les rivières ? Tous ces projets étaient géniaux, bien sûr, rafraichissants surtout. Ils apportaient des solutions à très faible coût à un monde en crise qui a bien besoin de l’énergie des ces bricoleurs parfois sans diplôme qu’on appelle les “Makers”.

Les lauréats du challenge fablab #Imake45mycity mercredi soir

Mais ce qui m’a touché dans ce projet, dans ce “Guru Project”, c’est qu’il porte d’abord un message. “Il ne s’agit pas juste de fabriquer des robots”, insiste Mahmoud Ayman, directeur technique du Fablab du Caire, dans un anglais impécable. “Notre objectif est de permettre à tout le monde de créer un robot”. Tout le monde ? Oui, même le gamin sans argent dans son village paumé en Inde.

Dans l’imaginaire collectif, le robot représente la technologie du futur. C’est Google avec ses robots ouvriers ou soldats, c’est la pointe de l’ingénierie française… ou japonaise.

Avec Guru Project, ce n’est pas l’intelligence artificielle qui définit l’avenir, mais l’intelligence collective.

On fabrique un robot avec des briques, comme avec un jeu de légo. C’est amusant. C’est communautaire. Les plans sont offerts au monde entier en open-source. Et chacun peut améliorer son robot et lui apporter quelque chose. L’innovation, le futur, ne se dessine pas dans l’excellence scientifique, à coups de millions et de grandes écoles, à coups de diplômés chanceux du MIT (qui est d’ailleurs à l’origine du concept de fablab), non, l’innovation se dessine dans la démarche.

“Ce qu’on veut, c’est pousser les gens à continuer à apprendre. Quand tu commence ton robot, tu a envie de l’améliorer, donc tu dois apprendre de nouvelles techniques pour qu’il soit plus perfectionné.” Et là Mahmoud dit quelque chose d’important : l’éducation, ce n’est pas une question de diplôme. L’université de demain, c’est d’abord monter des projets et apprendre en fabriquant.

La joyeuse équipe du Guru Project

“Notre objectif c’est dire à tout le monde qu’on tout fabriquer à partir du moment où on en a la volonté.” C’est révolutionnaire.

Omar Elsafty le (très) jeune patron du Fablab du Caire parle même de nouvelle “révolution industrielle”. La “révolutions des makers”, celle des bricoleurs, qui bousculent les élites et les champions de la Silicon Valley en inventant des solutions pour le futur sans avoir besoin de lever des millions.

Vous avez sans doute entendu parler de l’histoire d’Esteban, 17 ans, qui fabrique des robots Wall-E à partir d’éléments récupérés dans une décharge. Des robots rigolos, mais qui viennent aider les agriculteurs et les femmes au foyer dans leurs tâches quotidiennes. Vous avez dit inutile ?

La révolution, c’est de permettre à chacun de trouver ses propres solutions, c’est de donner ce pouvoir à tous, même ceux qui ne comprennent rien à l’informatique ou qui ont quitté l’école parce que leurs parents n’avaient aps assez d’argent. C’est pousser les humains à s’éduquer en fabriquant. Et en s’amusant.

Le projet du fablab du Caire, c’est aussi de créer une communauté mondiale qui s’enrichit mutuellement. C’est aussi de multiplier les fablabs dans ce pays détruit par un système obsolète.

C’est une autre révolution, dans cette Egypte que l’on connait surtout pour sa crise démocratique et économique. Qui a raté sa révolution politique. Mais dont certains jeunes se tiennent debout et se connectent au monde. Ils ne cherchent pas la fortune. Ils veulent changer le monde. Et les rapports de force.

Construire son propre robot, c’est donc se savoir en capacité d’inventer son propre futur. Il y a aussi une part de rêve et de jeu, qui aide à apprendre et à persévérer.

C’est le sens même de l’éducation, qui n’est pas une question de diplôme. Mais d’autonomisation, de foi en ses capacités infinies, et d’intelligence collective.

On ne parle pas assez des fablabs. On les range trop facilement dans la case des geeks. Ceux soutenus par la fondation Orange, mais pas seulement, essaient justement de toucher les sans diplômes, ceux qui n’ont pas eu la chance de naître dans la bonne ville, dans la bonne banlieue, dans la bonne famille.

Ils sont l’autre côté de l’innovation. J’ai lu que les start-ups allaient sauver le monde. Sans doute. Elles vont surtout gagner beaucoup d’argent. Et c’est très bien. Mais il y a un autre visage de l’innovation, qui participe aussi à améliorer le monde en redonnant à chacun le pouvoir de rêver et de faire. En disruptant le système qui vient. A mi-chemin entre la start-up et l’association. Financé par un idéal à défaut de séduire les business angels.

La France des solutions ce n’est pas seulement faire émerger les “licornes” de Macron, il en faut, ce n’est pas seulement remplacer les élites par d’autres, plus adaptées à l’entropie actuelle, c’est aussi cette vague joyeuse qui se donne le pouvoir d’inventer dans la violence de l’exclusion, quand toutes les portes se ferment.

Alors, en marche ? Oui, mais pas sans ces “jeunes” là…

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Benoit Raphael

AI & Media innovator. Entrepreneur. Creator of Le Lab (Europe 1) , Le Plus (l’Obs), Le Post (Le Monde). Chief Robot Officer at Flint.