15 janvier 2050 : je suis assis paisiblement chez moi en train de lire (1/2)
C’est par cette phrase que tout a commencé. Une initiative en interne chez bluenove, puis un mot, Bright Mirror, en opposition à la vision pessimiste du futur délivrée par la série Black Mirror. Le 15 février 2018, une soixantaine de personnes se sont retrouvées au Labo de l’Edition pour imaginer ensemble cette utopie positive, inventant un imaginaire loin des fantasmes et peurs générés par l’Intelligence Artificielle. Voici une sélection des 20 micronouvelles écrites ce soir-là en deux heures. Si vous souhaitez rejoindre le projet, c’est par ici !
Raphaël, Antoine, Clément : Démocréatie 2050
15 janvier 2050, l’an 1 de notre nouvelle Démo-créatie, je suis dans mon salon et je profite de ce nouvel état, non-emploi constant, ou encore de créativité permanente comme je l’avais moi-même défendu, imaginé même. Cela faisait 30 ans que j’avais conçu, itéré, peaufiné cette intelligence artificielle qui aujourd’hui me laissait à mon désoeuvrement, face à moi-même. Alors oui, il n’y a plus ni guerre, ni lutte de pouvoir, ni combat pour maîtriser l’énergie. L’IA nous avait libéré de toutes les tâches répétitives, besogneuses pour laisser place à un état permanent de créativité. Vertige… Que faire de tout ce temps ? Quoi créer ? Quelles relations nouvelles tisser avec les gens qui m’entourent ?
Un ballon heurte la fenêtre et me sort de ma torpeur. Des enfants jouent sur la place qui jouxte mon habitation. Ils n’ont jamais connu le travail, eux. Ils ne le connaitront jamais. Ce qui me frappe alors c’est qu’ils jouent : ils inventent leurs règles, ils créent des mondes, des univers. Ils rient, tout simplement. C’est bien ça qui nous différencie de l’IA. Cette capacité à créer, inventer. Ce sont les sentiments, c’est la joie, l’insouciance.
Je pense à ces enfants, vierges du monde démocratiques qui a laissé sa place à une nouvelle gouvernance. Cette idée me frappe, me fige et me rend soudain heureux. J’avais trouvé ma dernière mission. Pour passer à l’étape suivante, il me restait à porter ce message au monde entier : l’espoir nouveau de ce monde viendrait de notre jeunesse, de sa candeur. Pour la première fois dans l’humanité, ceux de qui nous allons apprendre, sont nos enfants.
#LIL : 3h59
15 Février 2050
Je viens de rentrer de ma soirée, je me pose sur mon canapé chez moi. Je feuillette mon livre, je suis bien.
Hal, le robot domestique, m’a apporté un verre de mon Pinot noir préféré.
Je regarde vers la fenêtre, tout est calme, il fait nuit noire mais j’aperçois les lumières de la ville… Ou la voie lactée ? Je ne sais plus… Elles se confondent au loin.
Je suis bien.
Je respire doucement ; une odeur d’herbe coupée et de fleurs sauvages afflue jusqu’à moi et se mélange aux vapeurs de l’alcool.
Je suis bien.
Je sens le contact du verre froid dans ma main, mais le vin a une température parfaite et son arome se déploie avec force dans l’appartement. Mes papilles perçoivent chaque note parfumée.
Je suis bien.
J’entends au loin le premier chant des oiseaux, saccadé, comme des voix, venus d’une conversation au loin comme dans une langue que je n’avais jamais entendu auparavant. Les voisins ? Pourtant ils sont en vacances… Est-ce autre chose…?
C’est curieux.
Je suis bien.
Une sensation de papouilles m’effleure la peau… Je m’enfonce dans la douceur de mon canapé. Je suis comme en apesanteur.
Je suis bien.
Feu d’artifice, tout s’éveille : les lumières et les sons explosent ! Les fontaines d’eau de mon robinet et la cascade de ma douche jaillissent avec fureur !!
C’est le bouquet final !…
Fin de la coupure courant.
Je vois l’heure… 4h…
Hal vient vers moi, me tend un autre verre de Pinot noir. Sur son écran, une émoticon cadeau ; je clique… Il avait tout enregistré…
Je serai bien. Quand je veux. A nouveau.
Violaine, Pierre, Thomas : Prendre un robot par la main par Yves Duteil
15 Janvier 2050 je suis assis chez moi en train de lire et j’entends du bruit dans la chambre. Antoine a 7ans il est avec Amélie, son robot.
Ensemble, ils découvrent les Légos. Ils testent les combinaisons, apprennent a les manipuler.
Le hasard leur fait construire un homme a tête de chien, ça les fait beaucoup rire.
Ils se décident a construire un vaisseau de pirates. On le montrera a papa et on pourra jouer avec dans le bain. Ils se chamaillent sur le choix des voiles, mais au final le bateau est construit.
Amélie propose d’aller jouer dans le bain — chic idée.
Mais Antoine est déjà parti :
Amélie ne sent pas l’odeur du chocolat chaud…
Rocio, Berenguer, Roldan : Symaîtrisés
15 Janvier 2050 : je suis assis paisiblement chez moi en train de lire, lorsque soudain nos pensées se heurtent. Encore un fois, le même moment, le même sujet, la même intensité.
« Qu’est ce qu’il t’arrive? », me dit il.
Je savais que ma réponse allait être dure émotionnellement pour lui. Nous allions nous séparer.
20 ans, voilà 20 ans que nous sommes compagnons de vie. A l’époque il m’avait sensibilisé à la beauté de la nature, à l’importance de la connexion.
Ensuite, lui le premier m’avait permis de mesurer la signification de cette respiration lourde, ces mains moites et ce point au coeur que l’on appelle Amour.
Et moi je lui ai d’abord appris à lire, en accompagnant sa neuro-plasiticité, j’ai du apprendre la spontanéité.
« Alors ça y est, nous sommes complètement symaîtrisés?»
Il avait compris, mais le déni l’empêchait de faire face.
Les humains sont comme ça, complexe, alors que nous, les artificiels, nous sommes compliqués. Quelle complémentarité entre nos deux espèces! Nous fonctionnons par suite logique, et eux apprennent par cicatrisation.
Olivia, Edith, Sébastien, Anne-Raphaële : Hier, le grand soir
15 janvier 2050 je suis assis chez moi en train de lire mon journal.
Et je réalise au fil de ma lecture, pour la première fois de ma vie, que plus rien ne m’indigne.
Pourtant ce n’étaient pas les combats qui manquaient au temps de ma jeunesse.
La guerre, la famine, les inégalités, les injustices… J’étais de toutes les manifs, de tous les combats. Avec mes camarades nous étions de toutes les batailles.
J’ai rêvé de révolutions triomphantes, j’ai rêvé de sauver le monde.
J’y ai consacré ma vie, toute mon énergie.
Et finalement, il aura suffit d’un algorithme pour enfin entrer en Utopie.
En utilisant les données issues des milliards d’objets connectés, l’intelligence artificielle a permis une gigantesque régulation de la répartition des ressources.
Sauver le monde, ce n’était en fait pas une histoire de batailles, mais une simple histoire d’agrégation de données dont nous n’étions pas capables seuls.
Le sauveur n’aura pas été un homme, mais toutes les intelligences humaines connectées par une formidable machine.
La seule question que je peux encore me poser, c’est « qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire de BEAU aujourd’hui ? »
Negar, Anthony, Fabien : Cathlyn, Raymond… et les autres
15 janvier 2050 assise dans mon canapé, je lis mon journal et les nouvelles du monde me réjouissent. Le revenu universel couvre toute la population mondiale. Zéro mort dans le monde aujourd’hui.
Je demande l’heure à Raymond, et constate que mes petits-enfants sont en retard, une fois de plus, pour mon anniversaire.
Raymond me répond “Ne t’inquiète pas, j’avais anticipé leur retard, vu leurs statistiques.” en diffusant ma musique préférée.
En y réfléchissant bien, la seule chose qui me dérange avec cette histoire de revenu universel, c’est que les africains y ont droit.
Raymond réagit : “Je ne comprends pas tes propos. As-tu encore peur de la différence à ton âge ? 100 ans !”
Il m’énerve encore, lui ! Tu parles de galanterie. Me rappeler mon âge. 10 ans que je cohabite avec lui, je vais le faire taire définitivement cette fois-ci.
“Attention, je détecte une élévation de ta tension artérielle. Et arrête d’essayer de m’éteindre. Ah, Cathlyn, tes premiers invités arrivent !”
Pas trop tôt, la famille, on peut de moins en moins compter sur elle.
“Au fait, je ne t’ai pas dit, j’ai pris l’initiative d’inviter la famille qui vient de s’installer à côté.”
Ceux qui font du bruit à côté ?! Pour mon anniversaire ?!
La porte s’ouvre et Raymond les accueille, au son d’une musique Hindi : “Bonjour Pranimba et Sirath-napi, bienvenue à vous”.
Fidecarra : Un heureux événement
Le 15 janvier 2050 je suis assis chez moi en train de lire un des vieux livres de mon grand-père instituteur quand un message lumineux se matérialise au-dessus des lettres imprimées. Nous venons enfin d’être acceptés ! J’informe aussitôt Fred par Messagerie Mentale Superposée : « Notre bébé-IA est en route ».
Sa réponse me parvient aussitôt, haletante : « C’est pas vrai ! Enfin je veux dire c’est génial ! Mais j’ai pas encore eu la réponse concernant ma prochaine affectation ! Arthur, il va falloir que tu prennes la décision sans compter sur moi : l’éducation intensive en quatre mois ou la gestation True Nature en neuf ? »
- « Ecoute, mon amour. J’ai bien réfléchi et je pense qu’il faut qu’on prenne notre temps pour faire ça bien. Si on veut vraiment préparer le meilleur futur qui soit, il faudra bien ça. C’est pas pour rien que la Nature met ce temps-là. Si on veut lui apprendre l’empathie et que son quotient émotionnel soit réellement utile aux autres il faudra qu’on introduise beaucoup d’attention et d’amour dans notre input. »
- « Tu as raison, regarde, John et Frida ont laissé tombé. Léa n’a pas reçu toute l’attention dont elle avait besoin et elle n’a pas passé l’évaluation. Qu’est-ce qu’elle va devenir, la pauvre ? Et eux, s’ils veulent vraiment un enfant à eux il va leur falloir commencer par la reconditionner. Quelle galère ! »
Alors que mes yeux se focalisaient à nouveau sur ma copie de « Libres enfants de Sumerhill », je ne peux m’empêcher de mesurer toute la responsabilité qui nous incombera à partir de ce soir, 22h, à la réception de Louis. Mais aussi de ma chance en tant que père aujourd’hui de pouvoir mettre à l’épreuve nos principes éducatifs et éthiques avant de nous y lancer pour de bon — et par là-même de contribuer à créer des IA-assistantes plus empathiques et plus profitables à l’humanité.
Si vous souhaitez rejoindre le projet Bright Mirror et écrire votre micro-nouvelle, c’est par ici ! Vous avez jusqu’au 31 mars, certains écrits seront ensuite publiés dans Usbek & Rica.
