AG 31 : Chapitre 6 — L’abeille vole au ras des pâquerettes
Aubergine ou Kiwi, je ne sais plus, fut ravi de trouver un second soûlard. Mais cette rencontre fut assez brève. Ils terminèrent chacun leur récipient autour d’un échange d’aberrations plus tordues les unes que les autres. Puis ils se mirent en tête de trouver une tisane ou autres, mais cette conviction pourtant si forte quelques minutes plus tôt fut bientôt remplacé par une autre :
- Mon seigneur, dis-je, il me semble que ma coupe se vide autant que ma vessie ne se remplisse, et c’est sur ce constat que je dois vous abandonner pour aller trouver une place où mon urine pourra être recueillie.
Persuadé de l’effet théâtral de ma tirade, je m’en allais sans même me retourner bien que mes mots furent plus hésitants que leur écriture pourrait le laisser paraître. Je laissais derrière moi Tum, le frère de Tém qui vomissait quelques ruelles plus hautes. Tum était légèrement ébaubi, mais fut vite ragaillardi par l’idée des bras puissants de son copain irlandais sur son corps faible.
Encore sur ma répartie je montrais beaucoup de fierté dans ma démarche. Bien qu’un pas ou deux étaient troublé par d’étranges convulsions.
Je parcouru alors les deux kilomètres, en en faisant trois, qui me séparaient de mon petit appartement au cœur de la ville. Une fois arrivé, j’entrepris de me coucher à cette heure si indécente que je me savais voué à une journée terriblement longue et bruyante le lendemain.
Mon réveil ne se fit pas prier, et arriva en fin de matinée, quand un bon voisin décida qu’il était l’heure d’user du marteau. Ma première sensation qui me prit à la gorge fut la sécheresse éprouvante de cette même région que je calmais à l’aide de grandes gorgées d’eau, malheureusement tiède. Le soleil tapait déjà plus que nécessaire.
Ensuite, et lentement, je me mis en mouvement visant dans un premier temps la douche. Sa température fraîche me permit de me réchauffer les idées : la veille, au cours de la soirée j’avais promis à des amis de les rejoindre dans un concert open air dans un coin un peu excentré de la ville. Bon après ça je m’étais perdu et j’avais erré dans les rues jusqu’à retrouver mon appart. Mais cette promesse à mes bons amis, j’allais là respecter.
Lavé de ma crasse par la douche, mais pas de ma gueule de bois, je m’habillais encore une fois le plus lentement possible. J’avais une quinzaine de minutes de métro avant de trouver selon ma mémoire le bon endroit à un ou deux kilomètres de ma sortie du métro.
Après m’être assuré que tous tenaient leurs promesses. Je me mis en route, avec dans le sac une grande bouteille d’eau fraîche, mon forte-peuille, et une paire de lunette de soleil.
Le métro m’étouffa à ma première bouffée. J’avais mis mes lunettes de soleil pour éviter le spectacle déplaisant de mes yeux mornes et tristes à la populace.
Je me mis dans un coin, de la musique dans les oreilles, pour rythmer ma fatigue. Certaines demoiselles charmantes en ce jour d’été me faisaient tourner la tête, mais c’était le seul mouvement que je me permettais.
Arrivé à ma station finale, je sortais de l’ombre du métro pour me courber sous le soleil du début d’après-midi. Sa présence avait envahi toutes les rues, touchant chacun des sens humains. Toute la vie en était modifiée, et je sentais ma peau de roux brûlée sous ses rayons féroces. Les quelques marcheurs en ce dimanche marchaient avec précipitation cherchant des bouts de trottoirs à l’ombre dès que possible. J’avançais toujours mou, et faible de la veille, doucement, subissant le soleil pesant sans pouvoir esquisser le moindre geste de défense.
Mes pas étaient lourds, et déjà tout mon corps tentait de refroidir ma peau brûlante. De mon front perlé d’Agiles Gouttes salées qui contournait mon visage. Les sangles de mon sac baignaient dans un t-shirt imbibé et poisseux. Mes préoccupations étaient au nombre de 3 : d’abord, la musique occupait une grande part de mon esprit, mais le trajet que j’avais vaguement repéré sur internet venait tout de suite après. Et enfin l’observation des gens qui nous entouraient. Certains méritaient le coup d’œil, tous avaient chaud.
Bientôt, je remarquai que de plus en plus de personnes étaient présentes dans les rues. Je pus mettre fin à mon trajet orchestré, et je suivais le gros du lot. Des jeunes qui affrontent le soleil vont surement au même endroit que moi, afin de créer un attroupement humain.
Là-bas, les gens vont utiliser leurs dernières ressources de fraîcheur pour les perdre dans la foule et la danse. Rien que l’idée de cette masse informe d’êtres humains me faisait présager que je ne resterai pas longtemps.
J’aperçus enfin la dernière ligne droite qui semblait mener au centre de la bête, mais qui semblait surtout interminable. Au loin, j’entendais les boums-boums irréguliers d’une musique à caractère jeune.
Devant l’entrée, divers groupes étaient disposés à droite et à gauche en train de boire.
Soudain, j’aperçus un visage somptueux dans la foule : la forme du visage avait ce petit quelque chose au niveau de la mâchoire qui me plait tant à chaque fois. Pas très grande, elle avait les cheveux châtains un peu tout autour du visage. Je n’eus pas le temps de la détailler plus que ça, qu’on se croisait. Ses yeux marron clair m’évitèrent avec précaution. Je me retournai, rêvant encore de sa bouche et de son sourire, pour voir son short en blue-jean qui semblait se moquer de moi.
Je retrouvais enfin mes potes au milieu de la foule, je leur présentais à chacun, avec joie, mes joues poisseuses.
Attend, nan c’est pas bon ça, moi je vais te le réécrire.
L’homme était franc saoul, mais comme un homme doit l’être avec les mâchoires serrées et le regard vague.
- En fait je…, commença Tum avant de se taire.
Le frère de Tém, qui vomissait quelques ruelles plus hautes, avait tant changé en si peu de temps avec l’homme.
L’homme plongea son regard dans cet homosexuel si longtemps refoulé :
- Ne me remercie pas, et surtout va ! Profites de cet amour être de lumière !
Sur ces mots bouleversants pour Tum, l’homme tourna les talons et les pieds avec, il savait qu’il avait touché son âme.
Son pas assuré le ramena doucement dans son petit appartement au cœur de la ville. Malgré le soleil qui éclairait déjà d’un joli bleu le ciel nocturne, il se servit un dernier whisky, sans glace. Il le but d’une traite sans ciller le moins du monde. Et après s’être occupé de son hygiène corporelle, il se coucha enfin.
L’homme ouvrit ses magnifiques yeux lorsqu’un rayon de soleil réussit à s’infiltrer par les volets entrouverts pour tenter de le fusiller. Par une roulade extrêmement vive, que le commun des mortels n’aurait probablement jamais pu ne serait-ce qu’envisager, il évita la brûlure.
L’esprit clair et frais, il se rappelait de tous les détails de la veille. Il se prépara d’une manière des plus efficace et envoya un message destiné à ses amis pour les prévenir de son arrivée. Le soleil était particulièrement fort, mais l’homme, plus fort encore, était doté d’une étonnante résistance à la chaleur. Il était fort rare d’apercevoir une goutte de sueur se dessinait sur son corps. Malgré tout, il s’habilla léger et cacha ses yeux derrière des lunettes de soleil sobre.
Enfin, il s’extirpa de son appartement après avoir aidé un de ses voisins à construire une petite mangeoire pour oiseau avec quelques petits coups de marteau bien placés.
Bien qu’il aurait pu faire le trajet plus rapidement en courant, il décida de prendre le métro pour s’assurer qu’il n’y est aucune tentative d’attentat (il prenait son rôle à cœur, depuis que le président l’avait recruté comme une sorte de James Bond). Le métro sentait mauvais, beaucoup de personnes décidèrent donc de se mettre à portée de narine de l’homme duquel émanait une douce odeur agréable. Quelques regards aux alentours permettaient de lui assurer qu’aucune agression sexuelle n’avait lieu.
L’homme descendit du métro au grand dam des gens qui le respiraient. Il en profita pour offrir un sandwich, qu’il avait fait entre deux pompes le matin même, à un sans-abri, qui fuyait le soleil au maximum dans la station de métro.
En sortant, l’homme fut heureux de retrouver le soleil qui colorait doucement sa peau d’un teint hâlé. Beaucoup de personnes se retournaient pour le regarder, sa résistance à la chaleur était tout bonnement incroyable. Lui avançait avec rigueur, léger comme la mer Égée après ses quelques étirements matinaux.
Bientôt, l’homme se rendit compte qu’énormément de personnes le suivaient. Ils avaient compris qu’il allait également à l’open air, et pouvaient comme ça apprécier les relents de fraîcheurs qui émanaient de son corps. Son cerveau fonctionnait à toute vitesse actualisant son trajet très régulièrement afin de prendre en compte les risques d’embouteillages (même à pied).
Les derniers pas qui séparaient encore l’homme du festival passèrent vite. Ses muscles roulaient sous sa peau offrant un spectacle hypnotisant pour toutes les jeunes femmes et jeunes hommes qui l’entouraient. Il perçut le regard perçant d’une jeune demoiselle, probablement une mannequin (seuls les mannequins osaient de telles indiscrétions avec lui, et sa beauté d’Apollon), mais il la contourna. Il ne pouvait pas tromper sa copine, il était d’abord trop respectueux, et tellement amoureux.
Enfin après une analyse logique de la situation, l’homme rejoignit ses compagnons. L’âme modeste et l’esprit resplendissant, il tendit sa première joue, puis suivant l’enseignement spirituel de ses parents, il tendit la seconde.
C’est mieux, il faut entrer dans la légende !
Et en plus j’ai déjà une petite idée de la dernière phrase.