Présidentielle 2017 : pour “Uberiser” la politique, la révolte citoyenne doit avancer comme une start-up

Benoit Raphael
6 min readMar 11, 2016

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(Source : Crowdfundbank)

Quand j’ai publié mon billet sur l’Uberisation de la vie politique, je n’ai reçu aucun commentaire me disant que je débloquais. J’ai même été invité à la télé pour en parler. Avec d’autres, plus “sachants” que moi, et qui disaient la même chose.

Beaucoup m’ont dit cependant : un président issu de la société civile ? 2017, c’est peut-être trop tôt. Je ne suis pas politologue, plutôt internetologue. Mais ce que je sais, c’est que le phénomène de la désintermédiation est un facteur d’accélération et de surprise.

Et puis quand je regarde ce qui arrive je me demande : ok, c’est trop tôt. Mais en 2022, est-ce qu’il ne sera pas trop tard ?

(Source : John R. Coughlin)

Parler d’Uberisation de la politique, c’est dire que les leaders politiques et syndicaux sont comme les taxis. Pas efficaces, mais on n’a pas le choix. Et puis un jour, par la force “horizontalisante” d’Internet, des start-ups comme Uber ou BlaBlaCar ont proposé à tous ceux qui avaient une voiture, de transporter des gens. C’était en 2011. Aujourd’hui, Uber est devenu un monstre. Peut-être pas un modèle. Mais le symbole de la puissance de la désintermédiation quand elle est capable de se structurer.

La désintermédiation est un fait (par désintermédiation j’entends les gens qui cessent d’attendre tout d’en haut et qui commencent à se tourner les uns vers les autres, à penser tout haut ensemble, mais surtout à agir). Elle est difficilement mesurable parce qu’elle se développe de plus en plus d’individu à individu. Ce n’est plus seulement Facebook, ce sont les messageries, c’est Snapchat dont aucun de nous n’est foutu de dire quelles sont les personnalités qui émergent à coups de millions de vidéos vues par plus de 40% des jeunes.

La désintermédiation fonctionne par entropie. Pour le meilleur et pour le pire. Avec Internet, le désordre peut se répandre de trois manières différentes : soit il se répand comme un cancer, et c’est Daesh, soit il s’organise en meute, et ce sont les extrêmes de droite comme de gauche, soit il se structure de façon liquide par l’intelligence collective.

Les gens se sont tournés les uns vers les autres. Ils se sont rendu compte qu’ils avaient des idées, et que s’ils n’en avaient pas ils pouvaient apprendre sur Internet et grandir en échangeant. Ils se sont aussi rendu compte que l’on pouvait agir sans passer par en haut. Pour preuve, et ce n’est que la plus emblématique, cette PME familiale qui a financé la construction d’une centrale hydrolélectrique écolo dans l’Ariège, grâce à l’argent de la foule. 1M€ sur un budget de 3M€.

Alors on pourrait se contenter de faire. Mais il arrive un moment où l’on s’épuise. Où l’on se rend compte de l’incroyable fossé qui s’est creusé entre la foule qui agit et qui agite, et l’élite politique et syndicale qui tourne à vide.

(Source : WindowsPro.eu)

Il faut changer le logiciel politique. Mais pas pour prendre le pouvoir et agir à la place de ceux qui ne savent plus agir. L’action est en bas. Elle se répand déjà. Nous ne sommes plus dans un monde où l’Etat agit, et où le peuple se contente de voter en regardant la télévision. Nous sommes dans un monde où le peuple a été remplacé par une foule d’individus, qui cherche des solutions, qui en trouve, et qui agit déjà.

Il faut voir désormais l’Etat comme un logiciel, dont les citoyens et les entrepreneurs seraient les programmes. Si le logiciel ne laisse pas ces programmes fonctionner, ils vont s’en détacher et commencer à tourner tout seuls. C’est ce que l’on observe déjà avec le phénomène des blockchains. Des micro-internet qui se détachent d’Internet et fonctionne comme des programmes indépendants.

Oui mais alors, comment faire pour faire basculer un système politique à bout de souffle, mais qui a été construit pour résister à tout ?

Il manque encore un candidat, et il faut que ce candidat rassemble les foules, il faut qu’il ait 500 signatures, il faut qu’il constitue un gouvernement et une majorité à l’assemblée. On voit bien que c’est le système entier qu’il faut changer. Mais pris en bloc, le problème semble insoluble.

C’est pour cela qu’il faut que cette révolte citoyenne fonctionne comme une start-up. Avancer pas à pas. Faire tomber les barrières une à une. Créer des usages. Mais délivrer vite. Ne pas être dans la seule proposition d’idées, mais commencer à agir, très vite. C’est ce que fait Alexandre Jardin avec ses zèbres, qui mettent en oeuvre des solutions avec les élus locaux (les moins déconnectés des politiques), les associations et les entrepreneurs. Il ne faut pas révolutionner. Il faut inventer.

Mais il faut aller plus loin. 78% des Français disent qu’ils sont prêts à élire un président qui ne serait pas issu des partis. C’est peut-être trop, ça retombera sans doute dans les urnes, mais… 78% quand même. C’est à dire tout le monde. 78%, ça va retomber de combien ? On part de haut.

Aux régionales, 1,5 millions de voix se sont portées vers des listes citoyennes, emmenées par de parfaits inconnus. Si on rajoute les 1,3 de Français qui ont voté blancs, ça fait pas loin de 3 millions.

Il y a, à côté des mouvements citoyens, un collectif comme la Transition qui se démarque des autres en rassemblant derrière elle des personnalités clés de la société civile : le président du syndicat des commerçants, celui des médecins libéraux, la CGPME, les agriculteurs, l’économie numérique…

Il y a des plateformes comme laprimaire.org ou comme “la vraie primaire”, qui proposent les logiciels puissants pour organiser une primaire citoyenne qui légitimerait un candidat, pour qu’il n’y en ait qu’un seul.

Tous ces gens là se parlent déjà entre eux. Les lignes de code sont prêtes. Les signaux faibles sont là. La colère aussi. Mais elle peut-être transformée en quelque chose de plus positif que le repli vers les extrêmes, qui est une forme de non-choix. Il est intéressant de constater que les secteurs où la Transition a eu le plus de succès sont justement ceux où le Front National a le plus progressé.

Tout est prêt, manque un leader suffisamment emblématique pour emmener les électeurs vers la présidentielle. Parce que si la présidentielle a moins besoin d’un boss face au peuple qu’un leader avec la foule, il manque encore à ce désordre une figure de proue.

Il n’y a pas d’homme providentiel, certes. Par contre c’est une présidentielle, et il faut un leader. Sinon ça risque de s’éparpiller dans de belles utopies et c’est ce que cherche exactement le pouvoir en place, tout comme l’opposition traditionnelle. Tous savent bien qu’ils bénéficient d’un vote par défaut. Le Pen également.

Mais là aussi des personnalités commencent à émerger. Emmanuel Macron, par exemple, qui fait la Une de la nouvelle formule de l’Express cette semaine. Je parle de Macron parce que c’est le premier personnage d’envergure à se positionner dans cette dynamique. Je ne le soutiens pas particulièrement, même si je trouve son discours rafraichissant. Il n’est et ne sera pas le seul. J’en ai croisé d’autres qui ne se sont pas encore manifestés. Il y en a quelques uns qui se préparent, dans l’ombre ou à peine voilés. Certains plus opportunistes, d’autres peut-être encore trop “politiques”.

Après cette étape, il faudra changer le logiciel. Mais chaque chose en son temps. Start-up spirit. Pierre après pierre.

Alors trop tôt 2017 ? Et si nous n’avions plus le choix ?

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Benoit Raphael

AI & Media innovator. Entrepreneur. Creator of Le Lab (Europe 1) , Le Plus (l’Obs), Le Post (Le Monde). Chief Robot Officer at Flint.