Case Law Analytics, les mathématiques au service de la prise de décision juridique

Banque Populaire Grand Ouest
7 min readJan 26, 2018

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Thierry Serrano-Guerra, directeur général de Case Law Analytics (Nantes, 44)

Avec la Loi pour une République numérique promulguée en 2016, la circulation facilitée des informations et des savoirs a permis à de nombreux projets d’entreprises françaises s’appuyant sur les données de voir le jour.

Une diversité de domaines est concernée : transports, marketing, commerce de détail et aujourd’hui, le secteur juridique. Dans ce créneau naissant de la legal tech, un acteur en particulier se démarque par son utilisation de l’apprentissage automatique couplé au calcul des probabilités : Case Law Analytics.

Récemment installée à Nantes, cette start-up veut croiser mathématiques et juridique pour aider les professionnels du droit à la prise de décision. Mathilde Huet, du bureau d’étude Naonext a rencontré les dirigeants de cette entreprise pour nous en dire plus.

Qu’est-ce que Case Law Analytics ?

Nous faisons de la quantification du risque juridique à destination des professionnels du droit. Nos outils vont modéliser par l’intelligence artificielle le processus de décision judiciaire. Nous modélisons ce qu’il peut se passer si vous allez au tribunal, pour que les parties aient une idée claire de ce qui peut arriver à l’issue d’un procès.

La vocation de Case Law Analytics c’est d’apporter de l’information juridique pertinente pour tous et partout.

Case Law Analytics a été créée en septembre 2017. Cependant la société est le fruit de plus de deux années de recherches à l’Inria où Jacques Lévy Véhel a travaillé pendant plus de trente-cinq ans.

Est-ce un pas vers la robotisation du processus judiciaire ?

Non, l’objectif n’est pas de retirer l’humain du processus. On parle de jugements posés sur un cas précis par des individus qui ont tous leur histoire.

Nous ne donnons pas de prédictions : en effet, deux juges peuvent donner deux décisions différentes sur un même cas. Un même juge peut aussi prendre deux décisions différentes selon le moment de la journée, le cas d’avant, le cas d’après…

Il y a donc toujours un aléa que l’on dit irréductible et c’est vraiment cela qu’on veut quantifier.

Notre outil présente l’ensemble des décisions qui peuvent être prises pour un cas juridique précis, dans un tribunal en particulier. Cet éventail de décision vous donne une représentation mathématique de ce qui peut se passer. Nous éprouvons également notre modèle de manière empirique, en testant sur nos machines les résultats posés, comme c’est l’usage en apprentissage automatique (machine learning). Nos machines apprennent sur des cas comme un juge humain passerait l’école de la magistrature. Ensuite, on les teste sur des cas qui n’ont pas été présentés auparavant pour vérifier que les calculs sont corrects.

Votre outil va donc au-delà de l’étude statistique des données ?

L’objectif n’est pas de dire au professionnel du droit : “Vous avez tel pourcentage de gagner”, mais plutôt “si vous aviez la capacité d’aller cent fois au tribunal aujourd’hui avec votre cas précis, vous ressortiez avec les cent décisions présentées dans notre outil, solutions prouvées scientifiquement et empiriquement”.

Case Law Analytics modélise le processus de décision, pour que la machine puisse apprendre la logique derrière laquelle un juge va poser son jugement.

Ce qui veut dire que si votre cas est totalement inhabituel, nos machines peuvent tout de même quantifier ce risque-là et ce, même s’il n’y a pas de jurisprudence correspondante. Nos machines ont appris à poser un jugement à la manière de telle juridiction, pour tel cas.

C’est notre grande différence avec les outils qu’on peut trouver dans la legal tech aujourd’hui. Actuellement, il existe surtout des outils qui engrangent une masse d’information et qui vont vous donner des statistiques en fonction des mots-clés contenus dans les jugements. Le risque, c’est que vous devez forcément vous appuyer sur des cas qui ont déjà été effectivement jugés et qui ne sont pas forcément similaires au vôtre.

Pour nous, il y a un vrai enjeu de société et d’information.

Notre outil s’appuie sur le travail de Jacques Lévy Véhel, qui est probabiliste et qui a 35 ans de recherche derrière lui. C’est l’un des plus grands experts français dans ce domaine-là. Cela nous donne un avantage indéniable en termes de technicité et d’expertise en intelligence artificielle. Nous travaillons donc avec Jacques, expert dans son domaine en quantification du risque, et avec un expert du droit : Jérôme Dupré, qui a été juriste d’entreprise puis magistrat et qui est aujourd’hui avocat.

Capture d’écran de l’interface Case Law Analytics

D’où est venu ce projet ?

Jacques Lévy Véhel a été confronté à un cas juridique, un contentieux. Lui, de son point de vue de mathématicien a demandé à son avocat : « Quelles sont mes chances de réussite, quelles sont mes probabilités, quel est votre regard sur mon cas ? » Et l’avocat lui a répondu :

« Je ne peux pas vous dire, c’est humain. On parle de jugement posé par des humains. »

Et ça pour un scientifique, pour un mathématicien, ça titille un peu. Il y a en effet une part d’aléas irréductible mais il y a quelque chose qu’on peut quantifier.

À la suite de cette expérience, parce que Jacques avait l’expertise et qu’il savait très bien de quoi il parlait, il a cherché à comprendre et analyser ce domaine du droit.

Case Law Analytics est donc destiné aux professionnels du droit ?

En effet, nos outils sont destinés à des professionnels du droit car on va quantifier avec précision un potentiel contentieux. Or le regard du juriste, de l’avocat, est très important pour analyser Ces données là.

On ne donne pas des réponses toutes faites, on donne des informations, des aides à la décision.

On n’est absolument pas là pour remplacer ni les avocats, ni les juges. On est là pour donner de l’information pour qu’ils aillent plus vite, pour que leurs actions soient plus pertinentes et qu’ils puissent se concentrer sur des tâches à haute valeur ajoutée.

Nos clients sont des avocats et les directions juridiques de groupes de toute taille. Ce n’est pas parce qu’on est petit qu’on n’a pas besoin d’informations judiciaires et juridiques.

Les assureurs sont également des clients, en particulier les assureurs de protection juridique. On a un outil très performant pour les assurés qui ont très rapidement une vision précise du risque et de l’analyse de leur cas. L’objectif premier étant d’éviter le procès et de raccourcir les délais d’indemnisation.

Notre outil va également avoir son rôle à jouer pour favoriser les modes alternatifs de règlement des litiges.

En effet, le nombre de litiges augmente, et il n’y aura pas deux fois plus de juges dans 10 ans et il n’y aura pas 2 fois plus de budget dans 10 ans. En revanche, il y aura beaucoup d’outils qui vont permettre de s’assoir autour d’une table pour décider et négocier sur des bases solides.

Comment est reçu votre outil par les professionnels du secteur ?

Le développement des #LegalTech est très récent et nécessite de mettre en place une communication pour informer les professionnels. Il est nécessaire pour eux de bien s’informer sur cette évolution et sur la spécificité de chaque outil disponible, pour pouvoir bien les utiliser.

Case Law Analytics, de par l’équipe qui porte le projet et l’expertise proposée, a été très bien accueilli dans cet environnement, tant du côté des institutions que des professionnels du droit.

L’outil a-t-il vocation à être distribué à l’international ?

Oui c’est certain, nous avons déjà été contactés par des acteurs majeurs dans d’autres pays en Europe et au-delà, et notre mission d’information juridique et judiciaire pour tous et partout n’a bien entendu pas de frontières ! Certes, les systèmes de droit peuvent varier selon les régions, mais nos outils de modélisation sont tout à fait adaptables à ces spécificités.

Jacques Lévy Véhel est diplômé de l’École Polytechnique et de l’École Nationale Supérieure des Télécommunications. Il est docteur en mathématiques et directeur de recherches chez INRIA, où il a animé récemment une équipe, commune à INRIA, au CNRS et à l’université de Nantes (laboratoire Jean Leray) dédiée à la modélisation mathématique en économie/finance et en droit.

Thierry Serrano-Guerra est diplômé de Saint Cyr et d’HEC Paris et après une expérience en finance et en audit dans des postes de direction générale et de direction financière pour des entreprises françaises et internationales, il rejoint Case Law Analytics au poste de directeur général à l’automne 2017.

Aides et financements pour Case Law Analytics : Ministère de l’Economie et des Finances — Pays de la Loire — BPI — Réseau Entreprendre. Case Law Analytics a bénéficié d’un prêt Innov&Plus de 80,000€ par la Banque Populaire Grand Ouest.

Accompagnements :

Lauréate du Réseau Entreprendre, Case Law Analytics est une start-up soutenue par l’INRIA, l’institut de recherche public français dédié au numérique, le Réseau de Développement de l’Innovation du Pays de la Loire et le Digital Launch Pad d’OVH. Case Law Analytics est une des sept start-ups sélectionnées dans le programme d’Intelligence Artificielle de Microsoft pour être incubées à la Station F à Paris. Par ailleurs, les créateurs ont remporté un appel d’offres du groupement d’intérêt public de la mission de recherche Droit et Justice sur la justice et le numérique.

Retrouvez le bureau d’étude Naonext sur leur site internet, Twitter et LinkedIn.

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