Pourquoi continue-t-on de nous imposer des films en 3D alors que personne n’aime ça ?

Benoit Raphael
7 min readDec 23, 2016

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Il y avait longtemps que je n’avais pas été au cinéma, merci Netflix. J’avais presque oublié le parfum des popcorns et leur crounch monotone, presque oublié la fille d’1m80 avec son chignon qui cache la moitié de l’écran mais bon c’est pas de sa faute, ou le type qui ne sait plus ou mettre ses jambes à part dans mon dos, ou à côté de ma tête.

J’avais aussi oublié les lunettes 3D. Je pensais que ce bug technologique avait rejoint les oubliettes des grandes arnaques du cinéma avec la créature du lac noir et autres Jaws 3D. Mais non.

Depuis Netflix, je dois voir un film par an au cinéma, en général en décembre.

Donc si je fais le compte, depuis deux ans, je suis allé voir deux Star Wars.

J’ai un peu honte, mais avant de déménager j’habitais à 200 mètres du cinéma. Maintenant c’est plus loin. Et puis il y a Netflix.

Bref. Cette semaine je suis donc allé voir Star Wars : Rogue One.

Il était tard, j’étais content de revenir au cinéma, j’étais aussi un peu distrait, je ne me méfiais pas.

A l’entrée de la salle, il y avait un type louche qui portait un grand sac noir, rempli de lunettes 3D en plastique qu’il distribuait avec des sachets de lingettes désinfectantes comme on distribue de la drogue. L’air louche, donc. Pas super fier de lui. J’avais oublié les lunettes 3D.

Je ne vais pas m’étendre sur l’expérience. Vous l’avez tous vécue.

  1. Au début vous souriez et vous vous sentez stupide, mais tout le monde a l’air stupide avec ces lunettes donc ça va. C’est cool.
  2. Au bout de deux minutes vous vous dites : c’est quoi cette zone de flou au milieu de l’écran ?
  3. Et puis arrivent les premiers dialogues. Evidemment, si vous avez pris la séance en 3D ET en VOST, les sous-titres jaunes vous font loucher entre le devant de l’image (généralement un morceau de décor inutile qui donne un vague effet de profondeur), l’actrice principale entre les deux (qui louche aussi j’ai eu l’impression) et l’extra-terrestre rigolo au fond un peu flou.

Au bout d’une demi-heure, après avoir testé plusieurs positions de mes lunettes sur le nez (loin des yeux, collées au front, ah, non plus), essuyé trois fois les verres en plastique ce qui a eu pour effet d’étaler les traces de gras (popcorn), j’ai commencé à avoir mal au crâne.

Et là, alors que s’avançait Darth Vader, un peu flou au milieu donc, je me suis dit : “mais pourquoi ?”.

Pourquoi nous impose-t-on encore des films en 3D en 2016 alors que tout le monde déteste ça ?

J’ai donc essayé de trouver des explications sur Internet.

J’ai commencé par quelque chose du genre : “Hey Google, why do we still have 3D movies ?”

Je n’ai pas obtenu de réponse très documentée.

Alors j’ai tapé la même question avec le mot “study” et “report”. Et je suis finalement tombé sur deux études :

La première confirme que 54% des gens trouvent que ça leur donne la nausée.

Une autre étude menée sur les réseaux sociaux est plus perturbante: elle démontre que, en gros, avant de voir un film en 3D, les gens ont plutôt un avis positif. Mais que dès qu’ils en sortent, ils sont très énervés.

Donc je résume : avant de rentrer dans la salle, ils trouvent que la 3D c’est cool. Et quand ils sortent, ils trouvent ça nul.

On pourrait se dire que, statistiquement, au bout d’un moment, l’affluence dans les salles équipées devrait baisser. Mais non.

J’en conclus donc que les gens oublient. Que, après leur première visite négative, ils retournent quand même voir un film en 3D en se disant que c’est cool. Et qu’ils en sortent à nouveau avec des maux de tête. Mais qu’ils oublient après.

De fait, les revenus des films en 3D sont à peu près stables depuis 2011.

Je me suis dit que ça ne pouvait pas être aussi simple, alors j’ai continué mes recherches.

Tout d’abord : qui est le vrai responsable de cette histoire ridicule ? Si on oublie le monstre du lac noir et Jaws 3D, la vraie folie de la 3D au cinéma a vraiment démarré en 2010 avec la sortie d’Avatar de James Cameron. C’est d’ailleurs en 2010 que les revenus explosent.

A l’époque, on disait que c’était l’avenir du cinéma. En fait c’était sans doute parce que le film était entièrement réalisé en images de synthèses. Sauf que tous ces gens du cinéma voulaient que la 3D soit la prochaine étape du cinéma. Alors que tout ce que la 3D changeait, c’était qu’elle nous empêchait de profiter vraiment du film.

D’ailleurs, on va faire un test. Vous vous souvenez sans doute des personnages en image de synthèse mais sans lunettes 3D qui ont marqué votre culture cinématographique : Yoda, Voldemort, Gollum… Oui ? Ok. Bien. Maintenant, qui se souvient de l’héroïne d’Avatar ?

Le pire c’est que depuis quelques années, les films sont de moins en moins pensés pour la 3D. Parce que ça coûte trop cher et que personne n’aime ça. Mais ils continuent quand-même de sortir en 3D. Du coup, le résultat est catastrophique : la plupart des films 3D en salle sont en fait d’abord tournés en 2D, et re-travaillés en post-production pour donner un effet chiant de profondeur. Et vous obliger à porter des lunettes moches qui font mal au nez et vous empêchent de profiter du film. Un peu comme quand vous rajoutez un effet relief à une photo pour faire joli mais en fait non. Star Wars Rogue One fait d’ailleurs partie du lot.

Mais alors pourquoi ? Puisque personne n’aime ça, puisque plus personne ne tourne en 3D, puisque même les fabricants de téléviseurs l’ont compris et on arrêté de produire des télés en relief sans que personne ne s’en rende compte ?

En fait, l’histoire de la 3D, c’est un peu comme le popcorn. Aux Etats-Unis, depuis les années 30, l’industrie du cinéma est d’abord une industrie du popcorn. Aujourd’hui, le popcorn représente 40% des profits réalisés par les salles de cinéma. Et comme on ne pouvait pas continuer à augmenter le prix du pot de popcorns pour compenser le chute de l’audience en salles, il fallait trouver autre chose. Alors Hollywood a eu une idée : et si on ressortait cette bonne vieille technologie moisies des années 50 en disant que c’est l’avenir ? Il suffirait de remplacer les lunettes bleu et rouge en papier par des lunettes en plastique mais grises ? On vendrait la place plus cher en disant que c’est à cause des lunettes sauf qu’on récupèrerait les lunettes à la sortie. A l’époque, tout le monde trouvait que c’était une super idée.

Aujourd’hui, 45% des salles en Europe, 39% aux Etats-Unis et au Canada, sont équipées pour la 3D. Alors que tout le monde sait que c’est nul.

Sauf que s’équiper en 3D, ça coûte très cher. Le prix d’un projecteur 3D peut aller jusqu’à 100.000$. C’est comme si vous achetiez un appareil photo reflex à 3000€ aujourd’hui alors que vous pouvez prendre des photos de la même qualité avec votre smartphone moins cher qui en plus vous permet d’aller sur Facebook. Vous faites quoi ? Vous partez en vacances avec votre reflex hyper lourd à l’épaule et vous prenez vos photos avec votre iPhone. Vous ne pouvez pas le laisser sur une étagère. A chaque fois, pourtant, vous savez que vous n’allez pas l’utiliser. Mais bon, hein, ça a quand même coûté 3000€.

Le cinéma 3D c’est pareil.

La bonne nouvelle, c’est que la torture devrait bientôt finir. C’est James Cameron qui le dit. Maintenant qu’il s’est fait plein d’argent avec Avatar (2,8 milliards de $) et que tout le monde s’est ruiné en projecteurs 3D, il peut le dire : la 3D c’est nul et ça sert uniquement à faire de l’argent.

L’avenir, selon lui, c’est la 3D sans lunettes. Il prépare d’ailleurs 4 nouveaux “Avatars” en 3D sans lunettes mais avec des écrans super chers pour les 7 prochaines années.

Trop fort ce James…

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Benoit Raphael

AI & Media innovator. Entrepreneur. Creator of Le Lab (Europe 1) , Le Plus (l’Obs), Le Post (Le Monde). Chief Robot Officer at Flint.