Les LegalTech — qu’en pensent les avocats ? Série d’interviews, épisode 3

Case.one France
7 min readFeb 14, 2018

--

L’avènement des startups de la LegalTech a fait frémir la profession d’avocats. La plateforme de résolution de litiges en ligne DemanderJustice est particulièrement concernée, puisqu’une action en justice initiée par le Conseil National des Barreaux l’implique personnellement en 2016. Le 11 janvier 2017, le TGI de Paris tranche en faveur de la startup. Alors que la plupart des LegalTechs s’adjoignent les services de professionnels du droit, les sites du groupe DemanderJustice, Litige.fr parmi ceux-ci, semblent résister. Dans un contexte où l’avocat adopte (enfin) une position win-win avec les startups tech, cette position détonne et interroge. Nous avons interviewé M. Yoni Ohana, co-fondateur de Litige.fr.

Case.one : Bonjour Yoni, pouvez-vous nous faire un bref résumé des différentes activités du groupe DemanderJustice.com — SaisirPrudhommes.com — Litige.fr

Yoni Ohana : Depuis 2012, le groupe Demander Justice édite des sites permettant le règlement amiable et judiciaire des litiges du quotidien inférieurs à 10.000 €, grâce à une procédure simplifiée, entièrement en ligne et sans avocat. Conflits du travail, Consommation / e-Commerce, Logement, Voyage, Banque, Assurance, Télécoms… 570.000 dossiers ont été déposés sur nos sites qui se sont imposés en quelques années parmi les recours référents à disposition du justiciable. Depuis 2016, nous permettons à tous nos utilisateurs d’envoyer gratuitement un premier recours amiable (la lettre de mise en cause) à leur adversaire. 25 à 30% des affaires sont réglées à l’amiable, sans débourser un euro.

Case.one : Vous proposez des services juridiques en ligne, pour un accès facilité au droit et à la justice. Pourtant parmi les fondateurs du groupe, aucun professionnel du droit — le projet émane de profils « école de commerce ». N’avez-vous pas l’impression de décrédibiliser les études d’avocat, de remettre en cause leur monopole ? Est-ce-que, selon vous, l’hyper information permet de s’improviser professionnel dans le domaine de son choix ?

Yoni Ohana : L’accès au droit n’est pas un monopole. Nos services ne permettent rien de plus que ce qui a été décidé par le législateur. Pour les litiges civils dont l’enjeu est inférieur à 10.000 euros, la représentation par un avocat n’est pas obligatoire.

De très nombreux avocats saluent notre démarche et souhaitent pouvoir travailler avec nous.

Dans ce contexte, seule l’attitude de certains de leurs confrères, particulièrement véhémente à l’égard des Legal Techs, pourrait porter un coup à leur crédibilité.

Case.one : Vous publiez de nombreux articles sur le site Litige.fr, des articles (très) courts qui résument les solutions offertes aux justiciables pour leurs litiges les plus fréquents. Du fait de la longueur succincte des explications, ne craignez-vous pas de simplifier le droit à l’extrême, contribuant à faire circuler une information erronée/insuffisante ?

Yoni Ohana : Une information synthétique n’est pas une information erronée. Nos articles d’information juridique à caractère documentaire se caractérisent par leur accessibilité. Le grand absent de votre interrogation, c’est le consommateur lui-même, plébiscitant depuis toujours la qualité et l’utilité de nos contenus avec près de 4 millions de pages vues en 2017. Il suffit d’interroger nos clients, ce sont nos meilleurs ambassadeurs.

Case.one : Vous offrez un service juridique à un prix bas en un temps record. La promesse est séduisante, pouvez-vous nous donner un exemple concret ? J’ai commandé un produit en ligne, il est défectueux et le vendeur refuse de me rembourser. Quel coût, combien de temps et quelles chances de succès pour obtenir le remboursement de ma commande : A) en ayant recours aux services de votre plateforme de résolution de litige en ligne ? B) en ayant recours à un avocat ?

Yoni Ohana : Il existe une garantie légale de conformité obligeant le vendeur à répondre d’éventuels défauts du bien ou de son emballage par exemple. À réception d’un produit défectueux ou non-conforme à la commande, Litige.fr permet d’envoyer gratuitement une lettre de mise en cause au commerçant. Sans réponse favorable sous 8 jours, Litige.fr permet d’engager une procédure amiable (mise en demeure avec AR) et/ou judiciaire (saisine du Tribunal d’Instance), directement par Internet et sans avocat, pour 89,90 € TTC.

Pour connaître les alternatives et modalités que proposent les avocats pour de tels litiges, il convient de les interroger directement.

Case.one : Selon vos commentaires client, vous avez gagné contre des poids lourds du commerce tous secteurs confondus — Castorama, Axa, SFR… Votre plateforme marque-t-elle la fin du rapport d’inégalité entre consommateurs et grands groupes ? Quel pourcentage d’issue favorable après l’envoi d’une simple mise en cause ?

Yoni Ohana : Litige.fr met entre les mains des consommateurs des moyens de pression juridique jusque là employés par les grands opérateurs économiques contre leurs clients. Le recours individuel face à un géant du e-Commerce est aujourd’hui totalement démystifié.

Nous publions régulièrement des baromètres sectoriels permettant d’informer le consommateur sur les bons et mauvais élèves du customer care.

Les décisions de justice obtenues et la data collectée ajoutent une pression supplémentaire aux grands groupes, qui ne peuvent plus miser sur la propension du consommateur à renoncer à faire valoir ses droits.

Le recours juridique est à portée de clic.

Case.one : Parmi les arguments en faveur du recours à un avocat, la mise en jeu de sa responsabilité civile professionnelle et sa qualité de conseil. Quel intérêt dans le cadre de la résolution d’un litige du quotidien ? Vous ne garantissez aucunement l’issue favorable du litige, mais l’avocat non plus. Alors quelle valeur ajoutée pour le professionnel du droit ?

Yoni Ohana : Le justiciable est libre de choisir d’agir seul ou accompagné par un professionnel du droit. Il appartient à tout professionnel de convaincre son client.

Case.one : Nombreux sont vos concurrents à pratiquer une politique « no win no fee ». C’est un atout de plus en leur faveur, dans un Etat où les avocats ont l’interdiction de conditionner le paiement de leurs honoraires à l’issue favorable du litige. Vous semblez précurseur dans de nombreux domaines, alors pourquoi ne pas avoir opté pour ce business model à l’image moderne ?

Yoni Ohana : Notre lettre de mise en cause est gratuite. Pour les 25 à 30% de nos utilisateurs qui règlent leurs litiges gratuitement, c’est « win and no fee ».

Case.one : La grande majorité des startups de la LegalTech s’adjoignent les services de professionnels du droit. A aucun moment vos plateformes ne proposent de mettre le justiciable en relation avec un avocat. Vous ne faites pas non plus partie des signataires de la Charte Ethique Open Law. Vous ne croyez pas à une forme de « partenariat » gagnant-gagnant entre startups de la LegalTech et avocats ?

Yoni Ohana : Nous avons toujours souhaité travailler avec toutes les professions de droit et un très grand nombre d’avocats nous sollicite en ce sens. La question devrait être posée à ceux qui, au sein des instances représentatives de la profession, s’emploient à multiplier les marques d’hostilité à notre encontre. En dépit de ces épisodes regrettables, nos portes leur sont ouvertes.

Case.one : Avec la mise en ligne imminente (?) de l’ensemble de la jurisprudence française, la justice prédictive s’annonce utile et performante. Envisagez-vous de proposer cette prestation supplémentaire à vos clients ? Quelles évolutions tech pour vos plateformes dans les 3 années à venir ?

Yoni Ohana : Nous multiplions les travaux techniques destinés à offrir encore plus de service et d’aide au justiciable. Certains projets seront dévoilés dans les prochains mois.

Case.one : Des applications de la blockchain — notamment l’assurance Fizzy de Axa — semble mettre en péril les activités des startups. Votre avis sur la question ?

Yoni Ohana : Au contraire, la blockchain dont on ignore encore à peu près tout, offrira probablement des perspectives et opportunités démultipliées pour les acteurs du digital.

En résumé sur l’interview de M. Yoni Ohana, co-fondateur de Litige.fr :

- Une grande majorité des LegalTechs se mettent in fine au service des avocats. Litige.fr semble adopter une position différente : la plateforme cible directement et en premier lieu les justiciables — qui leur rendent bien. Sans pour autant fermer ses portes aux professionnels du droit.

- Dans un contexte où les avocats sont de plus en plus nombreux à adopter une position win-win avec les startups tech, certains professionnels du droit restent réfractaires à la LegalTech et continuent de marquer leur hostilité envers les startups.

- L’hyper information des consommateurs sur leurs droits, associée aux services juridiques facilement accessibles et aux implications du processus de e-réputation, sont autant d’armes à disposition des consommateurs pour se défendre contre les grands groupes en cas d’abus.

- Au service des justiciables, les startups de la LegalTech permettent de rétablir un rapport d’égalité entre consommateurs et grands groupes d’une part, entre clients et avocats d’autre part — dans la mesure où le client est désormais libre de choisir, pour certaines prestations juridiques, d’avoir recours à un service dématérialisé et moins cher. Tout cela dans le sens de la démystification des monopoles.

- Justice prédictive et blockchain, les nombreuses avancées technologiques sont autant de promesses d’innovation par les LegalTechs. Qu’on attend avec impatience.

--

--

Case.one France

Le logiciel de gestion dédié aux avocats. Un outil en ligne pour gagner en efficacité. https://case.one/fr