Lettre ouverte à Laurent Alexandre

CATHERINE COSTE
Chroniques biomédicales
11 min readNov 25, 2017
Twitter, 25 novembre 2017

Bonjour Dr. Laurent Alexandre,

Vous ne me connaissez pas mais comment ne pas vous connaître quand on suit de l’étranger l’actualité française ? N’ai malheureusement pas pu lire votre dernier livre et vous entendre lors des débats des sessions organisées par la dream team Hello Tomorrow à Paris tout récemment, ce que je regrette — suis sur des projets “science et société CRISPR” pour Facebook Japon, initiative lancée par le labo Doudna en Californie.

Emmanuelle Charpentier, biologiste Française, une des personnalités scientifiques les plus en vue sur le plan mondial pour sa co-découverte de CRISPR, outil biologique et informatique permettant de modifier le génome de tout organisme vivant.

Voici ma question pour vous dans le domaine de la santé. Je suis le travail d’ingénieurs chinois sur des sujets de xénotransplantation — comment obtenir des organes transplantables chez des humains en passant par les cochons, grâce aux dernières avancées en biologie avec CRISPR. Par ricochet, j’écoute le discours du président Xi Jinping aux armées d’ingénieurs qui constituent les forces vives de la nation de l’Empire du Milieu. 80% des cadres du Parti sont des ingénieurs scientifiques diplômés. Le MIT a son centre d’innovation à Hong Kong depuis 2005, et compte ouvrir un autre centre sur Pékin et Shanghai d’ici cinq ans. Source : MIT Chief conférence annuelle 2017

Et du coup ma question, vous me voyez venir avec mes gros sabots, qui porte sur la technicité de la e-santé. Mon génome sur mon iPhone et tout ça … Quelle est la technique derrière ? Je parle au présent car côté Chine on a déjà la réponse, on travaille à la mettre en place. Maintenant, passons côté USA. Illumina, le géant biotech californien, aux dires de certains, nous pond des applis sur le modèle astrologie et ADN (ce qui fait rire les Chinois je pense). Et voilà que je trouve cette info sur la startup “Frenchie” Portable Genomics sur le mur Facebook de notre blogueur national et @nthropologue Jean-Michel Billaut :

“Portable Genomics lance son application Nume au niveau mondial sur l’appstore d’Apple ... Portable Genomics lance une beta publique de son Application iPhone NuMe, destinée dans un premier temps aux patients Mucoviscidose. Elle permet à ces patients de collecter un ensemble de paramètres liés à cette maladie génétique, mais aussi aux maladies respiratoires en général, de les partager avec leurs proches et personnel de santé, et de décider s’ils le souhaitent ou pas, de participer à des projets de recherche académiques ou industriels.

Inscription à la beta ici: http://nume.website

D’une façon générale, cette application est destinée à tous les patients qui souhaitent collecter et sauvegarder leurs données de santé, leurs données génétiques ou génomiques, leurs données de vie, et autres objets connectés, de façon privée et sécurisée sur leur iPhone. Pas chez Portable Genomics, dont la charte de confidentialité est très claire, nous ne collectons pas de données de santé, nous ne stockons pas de données de santé, les patients le font, de leur côté, sur leur mobile et sur leur nuage personnel pour leur sauvegarde personnelle.

Cette application est destinée aux patients qui souhaitent accélérer une médecine de précision, basée sur l’accès et le partage de leurs données avec les institutions de soins, de recherche mais aussi industrielles.
C’est une application contrôlée entièrement par les utilisateurs, qui stockent les données sur leur propre mobile et non pas dans un nuage institutionnel, qui décident de partager ou pas leurs données avec des tiers académiques ou industriels, et qui sont associés aux revenus chaque fois que la monétisation de leurs données peut être réalisée. Pas de monétisation cachée. Un patient participant à un projet pharmaceutique sollicitant ses données, est clairement informé du pourquoi de l’étude, des données nécessaires, de la durée de l’étude, et du montant de sa rétribution, avant même d’envoyer ses données qui restent privée et stockées sur son mobile.

A l’ère de la médecine de précision, de la génomique et des intelligences artificielles, sans données, point de succès. L’accès à ces données et leur valeur sont de véritables enjeux scientifiques et commerciaux.
Ces données appartiennent aux patients, ils en sont les propriétaires, ils les ont payées, l’application de Portable Genomics leur donne le contrôle total sur leurs données et le moyen d’être au coeur des business modèles qui se dessinent pour la médecine non pas de demain mais d’aujourd’hui.”

Vous noterez que Nume est basé sur l’apps Testflight d’Apple
https://developer.apple.com/testflight/

Il s’avère que Portable Genomics prévoit comme outils techniques le stockage de ses variantes ADN hors cloud, hors connection, et pour échanger des données et les monétiser, côté patient, il y a la blockchain :

“Dans notre process, un couche blockchain rajoute cryptologie et traçabilité à un paquet de données. En clair, l’utilisateur envoie ses données vers l’extérieur, il les encrypte automatiquement et rajoute un traceur, c’est la technologie blockchain. Ses données sont protégées à la sortie de chez lui, et il a le moyen de s’assurer qu’elles sont bien arrivées et utilisées pour ce qu’il a décidé d’en faire, et si paiement il y a, il en a une traçabilité aussi. Le côté décentralisé de la technologie blockchain gère ces histoires de clés. des spécialistes pourraient en parler mieux que moi.

Protéger son génome sur un cloud ? pourquoi pas le stocker chez soi plutôt, déconnecté, ça c’est une bonne protection. C’est ce que permet la plateforme technologique de Portable Genomics. Ensuite, lorsqu’on a besoin de partager ses données avec les professionnels de la santé (ceux capables de s’en servir), ou besoin de partager avec des institutions académiques ou universitaires ou médico-hospitaliers type CHU (dans le cadre de la recherche) ou avec des industriels (pour monetiser ses données, et ça peut valoir jusqu’à 20.000 dollars et plus), alors il suffit de rajouter une couche Blockchain pour assurer traçabilité et paiement. C’est ça aussi Portable Genomics.” Propos recueillis auprès du fondateur de la startup Portable Genomics, le biologiste Bordelais Patrick Merel, installé à San Diego depuis 2010.

Pour tout ce que préparent la Chine (iCarbonX & Tencent) et sans doute Amazon et Apple, dans un avenir proche dans certains cas, on se dirige vers des solutions techniques plus onéreuses …Il faut stocker le génome complet et toutes les annotations relatives à ce dernier en mode crypté dans un cloud privé, avec des clés de chiffrement et de déchiffrement (pour le stockage et le transit) qui sont multiples, et partagées par différents acteurs du modèle économique, patient inclus … Cela coûte évidemment un brin plus cher que les solutions techniques de Portable Genomics, mais Tencent a les moyens … L’argument est de dire que dans certains cas, comme le cancer du sein et la mucoviscidose, quelques mutations génétiques avérées et connues donnent la maladie. Les fameuses variantes. Là, le modèle de Portable Genomics me paraît très utile. Pour l’avenir, la recherche s’achemine vers le séquençage complet du génome, à cause des fameuses manettes de commande, qu’on connaît encore très mal … l’épigénétique et tout le tintouin… Car pour bien des maladies, et pour faire de la prévention, ce n’est pas une simple poignée de mutations qui fait tout … Il faut bien plus de facteurs déclenchants, répartis sur l’ensemble du génome (l’équivalent de la carte du monde). Mais nous sommes encore très loin de connaître, déchiffrer et interpréter l’ensemble des données de l’ADN de tout un chacun (génome) … Et pour un génome complet et tout ce qu’on pourra faire avec, il faudra des clouds, des data cryptées, des clés de chiffrement et de déchiffrement, distinctes et multiples, en plus de la blockchain, qui dans ce système joue le rôle de l’enveloppe cachetée ou du notaire… Pour démarrer avec de l’actionnable, néanmoins — car nous sommes encore loin de déchiffrer l’ADN complet, du moins aujourd’hui — , le modèle de Portable Genomics me paraît être un des meilleurs qui soient. Que fait Illumina Inc. à San Diego ? Pourquoi n’ont-ils pas déjà adopté ce système ? Mystère … Portable Genomics a un biz modèle équitable et très bien pensé ; un chantier cher aux Français : développer un parcours de soins (et de prévention) centré autour du patient. Un comble d’avoir dû s’exiler aux USA pour pouvoir mener à bien ce projet si “Frenchie”, non ?

OpenHealth est la 1ère société privée dont l’entrepôt de #donnéesdesanté est autorisé par la @CNIL au titre de l’intérêt public.
Source : compte twitter @OPENHEALTH_Co 23 novembre 2017

“Carenity et autres PatientsLikeMe veulent comme Portable Genomics aider les patients et faire avancer la recherche. Seulement nous n’avons pas le même modèle économique. Sur les premiers, les données dé-identifiées sont collectées et monétisées, sur le dos des patients. Notre plateforme n’accède pas aux données des patients, et les associe aux revenus lorsque monétisation il y a, dans un échange de données directement entre les patients et l’acheteur de données.” (Merel, 24 novembre 2017).

Personnellement, je m’intéresse à la solution Portable Genomics car n’ai pas très envie que mes données appartiennent au gouvernement chinois. Mais quand CRISPR, l’outil informatique et biologique permettant de modifier le génome humain, sera online — voir la société innovante basée à Londres et à Boston, Desktop Genetics — , il faudra bien que mon genome le soit aussi, pour recevoir les mises a jour ;-)

Donc, Dr. Laurent Alexandre, après cette pointe d’humour sur le modèle de stockage off-line des données ADN par Portable Genomics, je voulais soumettre à votre sagacité le biz plan de Portable Genomics. Propos recueillis auprès de Patrick Merel le 24 novembre 2017 :

“Blockchain est juste une technologie de sécurisation et traçabilité des données dont la génomique va pouvoir bénéficier. Ne pas confondre Blockchain avec les crypto-monnaies, chose que fait souvent le grand public. Les crypto-monnaies utilisent Blockchain. Ceci dit, nous avions déjà introduit dans notre ‘pour le fun’ l’App GeneGroove, une technologie d’anonymisation réelle des données de génome, patent pending.”

Anonymisation réelle ? Cela existe vraiment ? Des généticiens américains prétendent pourtant le contraire. Génétique et anonyme, cela semble contradictoire. La réponse de Portable Genomics :

“Les données de génome telles qu’elles sont publiées sur les sites open access sont simplement dé-identifiées, et effectivement le MIT a montré qu’on pouvait remonter aux individus et à leurs adresses quand-même. Notre brevet extrait les parties uniques de notre génome et les encrypte dans une clé qui ne permet plus de revenir aux données complètes de génome, afin de pouvoir utiliser son génome dans des applications publiques, sans se dévoiler génétiquement.”

Pour rappel au lecteur, ne pas confondre séquençage complet du génome (votre ADN) et listes de variants. Quand on se fait séquencer tout son génome, on obtient notre sequence d’ADN et la liste des différences repérées (la liste des variants). Cette liste est bien évidemment plus grande si on se fait séquencer son génome entier, que si on se fait séquencer son Exome (les parties codantes de nos gènes), ou simplement une partie de notre génome, comme le font 23andMe et DNA Ancestry. Plusieurs sociétés aux US, mais aussi en Belgique, proposent des analyses partielles de génome, qui ciblent la plupart des gènes connus pour être liés au développement de certains cancers, dont BRCA1/2 (cancer du sein). En France, les hôpitaux proposent ces tests seulement aux malades et personnes ayant un historique familial “cancer”. Il faut de 12 mois à 24 mois pour accéder à ces tests puis aux résultats en France. Ce n’est bien évidemment pas le cas ailleurs (USA, Singapour, Hong-Kong).

Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre ce que fait la Chine en ce moment — et donc en suivant les Apple et Amazon : les solutions techniques plus onéreuses se préparent. Stocker le génome complet et toutes les annotations en mode crypté dans un cloud privé, avec des clés de chiffrement et de déchiffrement (pour le stockage et le transit) qui sont multiples, et partagées par différents acteurs du modèle économique (patient inclus) … Ce serait bien pour les USA et pour l’Europe de démarrer maintenant (ping Illumina Inc.), avec le modèle Portable Genomics, plus basique et opérationnel de suite, et qui tient la route … La Chine va avoir bientôt ses propres séquenceurs si ce n’est déjà fait (plus besoin d’Illumina). iCarbonX aura tout l’argent nécessaire (via Tencent) pour racheter Oxford Nanopore, compagnie innovante de séquençage du génome basée à Oxford UK, ou du moins travailler avec eux, et Oxford Nanopore va sans doute dépasser Illumina… du moins c’est ce que certains disent … Bon, mais qui peut dire l’avenir ? Comme vous, Dr. Alexandre, je voudrais éviter le naufrage technologique de l’Europe en matière de données génétiques, lesquelles bien évidemment sont liées à la sécurité nationale. D’où ma question, j’y viens presque : pensez-vous qu’on puisse démarrer en Europe tout de suite avec les solutions onéreuses et ambitieuses : stocker le génome complet et toutes les annotations en mode crypté dans un cloud privé, avec des clés de chiffrement et de déchiffrement (pour le stockage et le transit) qui sont distinctes et multiples ? Ou bien doit-on se tourner vers un modèle opérationnel et mois onéreux qui nous permet de démarrer tout de suite ? J’ai poursuivi mon entretien avec le fondateur de Portable Genomics hier soir, lui demandant un petit scénario BRCA1/2 (cancer du sein) :

“Les femmes qui ont des données de phénotype, et qui veulent bien vendre leurs données via notre plateforme — si les industries pharmaceutiques sont prêtes à payer + de 10.000 dollars des données de phénotype et de génotype — , alors à ces femmes, je vais leur payer un test, et ensemble on vendra les données et on partagera les revenus. Exemple, avec celles qui ont déjà du phénotype+génotype, on partagera 50/50, avec celles qui n’ont que du phénotype, je leur paye un test, et on partagera les revenus, 70/30.

Avec un modèle économique de partage des revenus de la monétisation des données, il est possible d’envisager une distribution gratuite de ce type de tests. Je m’explique, les données BRCA1/2 en soi ne valent pas grand-chose. Des données de lifestyle, des données d’historique familial, des données de traitements, associées à des données de BRCA1/2, sont d’une très grande valeur scientifique ET économique, vraisemblablement au-delà de 10.000 dollars par dataset, sur le marché pharmaceutique. Les patientes qui collectent des données de style de vie, des données d’historique familial, des données de traitements médicaux et qui sont prêtes à les monétiser avec nous via notre plateforme, si nous pouvons les vendre 10.000 dollars à condition d’y rajouter un test BRCA1/2, et partager, à 50/50, les revenus, alors Portable Genomics pourrait sponsoriser les test BRCA1/2 aux femmes qui n’en ont pas. Un moyen d’accéder gratuitement à des données génomiques, tout en monétisant ses propres données pour en retirer un revenu.

Si les A.I. prennent le pouvoir, la valeur des données sera beaucoup plus grande que celle des tests eux-mêmes, donc, celui qui donne les données gratuites aux patients, ensuite il s’associe aux patients pour les revendre aux A.I. et autres boîtes qui en ont besoin pour leur business.

D’ailleurs, cette situation est déjà vraie : la valeur des données est plus grande que celle du test en lui-même, c’est-à-dire qu’un génome à moins de 600 dollars, c’est ce que les Chinois sont capables de proposer aujourd’hui. Rappel, 20.000 dollars le genotype 23andMe vendu à Genentech en 2014.”

Enfin, ma question pour vous, Dr. Alexandre. Vous en pensez quoi, du biz plan de Portable Genomics ? Personnellement, je prévois de faire séquencer mon génome — et interprétation médicale — par Veritas Genetics, et j’aimerais bien un système de médecine mini-invasive assistée par e-patient (ma pomme) sauce Portable Genomics, pour pouvoir stocker mes données médico-génétiques et autres “lifestyle”, et commencer à les monétiser …

Catherine Coste

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Member of the Walking Gallery of Health Care, founded by US activist Regina Holliday

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CATHERINE COSTE
Chroniques biomédicales

MITx EdX 7.00x, 7.28.1x, 7.28.2x, 7.QBWx certified. Early adopter of scientific MOOCs & teacher. Editor of The French Tech Comedy.