Un café pour briser les frontières

BKL 7 — Berlin Kultur Lab
5 min readMay 8, 2016

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Déco, chaises, comptoir… Tout est prêt pour l’ouverture du THF Café. Il ne manque plus qu’une seule chose : les autorisations.

Dans les immenses blocs de béton de l’ancien aéroport de Tempelhof, à Berlin, les réfugiés s’entassent. Ils sont 7000, au total. Au Hangar 1, ils font la queue pour recevoir leurs premiers vêtements. Dans la grande salle d’attente, ils ont déjà agencé une bibliothèque, et une scène. Mais ça ne suffit pas. Leur dernier projet : ouvrir un café autogéré, pour faciliter leur intégration et la rencontre avec les habitants du quartier. Un oasis de vie dans un désert de béton.

Berlin, Tempelhof, Hangar 1. L’endroit fait peur. L’environnement rebute. Un énorme bâtiment de béton froid et gris se dresse là, devant. On entre. Une épaisse arche, toujours en béton. A gauche, un mur éphémère, en bois contreplaqué, posé là à la hâte. Depuis leur cabine en préfabriqué, des uniformes noirs surveillent le passage, inspectent soigneusement chaque documents, scrutent la barrière rouge. « Bonjour, excusez-moi, vous savez où se trouve le THF Café ? ». Une moitié de visage apparaît par l’entrebâillement de la porte. « Il n’y a pas de café ici ». Bon. On insiste, quand même : « J’ai rendez-vous avec Sascha ». La porte ne s’ouvre toujours pas. Le garde soutient le regard, inspecte de haut en bas, hautain, puis soupire en levant les yeux. « Ok, avancez. L’entrée se fait par la gauche ».

L’immense mur gris et froid qui accueille les réfugiés au Hangar 1 à Tempelhof (Berlin).

On ne tombe pas sur le THF Café par hasard. « C’est pas un café où l’on s’arrête parce qu’on le trouve sympa », plaisante Sascha en nous serrant la main. Membre de l’association THFWelcome (comprendre Tempelhof Welcome), qui aide les réfugiés à leur arrivée, il porte le projet du THF Café à bout de bras. Le 28 avril 2016, il organisait une conférence de presse pour annoncer la fin des travaux et l’inauguration du lieu. Objectif : trois semaines pour tout mettre en marche.

Sur le perron, pas de terrasse. Pas de clients. Pas de chaises, pas de tables. Juste quelques marches. Toujours en béton. Et en face, un épais mur, immense, infranchissable. Voilà ce qui sépare les réfugiés du reste des habitants de Tempelhof, et de Berlin en général.

Dans la salle d’à côté, une jeune femme accepte de nous parler. Zahra vient d’Afghanistan. Elle n’a pas d’amis à Berlin. Elle tente difficilement d’apprendre l’allemand. Donc le projet de café, ça l’intéresse. Elle en est persuadée, son salut passera par là : une rencontre.

L’intérieur du bâtiment contraste radicalement avec l’extérieur. C’est un théâtre de vie. Il y fait chaud. Une cinquantaine de personnes s’affairent ou patientent, des enfants courent dans tous les sens. Même les gardes, arabophones, sourient et s’amusent avec les gamins, ou leurs copains de l’association THF Welcome. A l’inverse des tensions et des bagarres qui rythment le quotidien du camp.

Les enfants se bagarrent pour apparaître sur la photo.

Le café a été imaginé dans cette optique-là : prolonger ces scènes au-delà des murs de béton froid, pour les partager avec tous les voisins de Tempelhof. Mais il ne faut pas se leurrer. Si ces gens-là transpirent de joie à ce moment précis, leur condition n’en est pas moins précaire : “Ici, les personnes n’ont pas d’intimité. Ils s’entassent avec les autres. Leurs chambres n’ont pas de toits. C’est vraiment des conditions précaires”.

Pendant notre entretien avec Sascha, un surveillant s’approche, hilare, pour demander les clés du réfrigérateur à notre interlocuteur. Il est accompagné d’un réfugié. Ils explosent de rire ensemble. Une complicité palpable s’en dégage. Mais entre leurs rires s’immisce une certaine ambiguïté. Si les hommes en uniformes rient parfois, ils sont aussi là pour les surveiller. Les flicker, presque. Cette relation assez floue est difficile à saisir pour celui qui n’y a jamais mis les pieds. Mais c’est précisément ce que souhaite dépasser le THF Café.

“Bon, d’accord, pour une photo ensemble, je te laisse me prendre de face ! Mais je me cache le visage, comme ça, avec le bras… Ok ?”

“Les gens de l’extérieur doivent comprendre qu’ils n’ont pas à craindre les gardes. Ils nous surveillent, c’est sûr, mais ils nous protègent aussi. Si nos voisins viennent prendre un café ici, ils verront d’eux-mêmes de quoi notre relation est faite”. Basel, réfugié syrien, est le seul qui accepte de nous parler. “Si si, il parle super bien en anglais, lui. Vas-y, questionne-le !”, le charrient ses copains en un mélange d’anglais et d’arabe. Dans cet espace de vie, très peu ont accepté de parler au micro et de se laisser photographier. Basel hoche de la tête en souriant. “Ok, mais pas de photos”.

Le plus hyperactif de tous les gamins aura interrompu notre entretien par trois fois, en tapant le micro, en tirant sur nos chemises.

Les rencontres forgent l’avenir de Basel comme elles forgent le destin de tous les réfugiés présents dans cette salle hybride. Pour conclure notre long entretien, Sascha souhaite insister sur ce point : “Le café servira à cela : nouer des relations avec les berlinois, pour, à terme, créer un réseau”.

Pour nombre de réfugiés, le café est un véritable espoir d’intégration. Un peu à l’image du café Refugio, dans le centre-ville. Mais il est très difficile de s’engager dans un tel projet pour des jeunes gens, des mamans, des familles, qui ne savent même pas où ils seront demain.

Apprentissage de la langue, engagement dans la vie locale… L’intégration des réfugiés passera aussi par un café, une rencontre. Un mur qui se brise, en somme.

Patxi Vrignon-Etxezaharreta

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BKL 7 — Berlin Kultur Lab

Les étudiants de l’IJBA s’envolent à Berlin du 27 au 7 mai. Au programme, des reportages multimédia pour découvrir la vie culturelle berlinoise.