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Celina Barahona
9 min readSep 12, 2016

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L’engagement, voilà un mot qu’on entend souvent dans nos métiers. Saint Graal des objectifs sur le digital, il représente le but à atteindre. Des « publics engagés », « l’amélioration du taux d’engagement », voilà ce qu’on recherche. Derrière cet énième anglicisme, sait-on réellement ce que la notion recouvre ? Plus encore, que devrait-elle signifier pour parvenir à dégager des stratégies efficaces ? Éléments de réponse.

Lorsque le terme engagement est utilisé dans nos métiers, il décrit le plus souvent une quantité de likes, de commentaires voire de partages (sans réelle hiérarchie entre eux d’ailleurs) sur une publication ou plusieurs publications (préalablement poussées par de l’achat d’espace ou pas). Le taux d’engagement consistera en un nombre d’interactions divisé par le nombre total de gens ayant été potentiellement exposés auxdites publications. Et donc en creux « l’engagement » est une extension de « l’exposition », c’est à dire qu’il mesure un nombre de réactions suite à l’exposition à un contenu (cela ne vous rappelle rien qui existe déjà depuis la création du marketing … ?). Une fois décrit de cette façon, on perçoit mieux la part d’arnaque intellectuelle dans l’emploi de cette notion.

Stop à la pensée magique : interagir n’est pas être engagé.

C’est un problème récurrent des notions venant des pays anglo-saxons, elles n’ont pas toujours exactement la même acception en français (un autre exemple : « culture » ou même « social media », « social networks »). Une fois importées dans l’univers professionnel français elle sont chargées naturellement, et malgré elles, d’un sens qui est souvent plus fort que le sens anglais. Et puis le besoin d’exister de certains consultants; les poussant à inventer des « concepts » à fréquence régulière, décrivant quasi systématiquement des principes anciens, en leur conférant une aura nouvelle. Tout ça fait qu’on se retrouve avec beaucoup de concepts et buzzwords dont, honnêtement, on ne sait plus trop ce qu’ils recouvrent, mais on les utilise quand même car ils sont devenus des éléments de langage partagés.

En français le mot « engagement » est chargé de sens : relation, lien, affection etc. De ce fait son emploi récurrent dans nos métiers laisse un peu planer l’idée sous jacente que des « publics engagés » seraient le signe de quelque chose de plus, quelque chose comme « un lien émotionnel entre la marque et les publics ». Et c’est évidemment ce que Facebook et consors ont usé jusqu’à épuisement : grâce à eux on avait déjà postulé qu’un simple abonné était un « fan ». Il n’y avait qu’un pas pour considérer qu’une interaction était de « l’engagement ».

L’engagement est, à ce jour, un KPI qui mesure un taux d’interactions sur une ou plusieurs publications auxquelles un public donné a été exposé. Aussi étonnant que cela puisse paraître, et humblement, pour les bannières ou emailings on avait appelé cela « taux de clic » ou « taux de réactivité ». Vous voyez comme un terme change la perception.

De l’exposition à l’engagement.

Alors bien sûr, on peut dire que « partager » un contenu ou le commenter c’est un peu plus que juste cliquer pour le regarder ou le liker. Oui, mais faisons-nous ce distinguo quand on parle d’engagement dans nos métiers ? En réalité, quasiment jamais. Et c’est un tort d’ailleurs. Toutes les interactions seraient de l’engagement. Point. Circulez.

Le terme « engagement » n’est pas nouveau dans le marketing en réalité. Il vient du marketing relationnel et il est initialement un KPI qui ressemble de loin à une autre notion bien connue : celle de « fidélisation ». Et ce point n’est pas anodin pour la suite. Car si pour le moment il est utilisé pour indiquer la performance d’une exposition, un peu comme le taux de clic sur une bannière ou un emailing, il pourrait être un KPI bien plus utile que cela, aller un peu plus loin qu’une mesure de réactivités et redevenir ce qu’il était (a priori) initialement.

Couramment utilisé au quotidien, l’engagement est un terme utilisé dans le cadre du mariage, de l’armée, de la cause humanitaire, de la politique, des RH etc. On trouve donc ce mot dans un contexte majoritairement contractuel et moral (mais l’aspect moral est peu intéressant ici). Et le point commun à toutes ces notions : le temps, la durée (comme pour la fidélisation d’ailleurs). Il n’est jamais question ici d’interactions ponctuelles à un moment donné, mais au contraire d’implications qui s’inscrivent dans la durée (cf. CDI/CDD par exemple).

L’engagement a donc un début et souvent (pas toujours) une fin. Il y a un point A et un point B dans le temps.

Si je m’en tiens à mes notions de marketing, je dirais qu’avoir des publics « engagés » devrait éventuellement, idéalement, à terme, signifier ceci : me permettre d’avoir à investir au fur et à mesure moins pour être présent à l’esprit du même nombre de personnes. Ceux-ci étant plus « engagés », donc impliqués, grâce à mon bon travail, je ne devrais plus avoir à réinvestir systématiquement la même somme pour être présent à leur esprit et/ou qu’ils parlent de moi. Autrement dit : à investissement marketing constant je devrais, avec le temps, avoir plus d’interactions, plus de réactivités, et a fortiori plus d’interactions spontanées.

Avoir des publics « engagés » devrait permettre de réduire le coût d’acquisition d’une interaction. En d’autre termes, sans augmentation significative des investissements : augmenter le nombre de partages, augmenter le ratio de reach organique / la part de earned media, augmenter la recommandation de pair à pair, augmenter le temps de présence à l’esprit, la revisite sur un site, la réduction du cycle d’achat, la fidélisation de clients etc.

L’engagement, un indicateur fiable… s’il est bien défini.

Pour illustrer, prenons notre point A et notre point B dans le temps : si pour le même montant investi en point A et en point B j’obtiens plus d’interactions totales au point B, on peut sans trop de risque dire que l’investissement a été maîtrisé voire positif, et que les publics sont bien « engagés ». Reste à définir ce qu’est une « interaction » pour chaque marque : nombre d’inscriptions à une newsletter, nombre de mentions de la marque, nombre de partages, nombre de demandes de tests produits, nombre d’avis de consommateurs, et bien sûr nombre de clients, et nombre de fidèles clients.

Et c’est encore mieux si entre ces deux points le montant de l’investissement a baissé et que le nombre d’interactions a augmenté.

Au fond, c’est cela que l’on devrait s’attacher à observer : si on recherche de l’engagement, on doit alors rechercher à diminuer le coût d’acquisition d’une interaction. Et ce qu’on mesurerait alors serait l’évolution du nombre d’interactions entre un point A et un point B, en rapport avec un investissement donné.

Poussons le jeu plus loin et modélisons notre concept, pour obtenir ceci : « On souhaite que la dérivée de l’engagement par rapport au temps soit positive », ce qui en langage mathématique donnerait :

E(tb)−E(ta) / tb−ta > 0

Et en version simplifiée :

E’(t) > 0

(merci @tomsias -twitter- pour les précisions)

En insérant la notion de « temps », de « durée », l’indicateur « engagement » devient non seulement plus consistant, plus cohérent mais il peut en outre devenir un formidable KPI, permettant de déterminer si nos investissements sont rationalisés ou non.

Et c’est a priori valable pour les réseaux sociaux comme pour tout autre point de contact. Ce qui va changer, c’est ce qu’on appellera « interaction » ainsi que différents niveaux d’interactions à chaque point de contact (par exemple un partage valant bien plus qu’un like).

Et sachant que pour que ce KPI soit pertinent il doit mesurer les interactions positives et à différents points de contacts ensemble. Plus de commentaires négatifs ou plus de réclamations, c’est certes plus d’interactions, mais cela peut également influer négativement sur d’autres points de contacts : désabonnements, nombre de paniers enregistrés, nombre de partages, et in fine peut-être moins de ventes. C’est là qu’intervient la limite de la stratégie du badbuzz d’ailleurs (normalement vous avez suivi).

L’engagement à l’identique pour toutes les marques ?

L’engagement, contrairement à l’idée habituellement poussée, n’est pas le signe d’une quelconque relation émotionnelle avec une marque, il n’est pas non plus spécifiquement le reflet d’une bonne stratégie de contenu. Il peut être ça, mais un simple “taux de réactivité” (ce qu’est un taux d’engagement aujourd’hui) ne peut pas nous le dire réellement. (nb : ha oui, on peut arrêter aussi du coup avec les “brand love” au passage).

Actuellement comme on l’a vu, il n’est pas le signe de grand chose concernant la marque, puisqu’on l’utilise pour mesurer la performance de publications pour l’essentiel. Et, on peut aimer des contenus en tant que tels sans avoir grand chose à carrer de l’émetteur (demandez autour de vous ce que likent les gens sur facebook et si cela est directement corrélé à l’affection qu’ils ont pour la personne). Sinon : postez des chats ou du porno 5 fois par jour et je vous garantis que votre taux d’interactions sera élevé.

L’engagement, tel que je le conçois, est un indicateur qui me renseigne sur la pérennité de l’implication de publics ou utilisateurs avec « moi, marque ». Et qui m’indique par là, si mes investissements marketing sont « rentables », dans le temps.

Entre une marque « aspirationnelle » (anglicisme inexistant dans le dictionnaire français, au passage), disons plutôt propice à générer une grande affinité, et une marque plus fonctionnelle, utilitaire, il est évident que les moyens pour arriver à une équation positive (et donc un engagement positif) ne seront pas les mêmes. Le principe étant d’avoir augmenté le nombre d’interactions en point B sans avoir augmenté son investissement marketing.

Quel que soit le type de marque, ce qu’on mesure ici ce n’est pas une « fidélisation » mais une augmentation significative des interactions sans accroissement significatif d’investissement pour obtenir ces interactions (je ne vous cache pas que cela nécessite en revanche une grande intelligence stratégique, créative, donc un investissement dans des talents, à ne pas négliger). De par la forme des réseaux sociaux notamment, on peut difficilement suivre « un individu » dans le temps, donc on peut difficilement savoir si on l’a fidélisé. Ce qu’on peut savoir c’est si pour un même montant investi, le nombre de personnes impliquées dans des interactions avec nous augmente dans le temps.

Que ce soit par la qualité des créations, de l’éditorialisation, du ciblage, de la connaissance du funnel d’achat, des insights conso, selon la typologie de la marque, les leviers seront différents. Seulement, en fin de chaîne, l’idée est de rationaliser ses investissements. Et de maintenir le montant investi pour être présent à l’esprit d’un nombre de personnes grandissant.

Last but not least.

Nous passons beaucoup de temps à manier différents indicateurs sur le digital sans que ceux-ci fassent tout à fait encore bien consensus. Je me rappelle encore le ROE qui n’aura pas vécu bien longtemps. Si l’on regarde nos métiers avant l’ère numérique, ils ont considérablement rationalisé et « processé » la manière de mesurer l’efficacité des actions entreprises. Et c’est surement une des raisons pour laquelle la TV est encore si présente dans les stratégies de communication. Nous le savons, le marketing est un univers de chiffres, de statistiques et de KPI, et de bons indicateurs restent les alliés des meilleures stratégies. La réussite des actions dépendra toujours du talent de stratèges ou de créatifs. Mais de bons indicateurs donnent une grille d’analyse, un cap ou un socle indispensable pour guider ce travail.

L’engagement ne peut être réduit à un « nombre d’interactions à un moment donné » ni même sur une période donnée, même si c’est ce que les grandes entreprises du web nous racontent, à nous d’être plus malins et de revenir un peu au sens des mots. Cela nous aiderait au passage à créer de vrais indicateurs servant nos intérêts avant de servir ceux des grandes entreprises du web.

Le marketing, en 2016, a les moyens de sortir de l’équation « il faut être beaucoup et souvent vu pour marquer les esprits durablement ».

NB 1 : Evidemment, le produit, l’offre, étant la base, il sera difficile de créer un véritable engagement avec une offre pas terrible; et cet indicateur mesurerait peut-être aussi en creux la qualité perçue de son offre.

NB 2 : je remercie Edouard Perrin, @douarde sur twitter, il saura pourquoi :)

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