Votre médecin est-il l’idiot utile de la Sécu ? (et la solution)

CATHERINE COSTE
Chroniques biomédicales
15 min readMar 26, 2018
Votre médecin, tel le poinçonneur des Lilas, se transforme en dactylo pour faire de la saisie de données … Image : https://www.cdandlp.com/serge-gainsbourg/le-poinconneur-des-lilas/cd/r115777023

Je dédie cette petite fiction à Jean-Michel Billaut et à Fabrice Bellard.

Dans une ville de taille moyenne en France, un programmeur informatique de génie patiente chez son médecin pendant que celui-ci saisit des données à son ordinateur. Fabrice est agacé. Cela fait la nième fois qu’il patiente chez son médecin. Un bac +10, 20 ans de métier, qui fait de la saisie informatique de base. Du temps et de l’argent perdus. C’est la Sécu qui paie, donc indirectement, lui, le contribuable. Son oeil d’informaticien voit bien ce qui se passe. Des données structurées, et leurs métadonnées qui en découlent, confisquées par le laboratoire d’analyses médicales, qui envoie les données sous formes de fichier PDF. L’ordinateur ne sait plus structurer les données sur ce document PDF, et donc le médecin est obligé de tout saisir à nouveau manuellement sur son ordinateur. Pure perte de temps. Des données structurées, c’est quand l’ordinateur reconnaît le texte et la valeur numérique, peut les différencier, et est à même de distinguer et de déchiffrer la chaîne de caractères NOM et la chaîne de caractères VALEUR.

Or dans le document PDF, ces messages sont brouillés pour l’ordinateur, à dessin. Tandis que pour le cerveau humain, tout se passe bien. On voit clairement la date (sans confondre le jour et le mois), et la structure — chaîne de caractères NOM et chaîne de caractères VALEUR. Le médecin de Fabrice saisit patiemment les valeurs.

TSH: 3,4. Comme les données sont destructurées, impossible pour le médecin de lancer une recherche, par exemple pour extraire la valeur TSH de Fabrice sur les trois dernières années, parmi l’ensemble de données hétéroclites relatives à différents paramètres relevés dans toute une collection d’analyses de sang effectuées sur ordonnance, en laboratoire médical. D’où l’étape de saisie manuelle, à réaliser … par le médecin. Sur document papier PDF, les données sont inexploitables. Fabrice en fait la réflexion à son médecin.

“ — Je suis bien d’accord que c’est du temps perdu, cette saisie manuelle,” lui dit ce dernier. L’informaticien lui touche deux mots concernant les solutions techniques possibles pour ce problème, et le médecin le branche sur sa réunion pizza du mardi soir :

“ — Deux mardis par mois, on se réunit, des médecins geeks et moi, leur aîné, ainsi qu’un petit éditeur de logiciel. Mais on tourne en rond, parce qu’il y a ce fameux DMP, dossier médical personnalisé, qui est à la fois là et pas là, ce qui bloque tout le monde, y compris les investisseurs. Venez demain soir si vous pouvez, c’est à deux pas d’ici. On se réunit à 21 heures. Vous pourrez prendre la température, ils vous expliqueront tout ça bien mieux que moi.”

“ — Volontiers,” dit Fabrice. Il était désireux de comprendre le contexte et les besoins des uns et des autres, étant donné son peu de connaissances du monde médical, très fermé.

Les pizzas sont bonnes, mais tièdes. Le four pour les réchauffer ne marche pas bien, les estomacs s’impatientent. Tant pis, on mange les pizzas tièdes. Au moins la bière est bien fraîche. Tiens, c’est de circonstance, vu que c’est la Saint Patrick aujourd’hui. La seule pizza à être chaude a été apportée par Fabrice. Elle est dévorée en un clin d’oeil, mais c’est une quatre parts et ils sont une petite quinzaine… Il est clair que les médecins n’ont pas le moral. Ils perdent beaucoup trop de temps dans des corvées administratives pour personnel non qualifié. L’argent s’engouffre dans cette brèche, à force d’hémorragies répétées c’est tout le système qui se retrouve en anémie, et le patient avec. Pendant qu’on mange, les discussions partent un peu dans tous les sens. Certains geeks ont entendu parler de Fabrice.

“ — Hé cher collègue, c’est un gros poisson que tu nous ramènes là. Bonne pioche !”

Dans la salle de réunion, il y a un petit tableau blanc et des feutres de couleur, bleu et rouge. Fabrice s’en empare et trace deux cercles …

On parle de ce protocole, justement. Pour que des données structurées puissent circuler du labo pharmaceutique d’analyses médicales au patient, ou du patient à son médecin, donc à chaque fois en binôme, de l’un vers l’autre, il faudrait un fichier XML.

“ — Il faudrait que le labo envoie un fichier XML au patient, on le sait depuis longtemps, mais ça …”, dit l’un des médecins.

“ — Ou un lien URI (http://) vers un fichier XML…”

“ — Ou bien au labo ils impriment un QR code sur la feuille de résultats, qui reprend toutes les données structurées et les métadonnées. Le médecin n’a plus qu’à flasher ce QR code avec une application pour récupérer les données structurées.”

Les idées fusent. On voit que les toubibs geeks ne sont pas à court d’idées. En effet, le PDF imprimé remis à son médecin traitant la veille par Fabrice est le fruit de deux étapes de destructuration des données. Le QR code et le fichier XML seraient un moyen de mettre des données structurées sur une feuille de papier. Sans perdre la structure. Un bon moyen pour imprimer des données sans en perdre la structure, lisible par l’ordinateur. Mais rien ne se fait, et le médecin de Fabrice fait dactylo payé par la Sécu, avec les données des patients … Il n’a pas de connaissances informatique pointues, contrairement à certains de ses collègues, mais il connaît bien le marché. Il fait une brève synthèse de ce qu’il a mis des années à saisir, analyser, confronter à l’épreuve des faits. Un résumé axé sur deux mots : au pire, blocage ; au mieux : lenteurs. Ses collègues connaissent déjà le refrain et la chanson, mais Fabrice connait mal, voire pas du tout, le marché des éditeurs de logiciels pour médecins et laboratoires pharmaceutiques, encore moins tout ce qui relève de la médecine numérique récente, avec le dossier patient “HealthKit” par Apple. Au-delà du buzz, s’entend …

“ — Il va te chanter Le poinçonneur des lilas de Gainsbourg, franchement t’avais rien de mieux à faire ce soir que de venir écouter ton toubib pousser la chansonnette ?”

“ — Haha”

“ — Allez c’est parti !”

Le médecin de Fabrice, qui ne manque pas d’humour, s’incline devant l’auditoire et fait le geste de tenir un micro, comme s’il allait effectivement chanter.

“ — Pourquoi à l’heure qu’il est, le patient ne récupère-t-il pas ses données sous forme de fichier XML ou de lien vers ce fichier ? Je dis toujours : entre la théorie du machiavélisme et celle de la bêtise, préférez la bêtise, mais je suis sûr que Churchill, ou Roosevelt, ou Daredevil l’ont dit avant moi. L’entreprise qui développe le logiciel pour le laboratoire d’analyses médicales et celle qui développe le logiciel pour le médecin sont souvent une seule et même entreprise. Pourquoi choisit-elle de faire transiter ces informations entre les deux logiciels par des données destructurées, vides de métadonnées ? Vous allez me dire, tout le monde attend le DMP et ce sera son rôle de faire ça. Question : dans le DMP, pensez-vous qu’on considère que les données appartiennent aux patients ? pas sûr. Bref, pour résumer bien des tiraillements et des échecs ou inaboutissements qui ont coûté cher au contribuable mais rémunéré bien des consultants SSII ou ESN — entreprise de services du numérique — le DMP, on n’a pas confiance en lui, mais en même temps il est dans l’air du temps et ça bloque tous les autres investissements, toutes les autres avancées. C’est un cercle vicieux. Il y a un blogueur français qui parle de l’X-road estonien, selon lui en Estonie les gens ont leurs données structurées, ou vont pouvoir les avoir.”

L’auditoire paraît impressionné. Fabrice ne l’est pas trop. Il s’explique :

“ — Le BlueTooth est une technologie qui permet de transmettre de l’information structurée sans internet, d’iPhone à iPhone. En l’occurence, ça peut être une photo. Apple le fait car il veut vendre ses iPhones, mais ça pourrait aussi bien être Google, Amazon, ou …”

“ — Ou Fabrice Bellard,” dit quelqu’un.

“ — Donc avec du BlueTooth on peut transmettre des données médicales structurées de patient à toubib, comme on se transmet des photos d’iPhone à iPhone sans passer par l’internet.”

“ — Oui, mais entre un téléphone Google et un téléphone Apple, il suffit que WeChat ou Skype décide de le faire.”

“ — Sauf que Skype et WhatsApp peuvent pas marcher sans internet.”

Fabrice continue à les laisser discuter entre eux.

“ — WhatsApp pourrait rajouter une fonctionnalité qui permet d’échanger de la data structurée, des photos, par exemple, même si on n’a pas d’internet.”

“ — Ouais. Mais WhatsApp peut se servir au passage.”

“ — Avec Apple, personne ne les voit passer, les échanges de photos. Pas d’espionnage possible. Ca passe pas par internet.”

Le médecin de Fabrice intervient à son tour :

“ — WhatsApp veut te vendre de la connectivité à internet. Apple veut te vendre un iPhone.”

“ — En résumé, ce qu’on veut, c’est un développeur qui développe une app médicale dont le but est d’échanger des données structurées entre deux personnes qui sont dans la même pièce. Le patient et son médecin. Un produit qui nécessite de faire communiquer des ordinateurs deux par deux — labo/patient et patient/médecin.”

“ — La solution, c’est de passer par le patient, et non dans son dos. Hier, je me trouvais avec mon patient, Fabrice ici présent, et je cherchais à avoir l’historique de sa TSH depuis trois ans. Il me fallait écrémer manuellement 20 documents PDF imprimés et 200 paramètres qui en l’occurence ne m’intéressaient pas. Le tout dans une consultation de 20 minutes, en étant interrompu par quatre coups de fil, dont une urgence, et une patiente venue chercher une ordonnance que je lui devais …”

“ — Et une fois que t’as la data, la recherche ne fait que commencer, or t’es déjà à la bourre pour démarrer la consultation suivante. Game over. Tant pis pour le saint graal, le diag.”

“ — Le diagnostic médical,” explique quelqu’un à l’attention de Fabrice.

“ — Il faut un industriel qui fasse un produit qui permette de passer l’information structurée de l’autre côté. Il faut que cet industriel définisse un protocole de communication,” dit Fabrice. Il donne un exemple :

“ — Le jour de la rentrée scolaire, le professeur dit aux élèves : à l’appel de votre nom, dites votre date de naissance et le métier de vos parents. On a défini un protocole de communication entre le professeur et les élèves lors du premier cours.” Il explique ensuite :

“ — Si c’est l’éditeur qui conçoit ce protocole, ce sera un protocole dit propriétaire. C’est-à-dire que le protocole sera la propriété de cet éditeur-là. Parfois, ce protocole est conçu avant toute application pour permettre ensuite le développement d’applications et de produits qui vont l’utiliser.”

Le médecin de Fabrice répond :

“ — Comment ces données sortent du système informatique du laboratoire d’analyses médicales et comment elles rentrent dans celui du médecin, voilà ce qui est compliqué. Le protocole, c’est échanger des données santé entre deux parties. Ce protocole peut être conçu par un groupement industriel éventuellement organisé en organisme de normalisation — les fameuses normes ISO, par exemple, visant à établir et maintenir des normes destinées à des utilisateurs extérieurs à cette organisation. Ou bien, deuxième solution, ce protocole peut être conçu par un individu tout seul. Aux USA, Aaron Swartz a conçu un protocole pour échange de données. Tous ceux qui s’abonnent à des flux RSS de blogs, par exemple, l’utilisent aujourd’hui.”

Son patient intervient :

“ — Sauf que ce protocole n’est pas aussi utilisé qu’il le pourrait, aujourd’hui, car il ne fait pas les affaires de Facebook qui refuse d’utiliser ce protocole open access, car on le sait tous, Facebook veut contrôler ce que nous voyons. Laisser l’utilisateur contrôler ce qu’il voit ne fait pas leur affaire. Comment te vendre de la pub ensuite si eux ne peuvent pas contrôler ce que tu vois ?”

“ — Dans leur idée, ils le feront mieux que toi,” répond le toubib. Médecin et patient se connaissent depuis plus de 15 ans et se tutoient. 15 ans que son médecin suit Fabrice pour ses problèmes de thyroïde.

“ — Mais pourquoi on parlait de RSS, là ?”

“ — Ben c’est un protocole de communication qui remplit le même besoin : faire communiquer deux parties en gardant de l’info structurée. Ou la structure de l’info, comme tu voudras.”

Fabrice qui a suivi ces échanges commence à réfléchir. Parfois, il faut contourner les acteurs en place pour pouvoir améliorer les solutions, sans leur consentement. Ce que justement Swartz, étudiant du MIT, avait fait. Il réfléchit :

Il faudrait que je développe une application qui analyse les données en format PDF pour ensuite les remettre en données structurées. Une application vendue pas cher dans l’AppStore…

“ — Vous parlez tout le temps de rajouter de la structure. C’est quoi, rajouter de la structure ?”

“ — Dans l’exemple TSH = 3,4, c’est dire que 3,4 c’est une valeur numérique, par exemple, et pas un nom.”

Fabrice poursuit ses réflexions :

L’application devra analyser le document PDF et reconstituer la structure des données sans passer par la phase OCR. Ce qui me permettrait d’avoir mes données structurées dans mon téléphone. Il faut une application qui tourne sur l’ordi du médecin et qui puisse rentrer les données dans l’application du médecin. Oui, l’application devra faire la saisie. C’est-à-dire : comment elle fait si l’application du médecin n’est pas prévue pour faire la saisie ? Eh bien, elle simulera les touches du clavier. Une application qui fait la saisie, y a déjà des tas de logiciels qui font ça, la saisie à ta place …

“ — Il faudrait jouer les franc-tireurs, c’est ça ? Contourner l’application du labo et celle du médecin pour forcer l’application information du labo et l’application information du médecin à communiquer, via le téléphone du patient ? Le tout en utilisant un protocole ouvert … open protocole.” Un des toubibs geek a posé la question. Fabrice ne réagit pas trop, il est toujours dans l’écoute des besoins et attend qu’on lui explique pourquoi dans le marché actuel, aucun acteur ne s’est emparé de ce cahier des charges … Pour le moment, tout ce que fait cet informaticien de génie, c’est collecter de l’information. Son médecin continue ses explications :

“ — C’est le process du bootstrap, comment on démarre le truc ? Le DMP bloque tout. Il est à la fois là et pas là. Comment un industriel peut contribuer à débloquer le truc, car c’est dans son intérêt ? Il va faire un logiciel pour le médecin, un pour le patient et un pour le labo. On peut imaginer qu’il fasse communiquer les trois, à condition …”

“ — … qu’ils soient tous sur Apple.”

“ — Apple fait un HealthKit pour le patient et fait venir de plus en plus de monde dessus, en tout cas il essaie, c’est le but du jeu. La stratégie d’Apple, c’est de mettre un HealthKit dans tous les téléphones. Petit à petit, les développeurs vont être tentés de l’utiliser car ils vont y trouver un avantage. Apple démarre avec des applications fitness, tout ce qui n’est pas très impliquant. Les petites applications qui ont du mal à démarrer mettent les données dans le HealthKit pour pouvoir rassurer leurs clients et leur dire : Vous voyez, je ne stocke pas vos données, et elles sont accessibles à d’autres. Apple espère ainsi créer petit à petit un écosystème. A un moment, il y aura là-dedans les données des examens médicaux, c’est sûr. Mais avant d’en arriver là, ça va prendre du temps. Et surtout : ce sera un écosystème semi-ouvert. Propriété d’Apple.”

“ — C’est déjà mieux que ce qui nous pend au nez, ou plutôt, ce que nous avons aujourd’hui : un écosystème fermé, avec des labos et des médecins dont les logiciels ne peuvent communiquer que s’ils achètent tous deux le logiciel Schpunz, fabriqué par l’éditeur de logiciels médicaux Schpunz Inc. ou Sarl. Interopérabilité de ces logiciels certes, mais seulement entre eux. Et bien sûr, les logiciels bon marché vont venir se heurter à cet écosystème fermé. Les grands éditeurs vont garder les données captives, afin de ne pas les communiquer aux petits éditeurs de logiciels qui, s’ils étaient sur un pied d’égalité avec les grands, risqueraient de venir les disrupter.”

Fabrice continue à réfléchir :

L’autre solution, c’est un écosystème ouvert : on rédige un protocole de communication qu’on met à disposition de la communauté. Open access. Ca permet tellement de fédérer toutes les énergies autour de ce protocole que ça créé un écosystème. Le voilà, le parallèle avec le flux RSS créé par Aaron Swartz. Le bootstrap, ça consiste à mettre en place un protocole qui permet de faire communiquer tous les acteurs. On contourne les récalcitrants. Et comme personne n’aime être contourné, ça t’incite à collaborer. C’est comme ça, avec le protocole publié en open access. On met en oeuvre un protocole qui contourne les acteurs récalcitrants. L’écosystème se développe petit à petit.

Quelqu’un qui jusque là n’avait fait qu’observer Fabrice attentivement, sans intervenir car il connaissait déjà ces discussions, se mit à parler :

“ — Et le petit éditeur condamné à regarder les gros se goinfrer, c’est moi. Alors, ça vous inspire quoi, tout ça ?”, demanda Cédric.

Le médecin de Fabrice fit les présentations. L’informaticien expliqua qu’il était dans la phase collecte d’informations, lui permettant de mieux connaître le cahier des charges et l’écosystème en place, et d’envisager celui à créer.

“ — De ce point de vue là, c’est sûr que j’ai beaucoup appris ce soir.”

Le petit éditeur vint compléter le tableau :

“ — L’industriel aujourd’hui n’a aucun intérêt à faire communiquer le logiciel du laboratoire médical avec celui du médecin car il les vend très bien comme ça. Je prends toujours l’exemple du lave-vaisselle sans poudre. Ce n’est pas la peine de fabriquer et de commercialiser un tel produit ! Vendre celui qui utilise moins de poudre suffit. Vous devez avoir un pas d’avance sur vos concurrents ; pas cinq, sinon vous perdriez les consommateurs et vos actionnaires viendraient vous reprocher d’avoir dilapidé le capital par une gestion irresponsable. De même, avec son HealthKit, Apple a un pas d’avance, pas deux. Même s’il pourrait en avoir cinq. Les gros éditeurs de grosses applications pour les gros labos ne publient pas les données patients sous une forme que je peux utiliser parce que ça me permettrait de les concurrencer sur le marché des logiciels de médecins. D’ailleurs, l’application médecins faite par Microsoft est toute moche. Et surtout, elle peut même pas récupérer les données des laboratoires — l’app labos Microsoft. Les deux ne se parlent pas. Interopérabilité zéro. Comme ils savent que les petits éditeurs ne peuvent pas le faire non plus, ils ne le font pas. Mais si je me mettais à le faire, ils seraient bien forcés de m’emboiter le pas et de le faire, eux aussi. C’est l’idée du pas en avant. Ils peuvent faire cinq pas en avant mais n’en feront un, pour ne pas fâcher leurs actionnaires.”

Les médecins qui ont écouté font une drôle de tête.

“ — Ben mon vieux, on n’a pas fini de faire de la saisie pour la Sécu. Grouillot de base, bac + 10.”

“ — Eh oui, c’est le mot. Grouillot car tu te grouilles toujours entre deux patients.”

“ — Quand j’ai passé mon concours de médecine, on m’aurait dit que je passerai la moitié de mon temps à faire du secrétariat niveau bac …”

“ — Ah bon, parce qu’il y a besoin d’avoir le bac pour faire ce boulot ?”

“ — Je peux vous faire un POC,” finit par dire Fabrice.

Silence.

“ — Un … ?”

“ — Proof of concept.”

“ — A qui ? A nous ??”

“ — Mais non, il parle à Cédric.”

L’intéressé explique :

“ — Un POC c’est pour montrer à l’éditeur que c’est possible de le faire sans aide des gros concurrents.”

“ — Cédric, je vous fais une démo, dite POC, dans quelques jours pour montrer à votre boîte qu’elle n’a pas besoin de l’aide d’un gros pour débloquer le truc.”

Il ajoute :

“ — Moi je suis juste là pour débloquer le truc, hein ?Pas autre chose.”

Les autres ont beau le questionner, il n’en dit pas plus. Rendez-vous est pris pour mardi en quinze, même lieu même heure. On se fera un apéro diner, histoire de remercier celui que l’on nomme déjà “le héros”. Il s’est bien gardé de leur dire qu’il fera un protocole ouvert. Il a même laissé entendre le contraire.

Deux semaines plus tard, Fabrice rentre chez lui après la réunion, le sentiment du devoir accompli.

Le POC dont il a fait la démonstration à Cédric et aux médecins présents est un protocole de communication entre l’application du patient et celle du médecin. Un protocole ouvert et générique. Son code source est disponible sur GitHub. Quelques semaines plus tard, de petits éditeurs de logiciels et petits laboratoires d’analyses médicales utilisaient cette ressource, ce nouveau protocole. Puis, de plus en plus de laboratoires se mirent à l’utiliser, y compris les plus gros, car du coup, les gros labos et éditeurs de logiciels médicaux sont bien obligés d’emboîter le pas aux petits, qui de plus en plus utilisent ce protocole ouvert et générique. Si bien qu’à présent, ce sont les plus petits qui dictent la règle, et non les plus gros. Tout ça grâce à ce protocole qui existe et est utilisé par plusieurs petits laboratoires d’analyses médicales … Le coup de génie a été de faire un POC pour les petits, de les amener à utiliser le protocole ouvert. Les gros ont bien été forcés de suivre. Fabrice a introduit le cheval de Troie. Il a utilisé l’énergie des autres pour créer tout un écosystème. Lui, il s’est contenté de mettre en place les rails.

https://www.shredit.fr/fr-fr/home + https://www.cnil.fr/fr/rgpd-comment-la-cnil-vous-accompagne-dans-cette-periode-transitoire

Fabrice voit que ces directives concernent les éditeurs de logiciels pour les médecins, lesquels ont, de toute façon, à gérer ces questions, rien de nouveau. Quant à la solution en open access apportée par le programmeur, les données médicales sont dans le HealthKit d’Apple et dans le smartphone de chaque patient (stockage local sur le téléphone, donc pas accessible sur internet). Il peut s’agir d’un smartphone Google, Apple, etc.

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Catherine Coste

@cathcoste

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CATHERINE COSTE
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