Türkiyemspor, le sultan déchu

BKL 7 — Berlin Kultur Lab
4 min readMay 4, 2016

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Créé en 1978 par des immigrés turcs, le Türkiyemspor Berlin, au cœur du quartier populaire de Kreuzberg, a longtemps été la fierté de la communauté turque berlinoise. Loin de son glorieux passé, le club tente de maintenir une image ternie par le manque de résultats et le désintérêt de la deuxième génération née en Allemagne.

Le coin est désert. Seuls deux ou trois badauds traînent sur les tribunes en béton du modeste Willy Kressmann Stadion, calé entre la Dudenstrasse et le Victoriapark, à Kreuzberg. Sur la pelouse, un préparateur pose quelques plots. Rien d’autre, calme plat. On entend même les chiens qui aboient et les gosses qui jouent juste derrière. Coincés en septième division, les joueurs amateurs du Türkiyemspor Berlin n’attirent pas grand monde. Ou plutôt, plus grand monde.

Si moins d’une centaine de personnes assisteront finalement au match, ce dimanche après-midi, contre le SV Blau Weiss, ils étaient plusieurs milliers à suivre le club il y a près de trente ans. Fondé dans les années 1970, il a longtemps été une des bases de la communauté turque de Kreuzberg. Un lieu de rencontre, mais également d’accueil pour les nouveaux arrivants, en quête de repères.

« Les gens grimpaient dans les arbres »

D’abord nommé Izmirspor, en référence à la ville d’origine de ses fondateurs, le club a, au cours des années 1980, opté pour Türkiyemspor (« Ma Turquie » en français). Un nom plus général, qui englobe alors toute la communauté. L’équipe frappe même, pendant un temps, à la porte de la deuxième division et du monde professionnel, avant de s’enfoncer petit à petit, année après année. « À un moment, quand on parlait des clubs de Berlin, on en évoquait trois : le Hertha, l’Union et le Türkiyemspor », précise même Thomas Sanchez, l’un des dirigeants.

L’équipe est alors une véritable fierté pour les Turcs de Berlin. « Il y avait entre 4 000 et 5 000 supporters à chaque match, se souvient le président Mete Şener en désignant les modestes gradins, aujourd’hui désertés. On voyait même certains fans grimper aux arbres ».

Mete Şener porte un regard fataliste sur l’évolution de son club : « Avant, les joueurs se bousculaient pour venir chez nous. Aujourd’hui, c’est nous qui allons les chercher ».

Aujourd’hui, le club se veut, plus que jamais, cosmopolite et ouvert à toutes les communautés. Pourtant, tous les joueurs de l’équipe actuelle sont d’origine turque. Un paradoxe lié en partie à la chute des performances de l’équipe : un Berlinois non-turc a peu de raisons de vouloir jouer dans un club estampillé « turc », alors même qu’il peut trouver des équipes de niveau équivalent un peu partout dans la capitale.

Trouble de l’identité

Mais la décadence du club ne se mesure pas seulement à la baisse de ses résultats sportifs. C’est aussi son rôle social au sein de la communauté qui a perdu beaucoup de son importance. « Depuis l’arrivée de la télévision, on peut facilement regarder les matches de Fenerbahçe ou de Galatasaray (les principaux clubs turcs, ndlr) depuis chez soi, explique Mete Şener. Les gens ne ressentent plus forcément le besoin de se retrouver ensemble au stade. La communauté turque a évolué, elle est moins centrée sur elle-même, c’est évident ».

Son collègue Thomas Sanchez estime même que « la majorité des jeunes d’origine turque souhaitent s’affirmer en tant que Berlinois ».

Ömer Tetik est l’un d’entre eux. À 28 ans, cet employé de banque fait figure d’exception. Pour lui, être joueur du Türkiyemspor signifie beaucoup. « Je suis fan depuis tout petit. J’ai joué pour d’autres clubs mais c’était vraiment important pour moi de venir défendre ces couleurs ». Quitte à jouer à un niveau inférieur à celui auquel il pouvait prétendre. Le regard empreint de nostalgie, son père, supporter de la première heure, regrette que « le club ne représente plus rien pour la génération actuelle ».

Ömer Tetik était enfant pendant la période dorée du Türkiyemspor. Il est venu jouer ici « pour aider » son club de cœur dans ces moments difficiles.

Pourtant, les dirigeants se démènent pour que l’image du club perdure et continue de rayonner à Berlin et dans toute l’Allemagne. « Türkiyemspor, c’est une marque. Il y en a dans plusieurs villes du pays, à Bochum, à Stuttgart », précise le président Şener. Depuis quinze ans, les équipes issues de l’immigration turque optent, l’une après l’autre, pour des noms allemands. Ici, la question ne se pose même pas. « Si on change de nom, autant fermer la boutique ».

Le nom, c’est presque tout ce qu’il reste au Türkiyemspor pour exister. Financièrement, l’institution est dans le rouge. « Dans le passé, on a voulu grandir trop vite », pense Thomas Sanchez. « Mais les instances n’ont pas su gérer et le club a fait faillite ». Lui est arrivé après, il y a trois ans. Il occupe diverses fonctions dont celle de trésorier. « Pour l’instant, ma seule préoccupation, c’est que l’on soit toujours en vie demain ».

Au coup de sifflet final, les rares spectateurs quittent rapidement le stade. Ömer et son père ont le regard triste, mais fataliste. Le gardien de but du Türkiyemspor est allé chercher le ballon sept fois au fond de ses filets.

Le match vient à peine de se terminer et le Willy-Kressmann Stadion est déjà vide. Cette après-midi, le Türkiyemspor a essuyé sa plus lourde défaite de la saison (7–0).

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BKL 7 — Berlin Kultur Lab

Les étudiants de l’IJBA s’envolent à Berlin du 27 au 7 mai. Au programme, des reportages multimédia pour découvrir la vie culturelle berlinoise.